La nouvelle constitution apostolique et le fil rouge de l'¨¦±¹²¹²Ô²µ¨¦±ô¾±²õ²¹³Ù¾±´Ç²Ô
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani ¨C Cité du Vatican
François a choisi une date symbolique pour promulguer ce document majeur de son pontificat. Le 19 mars, en la solennité de saint Joseph, patron de l¡¯Église universelle, qu¡¯il affectionne particulièrement, et neuf ans jour pour jour après le début de son ministère pétrinien. Avec , constitution apostolique sur la Curie romaine et son service de l¡¯Église universelle, le Saint-Père parachève le grand chantier de réformes qu¡¯il a lancé dès 2013 au sein du Vatican. Les remaniements structurels s¡¯accompagnent d¡¯un changement de style qui porte bien l¡¯empreinte du Souverain Pontife argentin. «La réforme n¡¯est pas une fin en soi, mais un moyen de donner un témoignage chrétien fort», lit-on dans le préambule.
Ce document s¡¯inscrit visiblement dans la lignée de la première exhortation apostolique de François, publiée en 2013, . Mais on peut aussi établir un lien avec les précédentes constitutions, comme nous l¡¯explique Mgr Patrick Valdrini, professeur émérite de droit canonique à l¡¯université pontificale du Latran.
C¡¯est une constitution qui s¡¯inscrit parfaitement dans les quatre précédentes. La Curie romaine dans sa forme actuelle, a été donnée par Sixte Quint en 1588 par une première constitution. Une deuxième a été faite par Pie X en 1910. Il y a ensuite eu Paul VI après le Concile Vatican II, Jean-Paul II en 1988, et François. En réalité, cette constitution ressemble beaucoup plus aux deux dernières, car il a voulu en quelque sorte l¡¯adapter et en faire une constitution «François». Les changements viennent d¡¯une part de l¡¯orientation qu¡¯il a voulu lui-même donner à l¡¯Église, depuis qu¡¯il a été élu Pape, et viennent aussi de sa personnalité, car la Curie romaine est comme le Pape. Il y a une phrase de Jean-Paul II qui l¡¯exprime bien : «La Curie romaine est relative au Pape».
Dans le cas présent, il est clair que lorsqu¡¯on lit Evangelii Gaudium du début du pontificat, et on lit cette constitution apostolique, on retrouve la même orientation, la même veine, C¡¯est-à-dire l¡¯évangélisation. Le titre est très important, Praedicate Evangelium. Le premier numéro rappelle la finalité de l¡¯Église, son orientation. Il inscrit la mission de l¡¯Église dans le mandat du Christ ¨C «annoncez l¡¯Évangile» - et on parle immédiatement après du lavement des pieds : c¡¯est la pensée profonde de François sur l¡¯Église. Ceci est un point de changement, mais il n¡¯était pas absent de la constitution précédente de Jean-Paul II, et n¡¯était pas absent non plus de la constitution de Paul VI. Mais l¡¯accent n¡¯y était pas mis aussi fortement que dans celle-ci.
Y a-t-il d¡¯autres points à partir desquels on peut établir un lien avec le pontificat de François ?
C¡¯est le point de la synodalité. François restera certainement dans l¡¯Histoire le Pape qui a le plus promu l¡¯idée de synodalité. Or lorsqu¡¯il a célébré les 50 ans du Synode des évêques en 2015, il a fait un très important discours dans lequel il disait que la synodalité doit être promue au sein de chaque dicastère. C¡¯est pratiquement ce qui ressort de cette constitution, où il dit que la réforme de la Curie doit prévoir la contribution de tous, dont les laïcs, jusqu¡¯à un rôle de gouvernement et de responsabilité. Lorsqu¡¯il parle de la communion, à l¡¯intérieur des dicastères, qui doit être un signe de la communion de l¡¯Église, laquelle est un signe et un sacrement de ce que Dieu veut faire de l¡¯humanité, c¡¯est le fondement même de la synodalité.
Ce sont deux points essentiels : l¡¯évangélisation et la synodalité. Or on retrouve ceux-ci dans Evangelii Gaudium, et aussi dans tout ce qu¡¯il a fait, y compris et en particulier le Synode qui a commencé et se terminera en 2023.
Il y a une insistance sur la synodalité, mais dans ce cas, comment comprendre que le principal dicastère de la Curie, celui de l¡¯Évangélisation, soit pris en main par le Pape lui-même ?
Ce point est très intéressant. Le Pape a sûrement voulu délivrer un message. Ce n¡¯est pas la première fois dans l¡¯Histoire que le Pape est à la tête d¡¯un dicastère. Le Pape a été pendant quatre siècles ¨C jusqu¡¯à Jean-Paul II ¨C le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. C¡¯était un lieu extrêmement sensible, dans lequel il fallait que celui [qui le dirige] s¡¯implique beaucoup pour maintenir l¡¯unité dans l¡¯Église. Le message qu¡¯il délivre est que, bien sûr, la foi est très importante et la congrégation elle-même est très importante ¨C elle a toujours été la première dans la liste, depuis la constitution de 1588, la première congrégation (on ne parlait pas de dicastère à l¡¯époque) était la Doctrine de la Foi -, mais cette fois-ci le message est que «le premier dicastère est celui pour l¡¯Évangélisation, et je le tiens à ce point important que j¡¯en serai le préfet».
