蜜桃交友

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani 鈥� Cité du Vatican

Il y a onze ans, le 12 janvier 2010, un séisme dramatique en Haïti coûtait la vie à 222 000 personnes. La majorité des habitants vivent aujourd鈥檋ui sous le seuil de pauvreté, la reconstruction reste inachevée et la violence est endémique. Depuis l'automne les enlèvements contre rançon sont en recrudescence, et la communauté catholique n鈥檈st pas épargnée: une religieuse a ainsi été enlevée le 8 janvier dernier, puis libérée deux jours plus tard. Le marasme politique alimente cette instabilité. Le président Jovenel Moïse, largement contesté par la population, gouverne désormais par décret. Un référendum constitutionnel et des scrutins présidentiel, législatifs et locaux devraient se tenir d鈥檌ci la fin de l鈥檃nnée, mais leur organisation est un véritable défi.

Dans ce contexte, le Saint-Siège joue un important rôle de médiation politique et de soutien à l鈥�Église locale. C鈥檈st ce dont témoigne Mgr Eugene Nugent, nonce apostolique en Haïti depuis 2015. Ce prélat irlandais achève sa mission dans quelques semaines. Le 7 janvier dernier, le Pape François l鈥檃 en effet désigné pour représenter le Saint-Siège au Koweït et au Qatar. Avant de rejoindre ces pays du Golfe, il nous confie ce qui a marqué son expérience en terre haïtienne:

Quand je suis arrivé en 2015, nous étions en pleine phase de reconstruction des églises, après le séisme dévastateur de 2010. J鈥檃i reçu le mandat de travailler étroitement avec la Conférence épiscopale, pour la reconstruction des églises, des presbytères, des couvents. Nous avons créé un organisme au sein de la Conférence épiscopale pour la bonne utilisation des fonds. J鈥檃i continué le bon travail que mon prédécesseur, Mgr Auza, avait commencé après le séisme. Nous avons déjà terminé la reconstruction d鈥檜ne trentaine 鈥� je pense 鈥� d鈥�églises, de couvents, de presbytères. Et il reste encore beaucoup à faire, bien sûr.

Quel regard portez-vous sur les cinq années passées ici, en Haïti?

C鈥�étaient des années intenses. La vie en Haïti est toujours intense, surtout sur le plan pastoral, bien sûr. J鈥檃i visité tous les diocèses du pays, et certains diocèses plusieurs fois, pour des ordinations, des fêtes patronales鈥� La vie diplomatique est elle aussi très intense, la vie politique. Il y a eu un moment très difficile en Haïti, le mois de juillet 2018: le pays a été verrouillé pendant trois jours, personne ne pouvait sortir à cause des manifestations. Après cela, il y a eu toute une série de manifestations, presque tous les jours, jusqu鈥檃u mois de décembre. La nonciature a accueilli le parti du gouvernement et l鈥檕pposition, pour une série de rencontres. C鈥�était un moment très intéressant, très fort pour moi.

Quelle richesse tirez-vous de cette expérience, au niveau spirituel, ecclésial, et aussi en tant que représentant du Pape?

 Ce que j鈥檃i trouvé extraordinaire et très enrichissant, ce sont surtout les rencontres que j鈥檃i eues avec les gens, disons simples, surtout dans les bidonvilles. Des gens très pauvres, qui vivent vraiment dans la misère. J鈥檃i passé plusieurs dimanches à visiter un orphelinat, géré par une s艙ur italienne, et beaucoup d鈥檃utres 艙uvres. Ça m鈥檃 beaucoup touché. Je pense que cette rencontre directe avec les jeunes, les enfants, les femmes, qui vivent vraiment dans une situation 鈥渋nfra-humaine鈥�, a marqué ma vie.

Haïti est marquée par la violence, la pauvreté, les enlèvements, les révoltes, au quotidien. Pour quelles raisons le pays s鈥檈nfonce-t-il dans cette violence?

Il y a beaucoup d鈥檌njustices, des inégalités économiques et sociales. Une petite élite gère les richesses du pays depuis longtemps. Et puis, c鈥檈st bien connu: en Haïti, il y a beaucoup de corruption, de mal-gouvernance, mauvaise gestion, mauvaise administration, un gaspillage des fonds publics, des ressources naturelles et humaines. Les gens se sentent abandonnés, donc cela provoque de la violence. Il y a des gangs, surtout dans les bidonvilles, qui contrôlent les quartiers. Ces derniers temps, surtout depuis quelques mois, il y a des enlèvements presque chaque jour. Il y a deux semaines, j鈥檃i visité un prêtre religieux haïtien qui a été enlevé pendant trois jours. C鈥�était vraiment effrayant d鈥檈ntendre son récit.

Vous allez passer de Haïti au Koweït et Qatar, d鈥檜n pays parmi les plus pauvres du monde à deux pays parmi les plus riches. Comment envisagez-vous ce changement, ce contraste?

Avec beaucoup de prière. Je vais me confier surtout à saint Joseph 鈥� cette année est l鈥檃nnée saint Joseph, le patron de l鈥�Église -, j鈥檃i toujours eu une grande dévotion et à la Vierge Marie, donc je suis sûr que j鈥檃urai leur protection.

Mon premier poste était en Turquie: j鈥檃i passé quatre ans en Turquie, en ayant donc cette expérience d鈥檜n pays musulman. Ensuite, j鈥檃i été en Israël et en Palestine, une expérience avec des juifs et des musulmans en Terre Sainte. Quand j鈥�étais à Madagascar, j鈥�étais le délégué apostolique pour les îles de Comores, un pays musulman. J鈥檃i donc cette petite expérience des pays musulmans, et j鈥檈spère que cela va m鈥檃ider pour commencer mon travail au Koweït et au Qatar, avec beaucoup de simplicité et de grâce鈥� Je demande au Seigneur d鈥檕uvrir le c艙ur des personnes pour un dialogue sincère et fraternel.

On sait que cette région compte beaucoup aux yeux du Pape qui veut approfondir le dialogue avec les musulmans. Savez-vous quelle mission vous attend, quels premiers défis vous aurez à relever?

Normalement, quand un nonce est nommé pour un autre pays, il doit passer par Rome pour recevoir des instructions. Mais à cause de la pandémie, je ne pourrai probablement pas aller à Rome, j鈥檌rai directement au Koweït. Là, on m鈥檈nverra les instructions, et c鈥檈st seulement à ce moment-là que je comprendrai mieux, plus en détails en tous cas, les attentes du Saint-Père et du Saint-Siège concernant cette nouvelle mission. Le Saint-Père insiste beaucoup sur le dialogue, l鈥檕uverture, la fraternité. Je vais essayer, avec mes pauvres moyens, de promouvoir le dialogue selon les lignes que le Saint-Père nous a indiquées, selon son enseignement.