Le cardinal Czerny aux réfugiés syriens au Liban: «le Pape pleure avec vous»
Salvatore Cernuzio – Kfardlakos (Liban)
En mission au Liban du 19 au 23 février, le préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral a rendu visite aux réfugiés syriens du village de Kfardlakos, district de Zgharta, gouvernorat du Nord-Liban, l'un des cinquante camps disséminés dans le pays. «Nous sommes venus pour vous rencontrer et vous écouter, et nous partageons votre espoir de rentrer chez vous, en Syrie», leur a-t-il dit, tel un souhait exprimé par ces réfugiés. Poursuivant, le cardinal Michael Czerny a tenu à souligner que «le Pape pleure avec vous, il vous aime. Il est heureux que je sois ici parmi vous, nous pleurons votre souffrance», a-t-il insisté. «Je suis sans voix devant une vie vécue dans l'extrême. Les conditions de vie sont impossibles, les gens luttent pour survivre, ils veulent rentrer chez eux mais ils savent que c'est difficile en Syrie. En fait, il n'y a plus de maison là-bas».
Des conditions de vie indécentes
Au nord du Liban, dans le district de Zgharta, se trouve le camp 004 de réfugiés syriens du village de Kfardlakos. L’on peut apercevoir d’un côté, face à une station-service, au bord de l'autoroute, des tentes et des cabanes en pierre, qui ressemblent à d'anciennes ruines et qui sont en fait des «chambres» pouvant accueillir jusqu'à huit personnes. Une odeur nauséabonde se fait sentir, les chaussures s'enfoncent dans la boue du sol. Des câbles électriques sont exposés, et une sorte de modem pour le Wi-Fi est attaché à un ruban sur un poteau en bois.
Si l'on est sensible, un pincement à l'estomac se fait sentir à la vue des enfants aux visages poussiéreux ayant des tongs sous la pluie. Observant une telle situation, l’on se demande pourquoi ces 125 personnes, ces 25 familles et plus de 60 mineurs, continuent de vivre, après onze ans, dans des conditions indécentes et ne retournent pas plutôt en Syrie, maintenant que la «situation» semble être revenue à la normale. Des femmes, enveloppées dans leurs tchadors (vêtements portés par les femmes et utilisés principalement aujourd’hui par les musulmanes), expliquent pourquoi: «Là-bas, nous n'avons même pas une couverture, ici au moins il y a un toit», lancent-elles au cardinal Michael Czerny qui a voulu inclure dans sa mission au Liban, une étape dans ce lieu qui ne peut être décrit avec d'autres mots que ceux du Pape François, de «périphérie existentielle».
Des enfants non scolarisés qui travaillent dans des camps ou dans la rue
Le problème est complexe et implique le blocage des couloirs humanitaires par les gouvernements européens. Il y a aussi l'insuffisance des subventions de l'ONU: chaque dollar reçu est pulvérisé par les dettes que les familles accumulent dans les magasins voisins pour acheter de la nourriture et d'autres biens. Mille, mille cinq cents, deux mille dollars. «Des dettes, voilà ce que nous avons. Rien d'autre », explique Fteim, âgée 50 ans, une Syrienne de Hana, installée au Liban depuis le début de la guerre en 2011. Elle intervient lors d'un moment de dialogue avec le cardinal sous une tente d'où tombent des gouttes de pluie: «Nous avons de l'eau partout, en haut et en bas, mais pas pour nous laver. Nos enfants sont sales, ils n'ont pas de vêtements propres et ils ne vont pas à l'école parce qu'on ne les laisse pas monter dans les bus». Les enfants sont alors envoyés travailler dans les champs, ou vendre des paquets de mouchoirs dans la rue.
La faim et le froid
«Nous avons faim, il n'y a rien», répète le shawish, le chef du groupe. «Le ramadan commence bientôt, nous aimerions vivre ce mois comme il se doit».«Les enfants ont très froid, ils sont malades», explique une autre femme. «L'autre jour, mon fils a vu au téléphone», regardant certainement une vidéo, «un enfant manger de la viande. Il s'est mis en colère...»
Des enfants innocents
Les adultes pleurent, les petits sourient. Ils répètent une chanson et une salutation en italien avec le père Michel Abboud, président de Caritas Liban. Ils suivent ainsi le cardinal dans les locaux, regardent avec curiosité ce grand homme à la calotte rouge et ayant une croix en bois. Ils crient et jouent tout le temps, dans leurs vêtements qui ne sont pas propres aux tailles les plus étroites, sans autres jouets que ceux qu'ils trouvent sur le sol.
Une clinique mobile pour les femmes
Certaines mères sont très jeunes. Les femmes représentent la moitié de la population et, pour des raisons de croyance, ne se rendent pas dans les centres médicaux si elles ne sont pas accompagnées de leur mari ou de leur père. C'est pourquoi Caritas a mis en place une clinique mobile: sur une charrette, une pharmacie où l'on mesure la tension artérielle et où l'on distribue des médicaments pour les maladies chroniques; dans l'une des «chambres», un espace de pierres humides, une sorte de consultation externe, deux médecins, Dalia et Pierre, ont installé un divan et un échographe portatif. «Nous visitons au moins cinquante personnes par jour et 10 à 15 cas de grossesse», expliquent-ils. «Non, elles ne tombent pas enceintes après des violences», précise aussitôt le médecin. La Caritas locale fournit le même service par le biais de onze unités mobiles dans tous les autres camps de réfugiés, ainsi que pour les Libanais des villages les plus pauvres. Il n'y a pas de priorités ou de préférences, seulement des urgences.
La «maison» de Fteim
Au camp 004 Kfardlakos, l'urgence est permanente: parfois l’on fait face à des infections, ou encore au manque d'eau et d'électricité, et presque toujours c'est la pénurie de nourriture et l'impossibilité de vivre à sept, huit, voire dix personnes - comme ce fut le cas pendant la guerre - dans un cube de pierre, avec des tapis au sol et aux murs et une cuisinette derrière un rideau qui fait office de placard. «Venez, je vais vous montrer», dit Fteim, invitant le cardinal et la délégation à entrer dans sa «maison». Elle agite les mains pour indiquer l'étroitesse, son mari malade, son petit-fils de trois ans dormant sous deux couettes: «On vient de nous apporter des couvertures de Caritas, mais regardez ça», dit-elle en désignant la «cuisine», «il n'y a rien ici». En pleurs, la femme pose son front sur la main du cardinal qui l'embrasse et pose sa tête sur le voile. Son mari se jette à son tour dans ses bras, tout comme Mohammed, 37 ans, qui est apparu soudainement.
Retour en Syrie
Le souhait de chacun est de rentrer chez soi: «Dieu merci, le régime Assad est parti, nous voulons que la vie redevienne comme avant», dit le shawish. Le problème, c'est qu'«il n'y a rien en Syrie». Personne n'est allé vérifier et on craint que la «nouvelle situation» ne devienne pire. En attendant, les Libanais, affectés par la crise économique, la baisse des salaires et le manque de travail, ont du mal à supporter ce million et demi de personnes sur leur territoire. Un circuit sans fin. «Si quelqu'un nous assure une maison en Syrie, nous pourrons rentrer», disent-ils. «Aidez-nous», crient-ils, se réjouissant de la présence d'un hôte illustre dans le camp. «Baba Francis!» «Non, ce n'est pas le Pape François. C'est un de ses collaborateurs», corrige un prêtre. «Le Pape pleure avec vous, il vous aime», leur a dit avant de partir, le cardinal Czerny.
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