Vous l¡¯avez rapidement évoqué, on parle maintenant de dicastère et non plus de congrégation, ce changement sémantique a-t-il son importance ?
Il y a une importance pour les juristes en particulier. Dans la constitution de Jean-Paul II, on faisait une distinction entre les congrégations et les conseils pontificaux. Les préfets bénéficiaient d¡¯un pouvoir de gouvernement, et dans les conseils pontificaux ¨C à part le Conseil pontifical pour les Laïcs ¨C il n¡¯y avait pas de pouvoir de gouvernement. Dès lors qu¡¯on a voulu refaire tous les ensembles, on a voulu sortir de cette distinction qui était assez étroite, et on a supprimé le mot «congrégation» et l¡¯expression «conseil pontifical», et on a utilisé un mot beaucoup plus large, «dicastère», qui signifie en gros «ministère», un grand organisme qui a une finalité, une fonction. C¡¯est une nouveauté tout à fait relative et qui a un fondement juridique.
Et que peut-on retenir de la préparation de cette constitution ?
Dans l¡¯un des articles du début de Pastor Bonus, Jean-Paul II explique comment il fait pour créer ce texte. Il a fait deux consistoires généraux avec des cardinaux, ensuite une grande consultation, en premier lieu auprès de toutes les personnes des dicastères de la Curie romaine ¨C des congrégations et des conseils pontificaux -, et ensuite il a fait une commission spéciale de cardinaux pour préparer ce texte, sur lequel il a travaillé et qu¡¯ensuite il a publié.
Dans le cas de François, c¡¯est absolument différent. Il a créé un conseil de cardinaux ¨C et non pas conseil «des» cardinaux ¨C en vue de l¡¯aider à préparer la réforme de la Curie, et pour le reste, c¡¯est lui qui a mené directement les opérations. Donc c¡¯est un texte qui est vraiment lié à la volonté du Pape, ce qui ne veut pas dire que Pastor Bonus ne l¡¯était pas, mais il y avait eu la médiation d¡¯un très grand travail au sein de la Curie romaine. Dans ce cas, c¡¯est vraiment François qui a conduit la réforme de la Curie. C¡¯est un point assez important, d¡¯une grande originalité, dans la préparation des constitutions apostoliques qui ont concerné la Curie romaine.
Praedicate Evangelium concerne directement la Curie romaine, mais quels effets pourrait-elle avoir au niveau des Églises locales, et finalement pour l¡¯ensemble des fidèles ?
Il y a un renforcement net quant à l¡¯insistance sur les rapports avec les Églises locales. On a une introduction sur l¡¯importance que doivent avoir les relations de la Curie avec les Églises locales, les conférences des évêques, et les structures de regroupement ¨C comme les unions de conférences des évêques. On parle aussi, ne l¡¯oublions pas, du monde oriental, donc des structures hiérarchiques de regroupement orientales.
C¡¯est une nouveauté qui vient du fait que la Curie romaine est directement liée à l¡¯action du Pape, qui est le primat, mais indirectement et par le primat à la collégialité épiscopale, c¡¯est-à-dire au Collège des évêques, à l¡¯ensemble des évêques qui sont dispersés dans le monde. La Curie n¡¯a pas seulement le rapport d¡¯un organisme qui représente l¡¯action du Pape - ou qui agit en son nom - vis-à-vis de chacun des évêques, mais c¡¯est aussi celui envers les conférences des évêques, ou les regroupements de ces évêques.
C¡¯est un point nouveau : dans la constitution apostolique de Jean-Paul II, on n¡¯insistait pas sur les rapports avec les conférences des évêques. Cette fois-ci, c¡¯est vraiment inscrit dans le texte. C¡¯est à relier nécessairement à Evangelii Gaudium, et cela ouvre aussi, aux personnes qui en ont la compétence ¨C théologiens, ecclésiologues, canonistes¡ -, la possibilité d¡¯une recherche sur ce point, pour éclairer sur ce que veut dire le Pape.
L¡¯entrée en vigueur de cette nouvelle constitution est prévue le 5 juin prochain, pour la Pentecôte ¨C c¡¯est là aussi très symbolique. Que va-t-il se passer d¡¯ici là et quelles seront les premières étapes de sa mise en ?uvre ?
Jusqu¡¯à la Pentecôte, les dicastères vont travailler sur ce que cela change en matière d¡¯organisation, de structuration, en particulier le grand dicastère pour l¡¯Évangélisation, qui réunit la Congrégation pour l¡¯évangélisation des peuples ¨C l¡¯un des plus grands dicastères de la Curie romaine ¨C et le Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation. Dans ce cas-là, il y a une restructuration importante de l¡¯organisation interne, donc du travail et des personnes. Cela nécessite un travail pour réfléchir à la manière dont ils vont travailler et agir ensemble.
Cela aura aussi des conséquences sur deux grands textes : d¡¯une part le règlement intérieur de la Curie romaine, qui va certainement être remis en chantier, et d¡¯autre part les règlements internes de travail de chacun des dicastères.
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