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Le Pape François lors de son voyage apostolique en Colombie, en septembre 2017 Le Pape François lors de son voyage apostolique en Colombie, en septembre 2017 

La nouvelle constitution apostolique et le fil rouge de l'é±¹²¹²Ô²µÃ©±ô¾±²õ²¹³Ù¾±´Ç²Ô

Comment décrypter Praedicate Evangelium, la nouvelle constitution apostolique par laquelle le Pape François légifère sur la Curie romaine et son service de l’Église universelle ? Entretien avec Mgr Patrick Valdrini, professeur émérite de droit canonique à l’université pontificale du Latran.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

François a choisi une date symbolique pour promulguer ce document majeur de son pontificat. Le 19 mars, en la solennité de saint Joseph, patron de l’Église universelle, qu’il affectionne particulièrement, et neuf ans jour pour jour après le début de son ministère pétrinien. Avec , constitution apostolique sur la Curie romaine et son service de l’Église universelle, le Saint-Père parachève le grand chantier de réformes qu’il a lancé dès 2013 au sein du Vatican. Les remaniements structurels s’accompagnent d’un changement de style qui porte bien l’empreinte du Souverain Pontife argentin. «La réforme n’est pas une fin en soi, mais un moyen de donner un témoignage chrétien fort», lit-on dans le préambule.


Ce document s’inscrit visiblement dans la lignée de la première exhortation apostolique de François, publiée en 2013, . Mais on peut aussi établir un lien avec les précédentes constitutions, comme nous l’explique Mgr Patrick Valdrini, professeur émérite de droit canonique à l’université pontificale du Latran.

Entretien avec Mgr Patrick Valdrini

C’est une constitution qui s’inscrit parfaitement dans les quatre précédentes. La Curie romaine dans sa forme actuelle, a été donnée par Sixte Quint en 1588 par une première constitution. Une deuxième a été faite par Pie X en 1910. Il y a ensuite eu Paul VI après le Concile Vatican II, Jean-Paul II en 1988, et François. En réalité, cette constitution ressemble beaucoup plus aux deux dernières, car il a voulu en quelque sorte l’adapter et en faire une constitution «François». Les changements viennent d’une part de l’orientation qu’il a voulu lui-même donner à l’Église, depuis qu’il a été élu Pape, et viennent aussi de sa personnalité, car la Curie romaine est comme le Pape. Il y a une phrase de Jean-Paul II qui l’exprime bien : «La Curie romaine est relative au Pape».

Dans le cas présent, il est clair que lorsqu’on lit Evangelii Gaudium du début du pontificat, et on lit cette constitution apostolique, on retrouve la même orientation, la même veine, C’est-à-dire l’évangélisation. Le titre est très important, Praedicate Evangelium. Le premier numéro rappelle la finalité de l’Église, son orientation. Il inscrit la mission de l’Église dans le mandat du Christ – «annoncez l’Évangile» - et on parle immédiatement après du lavement des pieds : c’est la pensée profonde de François sur l’Église. Ceci est un point de changement, mais il n’était pas absent de la constitution précédente de Jean-Paul II, et n’était pas absent non plus de la constitution de Paul VI. Mais l’accent n’y était pas mis aussi fortement que dans celle-ci.

Y a-t-il d’autres points à partir desquels on peut établir un lien avec le pontificat de François ?

C’est le point de la synodalité. François restera certainement dans l’Histoire le Pape qui a le plus promu l’idée de synodalité. Or lorsqu’il a célébré les 50 ans du Synode des évêques en 2015, il a fait un très important discours dans lequel il disait que la synodalité doit être promue au sein de chaque dicastère. C’est pratiquement ce qui ressort de cette constitution, où il dit que la réforme de la Curie doit prévoir la contribution de tous, dont les laïcs, jusqu’à un rôle de gouvernement et de responsabilité. Lorsqu’il parle de la communion, à l’intérieur des dicastères, qui doit être un signe de la communion de l’Église, laquelle est un signe et un sacrement de ce que Dieu veut faire de l’humanité, c’est le fondement même de la synodalité.

Ce sont deux points essentiels : l’évangélisation et la synodalité. Or on retrouve ceux-ci dans Evangelii Gaudium, et aussi dans tout ce qu’il a fait, y compris et en particulier le Synode qui a commencé et se terminera en 2023.

Il y a une insistance sur la synodalité, mais dans ce cas, comment comprendre que le principal dicastère de la Curie, celui de l’Évangélisation, soit pris en main par le Pape lui-même ?

Ce point est très intéressant. Le Pape a sûrement voulu délivrer un message. Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que le Pape est à la tête d’un dicastère. Le Pape a été pendant quatre siècles – jusqu’à Jean-Paul II – le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. C’était un lieu extrêmement sensible, dans lequel il fallait que celui [qui le dirige] s’implique beaucoup pour maintenir l’unité dans l’Église. Le message qu’il délivre est que, bien sûr, la foi est très importante et la congrégation elle-même est très importante – elle a toujours été la première dans la liste, depuis la constitution de 1588, la première congrégation (on ne parlait pas de dicastère à l’époque) était la Doctrine de la Foi -, mais cette fois-ci le message est que «le premier dicastère est celui pour l’Évangélisation, et je le tiens à ce point important que j’en serai le préfet».

