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L'école Saint-Joseph, à Bethléem. Crédit : Tina Hazboun L'école Saint-Joseph, à Bethléem. Crédit : Tina Hazboun  (Tina Hazboun, école saint joseph, Bethleem)

En Cisjordanie, les écoles victimes collatérales de la guerre

Dans une Terre Sainte martyre, où l’attention est concentrée sur l’enclave palestinienne de Gaza, la Cisjordanie traverse une période de durcissement de la colonisation israélienne, de multiplications des incursions militaires israéliennes et de fermetures de route. Un quotidien pénible et complexe, dont les écoles chrétiennes de la région, gardiennes du vivre-ensemble, sont les victimes collatérales.

Marine Henriot - De retour du Caire, Égypte

Elles se retrouvent au colloque des écoles chrétiennes du Moyen-Orient au Caire. Malgré les difficultés logistiques et administratives pour aller et venir en Égypte, pour ces enseignantes et directrice d’école à Ramallah et Bethléem, en Cisjordanie, cette parenthèse cairote est une respiration. «Cela fait du bien de se sentir soutenue, en réseau», commente Samia Alama, enseignante de mathématique à l’école des filles des sÅ“urs de Saint-Joseph, à Bethléem, rencontrée au Caire, épuisée mais avec une force mentale à toute épreuve pour soutenir ses élèves dans cette période de guerre. À ses côtés, sa collègue Tina Hazboun, également professeure à l’université de Bethléem, reconnait:«Nous sommes obligées de sourire, malgré la tristesse».

L’accès à l’éducation entravé

La guerre déclenchée le 7 octobre 2023 n’a pas épargné le système éducatif palestinien, déjà mis en difficulté par 56 années d’occupation militaire israélienne. «Il faut beaucoup de patience», explique sÅ“ur Silouane, française, elle coordonne l'enseignement du français dans 10 écoles latines des Territoires palestiniens. Selon les combats ou incursions de la veille et de la nuit, et le nombre de victimes, les écoles en Cisjordanie peuvent être fermées, détaille-t-elle. Par ailleurs, si des points de contrôle ont été installés dans la nuit par les forces d’occupation israéliennes, certains élèves ne peuvent plus se rendre à l’école: «un jour il y a école, un jour il n’y a pas école, parfois les élèves manquent à l’appel et parfois ce sont les professeurs», commente sÅ“ur Silouane.

L'école Saint-Joseph, à Bethléem. Crédit : Tina Hazboun
L'école Saint-Joseph, à Bethléem. Crédit : Tina Hazboun

22 000 élèves, dont 8 000 chrétiens sont inscrits dans les 65 écoles chrétiennes des Territoires palestiniens. La bande de Gaza comptait ainsi quatre écoles chrétiennes avant l’offensive israélienne, dont deux du Patriarcat latin de Jérusalem. Celle de la Sainte-Famille a été partiellement détruite pendant la guerre, plusieurs professeurs et parents d’élèves ont été tués, «des élèves chrétiens aussi», soupire la sÅ“ur française.

Malgré le cessez-le-feu en cours depuis le 15 janvier, la guerre n’a pas disparu du quotidien des élèves. Loin des radars médiatiques, les incursions israéliennes et les fermetures de route en Cisjordanie se sont même multipliées, l’occupation militaire s’est endurcie. «La guerre ne sera jamais finie, les missiles ne nous tombent pas dessus grâce au dôme de fer mais quand même, il y a les débris qui sont dangereux et nous touchent, il y a le bruit des missiles, la peur, l’angoisse», détaille sÅ“ur Silouane.  

Prendre soin des élèves

Les violences innommables à Gaza, les incursions israéliennes sur leur terre depuis des décennies, ou encore la colonisation ne sont pas sans conséquences sur la santé mentale des élèves. «Nous vivons une situation critique pour les élèves et leurs familles», explique de son côté Naela Rabah, directrice de l’école grecque-catholique de Ramallah, une école mixte du Patriarcat melkite de Jérusalem. «Il ne s’agit pas de juste donner des leçons, nous essayons de prendre soin d’eux également au niveau psychologique». La fatigue immense du quotidien est palpable chez Naela Rabah: «La dépression ne touche pas que les élèves et leurs familles, mais aussi les professeurs», dit-elle, mais l’énergique directrice ne se ménage pas pour assurer le bien-être de ses élèves. «Il y a tellement de contradictions dans leurs esprits… À l’école nous leur apprenons à se sentir écoutés, à exprimer leurs sentiments».  

 L'école Saint-Joseph, à Bethléem. Crédit : Tina Hazboun
L'école Saint-Joseph, à Bethléem. Crédit : Tina Hazboun

Même rhétorique pour les deux enseignantes et amies de l’école des sÅ“urs de Saint-Joseph, à Bethléem: «les filles nous demandent ‘’pourquoi apprendre alors qu’il n’y a pas d’avenir ?’’», confient-elles, émues, mais combattives. «Il faut faire en sorte que les enfants aient envie de rester en Palestine», affirment-elles. Pour cela, Tina Hazboun a créé un programme spécial pour les femmes dans la filière technologique, une garantie de motivation et d’émancipation, sur leur terre.

782 000 enfants sont scolarisés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, selon l’Unicef. Mais selon le ministère de l’Éducation local, depuis octobre 2023, entre 8% et 20% des écoles du territoire palestinien occupé ont été fermées.

L’éducation à la non-violence

Si la situation politique reste officiellement hors des salles de classes, des moments de dialogue sont aménagés dans les emplois du temps, en tête-à-tête ou en groupe, selon les besoins des enfants. «Nous travaillons beaucoup sur comment comprendre les autres, comment communiquer avec les personnes qui ont des opinions différentes des nôtres, accepter les autres...», détaille Naela Rabah, la directrice d’école de Ramallah qui accueille, comme toutes les écoles chrétiennes, des enfants de toutes confessions. «Dans tout le Proche-Orient, il faut apprendre à pratiquer la non-violence, c’est-à-dire comment réagir dans le conflit, ne pas se mettre en colère, trouver des solutions de paix, dialoguer, accompagner l’autre», ajoute sÅ“ur Silouane.

À Bethléem, berceau du christianisme mais aussi de la cohabitation religieuse, l’école Saint-Joseph accueille 800 filles, dont 50% de musulmanes, et «il n’y a pas de problème, commente simplement Samia Alama, les musulmans ont l’habitude de parler avec nous».

La guerre est aussi économique

Les écoles ne sont pas des bulles et ne sont pas épargnées par les difficultés économiques engendrées par la guerre en Terre Sainte. À Bethléem notamment, les pèlerinages ont cessé presque du jour au lendemain, alors que la plupart des parents d’élèves occupaient un emploi lié au secteur touristique ou du pèlerinage. Certains ne peuvent plus payer les frais de scolarité, déjà réduits au minimum dans les écoles. Un climat économique morose qui pèse sur le moral des parents et par ricochet sur celui des enfants et adolescents.

Ces derniers ont bien des aspirations, mais «ils sont réalistes, ils voient bien que beaucoup de portes sont fermées, note sÅ“ur Silouane, avec compassion, il va falloir vivre avec cette réalité».

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13 février 2025, 17:51