Cardinal Czerny: l'?glise rejette toute parole ou action qui ne respecte pas la dignit¨¦ humaine
Salvatore Cernuzio - Cité du Vatican
La note du dicastère est une nouvelle étape dans un délicat processus de dialogue et d'écoute exigé par le Pape François, qui reconnait les «pas malheureux» du passé et les replace dans leur contexte historique, tout en observant leur impact et leurs effets à long terme jusqu¡¯à aujourd'hui. Le cardinal Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral, résume ainsi la déclaration commune sur la "doctrine de la découverte" publiée jeudi 30 mars: «Le Saint-Siège, les évêques canadiens et américains souhaitent vraiment que cette note, qui regrette ce qui s'est passé, contribue à la guérison et à la réconciliation avec les peuples autochtones», déclare-t-il lors d'un entretien avec les médias du Vatican.
Éminence, pourquoi le Saint-Siège a-t-il décidé de publier cette Note commune sur la "doctrine de la découverte"?
Le premier point, fondamental, est que les peuples autochtones l'ont demandé... Ils ont demandé de répudier la soi-disant "doctrine de la découverte". La note dénonce et rejette cette idée de découverte et explique que les bulles ou décrets du XVe siècle n'expriment en rien la foi, la doctrine ou le magistère de l'Église, laquelle rejette toute parole ou action qui ne respecte pas la dignité humaine. Il est important de reconnaître que la demande était et est toujours une demande de clarification formelle et que la note adopte donc un ton formel. Si l'on veut entendre la parole de l'Église sur un ton pastoral, il ne faut pas la chercher dans la note, mais écouter les homélies et les discours de saint Jean-Paul II (1984) et du Pape François (2022) lorsqu'ils ont visité le Canada. Le message est le même, mais le registre est différent. Par exemple, en juillet 2015, en Bolivie - j'y étais, Dieu merci - le Pape François, reprenant les propos de Jean-Paul II, a demandé à l'Église de «s'agenouiller devant Dieu et d'implorer le pardon pour les péchés passés et présents de ses fils et de ses filles», pour les nombreux et graves péchés commis au nom de Dieu contre les peuples autochtones d'Amérique lors de la soi-disant conquête.
Quelle sont la signification et la portée des trois bulles pontificales du XVe siècle, par lesquelles les Papes ont accordé aux colonisateurs le droit de s'emparer des terres et des biens des peuples autochtones? Pourquoi ces documents sont-ils considérés par certains chercheurs comme la base de la "doctrine de la découverte" ?
Tout d'abord, il faut savoir qu'une bulle est une décision ou un décret scellé, mais ce n'est pas un document du magistère, ce n'est pas une doctrine, ce n'est pas un enseignement. C'est quelque chose d'opportun qu'un Pape fait en tant que chef d'État par rapport à d'autres chefs d'État. Vers la fin du XVe siècle, le Pape a voulu mettre de l'ordre et éviter la guerre entre les couronnes espagnole et portugaise dans leur empressement à coloniser le nouveau monde. Il ne s'agissait pas tant de tracer une nouvelle route que de contrôler ce qui se passait et ce qui était inévitable. Le Pape s'est servi des outils à sa disposition pour tenter de mettre de l'ordre. Ce faisant, il a utilisé un langage et des expressions qui sont totalement inacceptables pour nous aujourd'hui, mais à l'époque, c'était la façon dont les gens parlaient. Le Pape voulait maintenir la paix.
Nous reconnaissons que cette histoire est triste, mais nous devons également souligner que ce qui nous motive plus que la clarification historique, c'est de reconnaître et d'affronter la réalité d'aujourd'hui. En d'autres termes, il ne suffit pas de rejeter cette triste histoire, mais de reconnaître, protéger et promouvoir la dignité de toute personne humaine, et donc les droits des peuples autochtones. Avec le plein soutien du Saint-Père et du Vatican, les Églises du Canada et des États-Unis veulent se réconcilier avec les peuples autochtones et contribuer à leur développement dans le plus grand respect de leur identité, de leur langue, de leur culture et de leurs traditions.