Vous l’avez rapidement évoqué, on parle maintenant de dicastère et non plus de congrégation, ce changement sémantique a-t-il son importance ?

Il y a une importance pour les juristes en particulier. Dans la constitution de Jean-Paul II, on faisait une distinction entre les congrégations et les conseils pontificaux. Les préfets bénéficiaient d’un pouvoir de gouvernement, et dans les conseils pontificaux – à part le Conseil pontifical pour les Laïcs – il n’y avait pas de pouvoir de gouvernement. Dès lors qu’on a voulu refaire tous les ensembles, on a voulu sortir de cette distinction qui était assez étroite, et on a supprimé le mot «congrégation» et l’expression «conseil pontifical», et on a utilisé un mot beaucoup plus large, «dicastère», qui signifie en gros «ministère», un grand organisme qui a une finalité, une fonction. C’est une nouveauté tout à fait relative et qui a un fondement juridique.

Et que peut-on retenir de la préparation de cette constitution ?

Dans l’un des articles du début de Pastor Bonus, Jean-Paul II explique comment il fait pour créer ce texte. Il a fait deux consistoires généraux avec des cardinaux, ensuite une grande consultation, en premier lieu auprès de toutes les personnes des dicastères de la Curie romaine – des congrégations et des conseils pontificaux -, et ensuite il a fait une commission spéciale de cardinaux pour préparer ce texte, sur lequel il a travaillé et qu’ensuite il a publié.

Dans le cas de François, c’est absolument différent. Il a créé un conseil de cardinaux – et non pas conseil «des» cardinaux – en vue de l’aider à préparer la réforme de la Curie, et pour le reste, c’est lui qui a mené directement les opérations. Donc c’est un texte qui est vraiment lié à la volonté du Pape, ce qui ne veut pas dire que Pastor Bonus ne l’était pas, mais il y avait eu la médiation d’un très grand travail au sein de la Curie romaine. Dans ce cas, c’est vraiment François qui a conduit la réforme de la Curie. C’est un point assez important, d’une grande originalité, dans la préparation des constitutions apostoliques qui ont concerné la Curie romaine.


Praedicate Evangelium concerne directement la Curie romaine, mais quels effets pourrait-elle avoir au niveau des Églises locales, et finalement pour l’ensemble des fidèles ?

Il y a un renforcement net quant à l’insistance sur les rapports avec les Églises locales. On a une introduction sur l’importance que doivent avoir les relations de la Curie avec les Églises locales, les conférences des évêques, et les structures de regroupement – comme les unions de conférences des évêques. On parle aussi, ne l’oublions pas, du monde oriental, donc des structures hiérarchiques de regroupement orientales.

C’est une nouveauté qui vient du fait que la Curie romaine est directement liée à l’action du Pape, qui est le primat, mais indirectement et par le primat à la collégialité épiscopale, c’est-à-dire au Collège des évêques, à l’ensemble des évêques qui sont dispersés dans le monde. La Curie n’a pas seulement le rapport d’un organisme qui représente l’action du Pape - ou qui agit en son nom - vis-à-vis de chacun des évêques, mais c’est aussi celui envers les conférences des évêques, ou les regroupements de ces évêques.

C’est un point nouveau : dans la constitution apostolique de Jean-Paul II, on n’insistait pas sur les rapports avec les conférences des évêques. Cette fois-ci, c’est vraiment inscrit dans le texte. C’est à relier nécessairement à Evangelii Gaudium, et cela ouvre aussi, aux personnes qui en ont la compétence – théologiens, ecclésiologues, canonistes… -, la possibilité d’une recherche sur ce point, pour éclairer sur ce que veut dire le Pape.

L’entrée en vigueur de cette nouvelle constitution est prévue le 5 juin prochain, pour la Pentecôte – c’est là aussi très symbolique. Que va-t-il se passer d’ici là et quelles seront les premières étapes de sa mise en Å“uvre ?

Jusqu’à la Pentecôte, les dicastères vont travailler sur ce que cela change en matière d’organisation, de structuration, en particulier le grand dicastère pour l’Évangélisation, qui réunit la Congrégation pour l’évangélisation des peuples – l’un des plus grands dicastères de la Curie romaine – et le Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation. Dans ce cas-là, il y a une restructuration importante de l’organisation interne, donc du travail et des personnes. Cela nécessite un travail pour réfléchir à la manière dont ils vont travailler et agir ensemble.

Cela aura aussi des conséquences sur deux grands textes : d’une part le règlement intérieur de la Curie romaine, qui va certainement être remis en chantier, et d’autre part les règlements internes de travail de chacun des dicastères.

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21 mars 2022, 15:49