Mgr Gugerotti: «le cardinalat est une lourde responsabilité, non pour la gloire mais pour le sang»
Antonella Palermo - Cité du Vatican
Originaire de Vérone, Mgr Claudio Gugerotti préfet du dicastère pour les Églises orientales depuis janvier dernier, a été nonce apostolique dans plusieurs pays de tradition chrétienne orientale: à partir de 2002 en Géorgie, en Arménie et en Azerbaïdjan; en 2011 en Biélorussie; en Ukraine de 2015 à 2020 (pays qui compte le plus de catholiques de rite oriental), puis en Grande-Bretagne.
Votre nomination intervient peu après votre retour au Vatican en tant que préfet du dicastère pour les Églises orientales. Comment l'avez-vous accueilli?
Cela m'est venu de manière tout à fait inattendue. Je n'ai pas suivi l'Angélus, à un moment donné, le téléphone ne cessait pas de sonner et je ne comprenais pas pourquoi. Tout le monde me présentait «meilleurs vÅ“ux ». J'ai pensé que, peut-être j'avais oublié la fête de mon saint patron.. Puis j'ai compris. Je le vis avant tout comme une responsabilité que je trouve particulièrement importante mais aussi lourde parce que la couleur pourpre du cardinalat n'est pas un moment de gloire, c'est le cardinalat du sang. Et j'ai vu beaucoup de sang dans ma mission de nonce. J'ai vu tant de gens payer par le prix du sang leur appartenance au Christ, parfois simplement la violence subie par beaucoup de gens s’exprimait de cette manière. Aujourd'hui, le Pape, et avant lui Dieu, exige de moi la fidélité à l'Église et au Pape, jusqu'à donner ma vie si nécessaire.
Votre nomination est en quelque sorte parallèle à celle de Sa Béatitude Pizzaballa, si l'on considère les réalités des Églises d'Orient, une région encore ravagée par la violence...
En fait, je me suis retrouvé dans les propos du patriarche latin de Jérusalem. D'ailleurs, la compétence du dicastère ne porte pas seulement sur le Moyen-Orient, mais aussi sur l'Éthiopie, l'Érythrée, l'Ukraine. Autant de régions, ou presque, qui connaissent actuellement des événements particulièrement sanglants, qui ne les concernent pas par hasard dans la mesure où l'Orient chrétien a toujours été un bassin de fidélité au Christ jusqu'au martyre. Pensons à ce que furent les grandes Églises orientales, aujourd'hui réduites à très peu de personnes. Et ce n'est pas un hasard, mais, parce que la violence des hommes et des cultures a conduit à leur quasi-disparition. C'est donc presque dans l'ADN des Églises orientales que se trouve ce lien très profond avec le témoignage des martyrs. D'autre part, gardons à l'esprit que beaucoup d'Églises orientales sont nées dans un contexte très proche de la Palestine. Nous nous référons à celui qui est Seigneur et Maître et qui, précisément, a versé son sang pour nous, Jésus-Christ.
Nous sommes les représentants d'une religion qui, contrairement à beaucoup d'autres, naît du sang de son fondateur. Et c'est aussi la raison pour laquelle le christianisme a suscité un tel émerveillement, tant dans les religions impériales que, plus tard, dans les autres religions monothéistes, précisément en raison de l'extrême cruauté du sort de celui qui était l'objet de la vénération. Nous n’avons pas un prophète victorieux qui a fondé un État, nous ne sommes pas un peuple qui a une cité terrestre, nous sommes les disciples de quelqu'un qui fait un pèlerinage à travers l'histoire vers la Jérusalem céleste.
Vous vous réjouissez donc particulièrement de la création par le Pape François d'une commission des nouveaux martyrs en vue du Jubilé?
Tout à fait. C'est la continuation d'une intuition qui était celle de Jean-Paul II à l'époque, qui a apporté une grande nouveauté à l'Église et qui maintenant, en termes encore plus radicaux, nous conduit à cette union, à cette communion dans le martyre qui est vraiment un mystère caché en Dieu parce qu'il dépasse toutes les limites et les barrières entre les Églises, entre les religions. En l'occurrence, surtout entre les confessions chrétiennes. Il s'agit d'une union déjà réalisée dans le sang. Donc, cette institution est quelque chose qui m'a beaucoup impressionné et édifié et à laquelle, si j’y appelé, je collaborerai de tout cÅ“ur.
Votre cardinalat s'inscrit dans le scénario de la mission de paix du Pape, d'abord à Kiev, puis à Moscou. Comment voyez-vous l'issue des discussions et des rencontres du cardinal Zuppi et, plus généralement, la vision diplomatique que le Saint-Siège poursuit pour aider à créer des voies de paix dans la guerre en Ukraine?
Je ne connais pas les détails de la mission du cardinal Zuppi, mais je suis certain que ses compétences et son amabilité toucheront les cÅ“urs. J'ai été nonce en Biélorussie, en Ukraine et aussi en Géorgie où les chars russes sont entrés... Ce que je peux dire, c'est qu'il y a derrière tout cela une complexité de causes dont nous, Occidentaux, sommes souvent totalement ignorants. Et donc même les commentaires que je lis souvent me paraissent extrêmement limités parce qu'ils ne comprennent rien d'autre que "±ô'²¹³ÜÂá´Ç³Ü°ù»å’h³Ü¾±". En Orient, si l'on veut comprendre "±ô’a³ÜÂá´Ç³Ü°ù»å'³ó³Ü¾±", il faut comprendre "±ô’h¾±±ð°ù", et si l'on veut comprendre "demain", ce demain est encore plus enraciné dans ce qui s'est passé. Je n'ai pas le sentiment que la chute de l'Union soviétique ait été profondément interprétée et comprise par le monde occidental. Ainsi, la mission du cardinal Zuppi se heurte non pas à sa difficulté personnelle à traiter les problèmes, mais à la complexité de ces problèmes.
