RDC: la CENCO déplore une catastrophe électorale
Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican
Après les élections générales du 20 décembre 2023 et à deux jours de l’investiture du président réélu Felix Tshisekedi, prévue ce samedi 20 janvier, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a livré son évaluation de ce processus électoral. Dans leur message rendu public ce jeudi 18 janvier 2024, les évêques, qui ont également formulé des «recommandations utiles pour l’avenir du pays», disent avoir suivi avec tristesse le déroulement des opérations électorales, à deux niveaux. Directement, à partir de leurs diocèses qui couvrent l’ensemble du territoire de la République Démocratique du Congo (RDC) et indirectement à partir de la Mission d’Observation Electorale conjointe de la Conférence épiscopale nationale du Congo et de l’Eglise du Christ au Congo (MOE CENCO-ECC).
Les prélats expriment leur appréciation du fait que plus ou moins 40% des congolais enrôlés se sont mobilisés pour voter, et même au-delà du jour légal, car ils croyaient à un nouveau départ de leur pays. Mais ce peuple est aujourd’hui «désillusioné et traumatisé» par la façon dont ce processus a été organisé et par les conditions de son déroulement à bien d’endroits. Cela dénote «un manque de considération à son égard» et «nous ne pouvons taire ce que nous avons vu et entendu», disent les évêques congolais.
Des élections organisées par défi
La Cenco constate que les irrégularités et incidents dénoncés font «des élections du 20 décembre une catastrophe électorale», à cause de leur ampleur et de leur étendue. Sur base de son observation et de celle d’autres Missions d’observation, elle conclut que «ces élections ont été caractérisées, en général, par la fraude, la corruption à grande échelle, le vandalisme de matériel électoral, l’incitation à la violence, la détention illégale des DEV, l’achat de conscience, l’intolérance, l’impudicité, l’atteinte aux droits humains, à la vie humaine et à la dignité des personnes, allant jusqu’à humilier publiquement la femme». Pour les évêques, le chaos enregistré au cours de cette quatrième édition des élections en RDC fait suite à l’obstination de le Commission Electorale nationale indépendante (CENI) d’organiser ce scrutin par défi, alors qu’elle était consciente des certaines «contraintes». A cause de cela, la commission a été amenée à violer le cadre juridique national et l’administration électorale, écrit la Cenco.
Des votes parallèles, des machines à voter retrouvées chez des particuliers
Après la publication du rapport préliminaire de leur MOE CENCO-ECC début janvier, les prélats disent avoir découvert «un nombre impressionnant des votes parallèles avec les machines à voter trouvées chez des particuliers». Ce qui les amène à se demander s’il n’y avait pas une telle planification préalable «au niveau du pouvoir organisateur». La Cenco s’étonne aussi de la facilité avec laquelle les dispositifs électroniques de vote (DEV) – machines à voter – et les rouleaux des bulletins de vote se sont retrouvés entre les mains des particuliers. Ainsi, écrit-elle, «la CENI devrait s’interroger sur son rôle dans cet imbroglio, car c’est elle qui a le contrôle exclusif de toutes les machines et elle ne s’est jamais plainte d’un vol quelconque de son matériel».
Opacité planifiée, des bureaux de vote dupliqués, 2 400 000 électeurs fictifs
Après avoir refusé la proposition de mettre en place une commission mixte et indépendante pour des enquêtes, regrette la CENCO, la CENI s’est positionnée comme juge et partie en invalidant 82 candidats, tout en annonçant des cas ultérieurs d’invalidation. Cette opacité semble une suite logique d’autres cas observés antérieurement, déclare l’organe de l’Eglise catholique, qui cite des cas des kits d’enrôlement retrouvés chez des particuliers, des centres d’inscription fictifs, le refus d’un audit indépendant du fichier électoral, ect. Dans toutes ces situations, note le message, la CENI n’a ni fourni des explications, ni clarifié les choses, ni accepté un cadre de concertations. A ces irrégularités s’ajoutent celles de la publication de la cartographie des Bureaux de vote (BV). Après analyse, indique la Cenco, «la MOE CENCO-ECC a pu détecter des anomalies, dont l’existence de 3 706 BV dupliqués 2 voire 3 fois, avec comme conséquence l’augmentation du nombre d’électeurs de l’ordre de 2 400 000». La publication définitive de la cartographie des BV dans un format non téléchargeable ne détermine pas leur précision et fait penser à une opacité planifiée, estiment les évêques.