Les bulles papales parlent de domination, d'assujettissement, d'accaparement des terres et d'esclavage. Comment continuer avec un tel héritage? La réponse actuelle est-elle, selon vous, adéquate?
Quand on hérite un langage de domination, de soumission, d'accaparement des terres et d'esclavage, la première chose à faire est de dire: oui, cela a été dit. Ne pas le cacher et ne pas le nier. La deuxième chose - qui est le précieux travail des historiens - est de replacer ces expressions dans leur contexte. Si vous prenez ces mots et que vous voyez comment, à l'époque, dans d'autres documents et décrets de l'Église, on parlait de femmes, d'enfants, de juifs ou de musulmans, vous dites malheureusement que ce vocabulaire était partout! Une série de concepts anthropologiques totalement inacceptables aujourd'hui à la lumière de l'Évangile. Mais il en est ainsi. Il n'y a rien d'autre à faire que de le reconnaître. Nous ne faisons pas tout cela par curiosité historique, mais pour reconnaître que ces attitudes, ces démarches malheureuses continuent à produire leurs effets aujourd'hui. Toutes les personnes concernées - la génération actuelle des populations autochtones et la génération actuelle des autres populations - doivent reconnaître ce qui a été dit et pourquoi, puis voir comment les choses ont évolué; peut-être que la chose plus important encore est de reconnaître les effets de la colonisation encore aujourd'hui, et faire cause commune pour les surmonter dès que possible: respecter l'identité, la langue, les cultures et les droits des populations autochtones, dit la note conjointe, et travailler ensemble pour améliorer les conditions de vie et promouvoir le développement. Aucune mesure ne peut à elle seule éliminer l'héritage du colonialisme, y compris les bulles papales associées à la doctrine de la découverte. Les évêques canadiens, les catholiques, les croyants et les citoyens doivent travailler chaque jour, non seulement pour condamner les fausses idées qui ont contaminé trop d'attitudes au Canada, mais aussi à progresser de façon solidaire vers l'objectif de guérison et de réconciliation.
Nous devons donc être ouverts à la confrontation et à l'écoute afin de cheminer ensemble vers une réponse. C'est le plus précieux fruit d'un processus qui n'a pas été facile: arriver à une note formelle qui entre dans un dialogue très important en adoptant une attitude d'écoute.
Depuis quand l'Église catholique affirme-t-elle les droits inviolables des peuples autochtones ?
C'est une question complexe car l'évolution du vocabulaire et de l'enseignement a été lente et diffuse. Une réponse particulière a été apportée en 1537, lorsque le Pape Paul III a rédigé la bulle Sublimis Deus, dans laquelle il déclare: «nous définissons et déclarons que les soi-disant Indiens et tous les autres peuples ne sont en aucune façon privés de leur liberté ou de la possession de leurs biens». Cela contredit totalement ce qui avait été dit cinquante ans plus tôt et nous montre la fluidité de l'histoire. Il est important que la note publiée aujourd'hui et tous les efforts des chercheurs clarifient cette histoire et expliquent chaque déclaration dans son contexte et - c'est la partie la plus existentielle - dans son effet et son impact aujourd'hui encore.
Comment le voyage du Pape François au Canada en juillet 2022 a-t-il affecté ces questions?
Le voyage du Pape François au Canada, auquel j'ai eu l'honneur de participer, a mis à l'ordre du jour les questions mentionnées dans la note. Le Pape a en effet déclaré: «nous sommes prêts et nous voulons faire face, nous voulons accepter et surmonter tous les péchés du passé». C'est plus courageux que de souhaiter simplement une clarification historique. C'est reconnaître que ce vocabulaire de domination continue à produire ses effets aujourd'hui. C'est la réalité. La deuxième chose, c'est que le Saint-Père nous a montré la manière d'aborder les questions épineuses du passé: en écoutant. Nous ne commençons pas par des discours, mais par l'écoute. La note d'aujourd'hui s'inscrit dans le contexte de l'écoute et du dialogue. Elle est publiée parce que les peuples autochtones du Canada l'ont demandé. Pas tous, un appel a été lancé au cours des années en faveur d¡¯une clarification formelle sur la question.
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