Ce que je peux dire très clairement, c'est que le Pape François a toujours cherché et voulu la paix au-delà de toute possibilité raisonnable, et que cela découle de sa foi profonde, la foi qui est la foi au-delà de la raison. Et l'amour sans aucun doute avant et après la raison. Rappelons-nous que lorsque j'étais nonce en Ukraine, le Pape François a fait cette souscription qui a rapporté 16 millions d'euros pour les personnes déjà déplacées à l'époque dans le Donbass, et que j'ai été appelé à gérer en allant vérifier personnellement que pas moins de 800 mille personnes avaient bénéficié de l'aide que le Pape et les catholiques d'Europe avaient pu envoyer. Il y a une continuité constante qui remonte à l'époque de la naissance de l'Union soviétique où le pape envoyait des convois humanitaires entiers à l'empire soviétique naissant, appelons-le ainsi, sans distinction d'idéologie. En d'autres termes, la politique des papes a toujours été et reste une politique d'espérance au-delà de toute espérance. Notre diplomatie n'est pas une diplomatie des calculs, c'est une diplomatie des utopies possibles.
Vous pensez donc que certains commentaires étaient trop simplistes?
Tout à fait. On a l'impression qu'en faisant quelques calculs sur ce qui pourrait être utile pour en finir rapidement, on met fin à tout le mécanisme de connaissance de ce monde et de sa complexité. Lorsque la chute du mur de Berlin a suscité un grand enthousiasme pour la liberté retrouvée, nous nous sommes arrêtés là. Nous ne sommes pas allés voir ce qui s'est passé le lendemain, lorsque les gens ont perdu tout l'argent qu'ils avaient à la banque et ont été contraints de faire la queue pendant des heures pour obtenir un morceau de pain. C'est une situation récente qui a mis à nu les nerfs des peuples soviétiques et a créé une résurgence, peut-être aussi parce que le régime avait gardé ce sentiment très étouffé, la résurgence du nationalisme, les conflits, les difficultés économiques, le phénomène des oligarques. Ce sont des situations très complexes...
Ces derniers jours, vous étiez en Biélorussie en tant qu'envoyé spécial du Pape François pour les célébrations du 25e anniversaire du couronnement de l'icône miraculeuse de Notre-Dame de Budslau. Que retenez-vous de cette visite?
Une merveilleuse célébration d'un peuple qui souffre en silence et qui a trouvé dans la foi une force de témoignage si évidente à nos yeux, de retrouver le sourire autour de cette humble effigie de la Vierge Marie, qui est pour lui le signe de son identité et de son espérance. Dix mille personnes, sont venues à pied, traversant des forêts, des lacs, des routes difficiles, bénéficiant de la solidarité de tous ceux qui les entouraient et se mettant à genoux pour parcourir les derniers tronçons, cela a été pour moi une leçon particulière dans une région entourée de gens qui se battent. Surtout, ces regards pleins de larmes face à la proximité du Pape, et le soulagement de ne pas se sentir oubliés. Je leur ai raconté l'histoire d'une vieille dame biélorusse qui était si proche du Pape alors qu'il ne l'avait jamais rencontrée, si ce n'est qu'à travers les photos qui, pendant six ans, ont amené le Pape à s'enquérir d'elle.
La messe du Consistoire sera célébrée le 30 septembre, à la veille du Synode. Comment voyez-vous cette rencontre au Vatican?
Avec tant d'espoir. Je ne sais pas ce que l'Esprit Saint suscitera, car les initiatives des hommes sont toujours une préparation. L'Esprit Saint nous surprend comme il a surpris pour le Concile Vatican II et bien d'autres événements de l'histoire. Souvenons-nous que nous ne nous célébrons pas nous-mêmes, ni nos succès, ni nos préparations, mais la disponibilité de notre cÅ“ur à l'inspiration de l'Esprit. Chaque occasion où l'Esprit peut souffler plus visiblement en abondance devient une fête de l'Église. C'est ainsi que je l'aborde. Et ce consistoire, presque comme le début du synode, n'est rien d'autre qu'un rappel pour nous, nouveaux cardinaux, de marcher dans l'esprit d'un synode et d'une synodalité qui constituent la nature même de l'Église en tant que communion.
Parviendrons-nous à cette harmonie tant souhaitée par le Pape François, à une pleine harmonie entre chrétiens d'Orient et d'Occident?
J'étais à Alexandrie il y a environ un mois en tant que membre de la commission théologique mixte entre catholiques et orthodoxes. Je peux vous assurer que le climat, sur le plan personnel, est très bon. Bien sûr, la proximité personnelle est une chose, et le poids historique des événements qui ont caractérisé nos relations en est une autre. Nous avons besoin que le pouvoir du contact personnel soit si puissant et si plein d'amour qu'il puisse surmonter tous ces fardeaux, tous ces lest qui nous empêchent de nous embrasser en public comme nous le faisons en privé.
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