Ces nombreuses irrégularités, incidents et la fraude déclarée «ont sérieusement affecté les élections et entamé la confiance des électeurs. Dès lors, il se pose la question de la perception que le Peuple congolais aura du prochain Parlement». Au regard des résultats provisoires des législatives nationales, seuls 6% des députés sont issus de l’opposition, ce qui fait craindre à la Cenco «un grand risque de rentrer au monopartisme, ce qui serait un grand recul de notre démocratie naissante».
Décourager urgemment l’élan de tribalisme et renforcer la cohésion nationale
Face à ces défis qui mettent «en danger» «notre pays», à cause notamment du mépris des valeurs morales, les évêques congolais appellent les instances compétentes qui ont pour mission de veiller à la stabilité, à la justice et à la cohésion nationale, d’user de la sagesse et de l’intelligence consciente pour redorer le blason terni. Ils appellent le président de la République à être le garant de l’unité nationale et de l’intégrité territorial. Ils réaffirment leur disponibilité à lui apporter l’aide nécessaire pour la réussite de ce «deuxième et dernier mandat pour l’intérêt du Peuple congolais». Ils recommandent au gouvernement de «prendre des mesures nécessaires et urgentes pour décourager la xénophobie et les élans de tribalisme notés dans les discours tout au long de la campagne électorale et de mettre en place un mécanisme politique pour renforcer la cohésion nationale». Les prélats demandent également l’organisation des élections dans les territoires où elles n’ont pas eu lieu: Rutshuru, Masisi et Kwamouth.
Ils proposent une réforme de la CENI et la clarification de l’indépendance de cette commission par rapport aux lois nationales pour garantir la bonne gouvernance. Ils demandent en outre au gouvernement d’identifier et de poursuivre les personnes impliquées dans les détournements des DEV.
Appliquer une justice sans complaisance
Aux ministères publics, aux cours et tribunaux, les évêques demandent «de se saisir d’office de toutes les dénonciations pour invalider les fraudeurs connus qui ont été proclamés provisoirement élus». Ils les appellent à être au service de la justice et non des individus, en traitant sans complaisance tous les dossiers relatifs aux recours et contentieux électoraux. La justice doit aussi être appliquée sur les cadres et agents de la CENI qui ont été complices dans la fraude électorale. «Une justice qui fait la promotion des antivaleurs est un cancer pour la Nation», soulignent les prélats congolais.
Vivre dans la solidarité et la cohésion nationale
La Cenco recommande au peuple Congolais de vivre dans la solidarité et la cohésion nationale, pour que le pays ne sombre pas dans la violence et les divisions. Citant le Pape François qui a visité leur pays il y a bientôt une année, les évêques soulignent qu’«il n’y a pas de paix sans fraternité. C’est un choix: de faire de la place dans nos cÅ“urs pour tous, de croire que les différence ethniques, régionales, sociales, religieuses et culturelles, ne sont pas des obstacles au vivre-ensemble». Ils appellent leurs compatriotes à se sentir concernés par la construction de leur pays et à rester vigilants et engagés dans l’exercice de leur souveraineté. «L’avenir d’un pays dépend de son peuple. Retenons dans notre conscience qu’on ne libère pas un peuple, le peuple se libère lui-même», écrivent-ils. Pour conclure, la Cenco appelle les jeunes à ne pas se laisser manipuler et instrumentaliser par des acteurs politiques qui les exploitent pour leurs intérêts égoïstes. Elle réitère son appel au dialogue, au calme, à la paix et à l’apaisement des esprits, tout en confiant la RDC à l’intercession de la Vierge Marie, Reine de la paix, et à celles des bienheureux Anuarite et Bakanja.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici