Prédication de l'Avent du cardinal Cantalamessa sur la charité
Marie Duhamel – Cité du Vatican
«Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles: qu'il entre, le roi de gloire !» Voici les premiers mots de la prédication de ce vendredi 16 décembre, dans laquelle le cardinal Cantalamessa revient sur l’objectif d’ouvrir les portes au Christ qui vient, et plus spécifiquement sur «la porte la plus intime de notre ‘château intérieur’, celle de la vertu théologale de la charité».
Dieu nous aime le premier
La vision proposée par les philosophes païens selon laquelle «Dieu meut le monde en tant qu’aimé» comme le formule Aristote, a été complètement renversée par le Nouveau Testament. Le prédicateur de la Maison pontificale affirme que s’il est «bien vrai qu'aimer Dieu de toutes ses forces est le premier et le plus grand commandement», il y a avant cela «l’ordre de la grâce, c’est-à-dire l’amour gratuit de Dieu». D’ailleurs, l’évangéliste Jean souligne que «nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier» (Jn 4, 10-19). Le commandement est fondé sur le don. Ceci est la nouveauté de la foi chrétienne par rapport à toute éthique fondée sur le ‘devoir’ ou ‘l'impératif catégorique’, insiste le cardinal Cantalamessa.
Noël: recevoir avec émerveillement le don de Dieu
Cette «révolution évangélique sur Dieu comme amour» pousse les fidèles à accueillir l’amour de Dieu, à croire en l’amour. Or, Noël, souligne le capucin, est «la manifestation - littéralement, l'épiphanie - de la bonté et de l'amour de Dieu pour le monde». Il s’est manifesté pour le salut de tous, écrit saint Paul. Aussi, la chose la plus importante à faire à Noël, estime-t-il, est de recevoir avec émerveillement le don infini de l'amour de Dieu, pour «honorer le cadeau et celui qui l’offre avec étonnement et gratitude», et ce avant de se précipiter en tendant notre propre cadeau comme pour s’acquitter.
«L'acte traditionnel de charité, du moins quand on le récite de manière privée et personnelle, ne devrait pas toujours commencer par les mots: ‘Mon Dieu, je t'aime de tout mon cÅ“ur’, mais quelque fois, ‘Mon Dieu, je crois de tout mon cÅ“ur que tu m'aimes’», affirme le cardinal Cantalamessa. Et ceci n’est pas simple, l’homme est plus enclin à être actif que passif, créancier plus que débiteur. «Nous voulons l'amour de Dieu, oui, mais comme une récompense, plutôt que comme un don».
Redevenir enfant grâce à l’Esprit Saint
Le cardinal invite à se faire violence et à mettre de côté «l'expérience, l'amertume, les déceptions de la vie qui nous rendent prudents, méfiants, parfois cyniques» pour s’exclamer «nous avons cru à l’amour», à avoir «une foi incrédule», par instinct, comme savent le faire les enfants. Jésus recommande souvent de devenir comme des enfants afin d'entrer dans son Royaume, note-t-il.
Mais comment nous émerveiller comme des enfants ? Ce n’est la pas le résultat d’un effort humain ou d’une excitation du cÅ“ur. À Nicodème qui s’interroge, Jésus répond: «personne, à moins de naître de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jn 3, 5). Il ne s’agit pas que du baptême de l’eau mais aussi, précise le prédicateur, d’un baptême dans l’Esprit «qui peut se reproduire plusieurs fois au cours de la vie». L’Esprit saint est en effet l’amour à un degrés infini, «la vie, la douceur, le feu, la béatitude qui circule dans la Trinité». Les apôtres en firent l’expérience bouleversante à la Pentecôte.
«L'amour de Dieu a un aspect objectif que nous nommons grâce sanctifiante, ou charité infuse, mais il comporte aussi un élément subjectif, une répercussion existentielle», dit le cardinal Cantalamessa. Le don du ‘cÅ“ur nouveau’ ne se fait pas sous anesthésie générale, et un changement soudain s’opère, poursuit-il. «Plus de peur, de rivalité, de timidité ; des hommes nouveaux, prêts à se lancer sur les chemins du monde et à donner leur vie pour le Christ».
La charité édifie
Elle construit l’édifice de Dieu qu’est l’Église, et en constitue sa réalité invisible et pérenne. «Lorsque les Écritures, la foi, l'espérance, les charismes, les ministères et tout le reste cessent, la charité demeure», comme lorsque l’on enlève l'échafaudage qui a servi à construire un bâtiment et que celui-ci apparaît dans toute sa gloire.
Quand saint Ignace d’Antioche dit que «l'Église de Rome est celle qui préside à la charité (agape)», il n’énonce pas que la primauté de Rome, mais aussi la manière de gouverner, affirme le prédicateur. Le cardinal Cantalamessa qui précise que c’est ce qu’entend faire l’Église encore aujourd’hui en choisissant «le dialogue fraternel, la synodalité et le service comme méthode de gouvernement».
Promouvoir la doctrine sociale de l’Église
La charité construit la société spirituelle qu'est l'Église, mais aussi la société civile. «Le sentiment social est né sur un sol irrigué par l'Évangile». Le capucin note que dans les premiers siècles et tout au long du Moyen-Âge, le moyen par excellence pour agir dans la sphère sociale et aller vers les pauvres était l'aumône, «une valeur biblique qui conserve toujours sa pertinence» bien qu’elle maintienne le pauvre dans son état de dépendance.
«S’il revient aux politiciens et aux économistes d'initier des processus structurels qui réduiront l'écart scandaleux entre un petit nombre de mégariches et le nombre incalculable de déshérités de la planète, il revient aux chrétiens - comme moyen ordinaire - de créer dans le cÅ“ur de l'homme les conditions pour que cela advienne», en promouvant la doctrine sociale de l’Église.
Un frein à la déshumanisation
Le cardinal Cantalamessa souligne enfin un autre effet bénéfique de la charité sur la société. Parce qu’elle suppose la capacité et la prédisposition naturelle de l'être humain à aimer et à être aimé, elle peut «sauver aujourd’hui d’une tendance lourde qui conduirait, si elle n'est pas corrigée, à une véritable déshumanisation». Un robot aimera-t-il jamais ? Aimer est le propre de l’homme créé à l’image de Dieu qui est amour.
Avec la naissance du Sauveur, a conclu le prédicateur, l'amour du Père «est vraiment devenu un enfant, nous savons qu'il est maintenant une réalité, un événement, voire une personne». La plus belle chose à faire en ce temps de Noël n'est donc pas seulement d'offrir quelque chose à Dieu «mais d'accueillir avec émerveillement le don que Dieu le Père fait au monde de son propre Fils».
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