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La rencontre entre François d'Assise et le Sultan d'Égypte Al-Kamil, en 1219. La rencontre entre François d'Assise et le Sultan d'Égypte Al-Kamil, en 1219. 

“Fratres omnes” – Tous frères et sœurs

Le titre de la troisième encyclique du Pape François, avec son incipit “Fratelli tutti”, suscite des réactions parfois fortes. De fait, François d'Assise, qui est ici cité, s'adresse à tous les croyants, frères et sœurs dans le monde entier. La contribution suivante illustre la source qui donne son nom à la nouvelle encyclique et demande des traductions soignées.

Niklaus Kuster – L’Osservatore Romano

Déjà plusieurs semaines avant que la troisième encyclique du Pape François ne soit signée à Assise et que le texte en soit publié un débat s'est déchaîné sur son titre. Dans la zone de culture allemande, il y a des femmes qui se proposent de ne pas lire un écrit qui s'adresse seulement à «tous les frères». Les traductions peu sensibles ignorent que dans l'œuvre citée, François d'Assise s'adresse aussi bien aux femmes qu'aux hommes. L’auteur médiéval soutient, comme la nouvelle encyclique, une fraternité universelle. Le Pape François met en lumière une perle spirituelle du Moyen-Âge capable de surprendre les lectrices et les lecteurs modernes.

Une citation de Frère François

À l'annonce de l'encyclique, la réaction des médias a été à juste titre celle de se demander si le Pape François place une citation discriminante au début de sa troisième encyclique. Comment est-il possible que celui, dont les premières paroles publiques après son élection ont été «frères et sœurs», s'adresse à présent seulement à «tous les frères»? Pourquoi est-ce que l’incipit, en excluant les femmes, exclut la moitié de l'Église?

«Seulement les frères – ou quoi d'autre?», demande une contribution critique de Roland Juchem. Le directeur du service Vatican de la KNA explique que la nouvelle encyclique commence consciemment par les paroles du mystique médiéval d'Assise, qui ont été fidèlement traduites. Du moment que Frère François s'adresse à ses frères, l’expression “omnes fratres” doit être formulée au masculin. Cependant, selon cette logique la traduction correcte serait “tous les frères”! Et le texte serait alors lu par une minorité infinitésimale dans l'Église. Le Pape François commence sa nouvelle encyclique par une maxime de sagesse de son modèle. Ceux qui avec une présumée fidélité au texte insistent sur une traduction seulement masculine, ne reconnaissent pas le vrai destinataire du recueil médiéval: François d'Assise, avec la composition finale de ses “admonitions”, s'adresse à toutes les femmes et tous les hommes chrétiens. Les traductions dans les langues modernes doivent l'exprimer de manière précise et immédiatement compréhensible.

Un recueil de maximes de sagesse

Si l'encyclique citait dans son incipit le Cantique de Frère Soleil composé par le Poverello dans la langue vulgaire médiévale, la troisième encyclique du Pape renvoie à un recueil de ses maximes de sagesse. La source utilisée par le Pape François dans les éditions modernes des écrits franciscains porte le titre Admonitiones. L’expression “admonitions” est réductive, car tous les 28 enseignements spirituels comprennent également de nombreuses béatitudes, un bref traité et même un cantique à la force des dons de l'Esprit. De fait, l'édition hollandaise préfère parler de “W𾱻ܰ” (maximes de sagesse).

Le fait qu'elles s'adressent aux frères vaut pour la genèse de chaque maxime, non pour le recueil successif. Quand les traducteurs se basent sur le fait que toutes les éditions standards des écrits franciscains dans toutes les langues du monde, traduisent l’omnes fratres de la maxime citée dans la forme masculine, ils ne saisissent qu'une demi- vérité. En d'autres termes: la traduction littéraire de la phrase latine ne reflète pas la pleine signification que le texte entend exprimer dans sa forme finale. Dans l'édition française des Sources Franciscaines, la sixième admonition commence par ces mots: «Considérons, tous les frères, le bon Pasteur qui, pour sauver ses brebis, a supporté la passion de la croix». On peut déjà noter ici que l'image du pasteur et de son troupeau utilisée dans le texte comprend l'Église tout entière, et pas seulement un groupe de frères. Pour reconnaître le destinataire final du recueil de textes cité par le Pape François, il faut distinguer entre la naissance des diverses parties du texte et leur composition finale. Dans cette dernière, le mot fratres s'élargit du petit cercle de la fraternitas franciscaine à toute l'Eglise.

Du morceau du puzzle au tableau complet

L'allocution citée provient d'un recueil qui reflète des discussions spirituelles entre les frères Mineurs et les conclusions qu'ils ont mûries. La composition d'ensemble élargit l'horizon au-delà du petit cercle initial. Chacune des maximes est adressée aux frères de François, aux religieux en général et également à toutes les personnes au service de Dieu (servi Dei). Dans les dernières années de sa vie, François d'Assise rassembla 28 enseignements spirituels soigneusement sélectionnés pour former un cycle qui conduit à un édifice spirituel et qui rappelle la “maison de la Sagesse” biblique, avec ses “colonnes dressées”. Le nombre symbolique 28 est composé par 4 x 7: le quatre indique le monde et le sept la création de Dieu, le 28 représente symboliquement l'Église universelle comme  œuvre de Dieu. Qui entrerait sous un portique édifié de manière artistique et se contenterait de regarder une seule colonne? Dans cet édifice spirituel toutes les personnes sont invitées, sans exception, et, de fait, chacune des paroles s'adressent à tous.

Omnes fratres

En ouverture du recueil final, la première admonitio parle effectivement de l’eucharistie, mais elle s'adresse également de manière programmatique à toutes les filles et «fils des hommes»: ainsi, le texte latin de ce bref traité indique que l'horizon de l'espérance s'ouvre sur toute l'Église et tous les membres de l'humanité. Dans leur parcours à travers la maison de la Sagesse, ils découvriront un chemin vers une «vie qui rend heureux».

De fait, au centre de ce cycle de leçons spirituelles, François d'Assise commente des béatitudes bibliques, qui sont elles aussi adressées à toutes les personnes, en y ajoutant dix béatitudes qui lui sont propres. Le Pape François ne met pas en lumière un seul texte, mais un recueil entier de textes, déjà défini par Kajetan Esser comme la “Magna Carta” de la fraternité chrétienne. Le sous-titre de l'encyclique rend évident que celle-ci s'adresse, comme le sur la fraternité universelle, au-delà de la propre Église, à l'humanité: le Pape François écrit «sur la fraternité et l'amitié sociale», qui doit unir, sans aucune exclusion, toutes les personnes dans un monde solidaire.

De “f&𲵰;” à “frères et sœurs”

La raison pour laquelle le Pape François avec sa vision fraternelle de l'humanité fait à justement référence à son modèle François d'Assise et place une citation fraternelle au début de son encyclique peut être brièvement illustrée. Les écrits du saint transmis contiennent un recueil de lettres, dont certaines sont adressées à des frères en particulier (Leone, Antonio, responsables du gouvernement), d'autres à toute la fraternitas des Mineurs et à tous les fidèles. Une lettre circulaire particulière étend en revanche l'horizon à l'universel et s'adresse «à tous les podestats et consuls, juges et recteurs de toutes les terres, et à tous les autres à qui ces lettres parviendront...».

Aucun Pape ni aucun empereur du haut Moyen-Âge ne s'est adressé de manière aussi universelle à l'humanité. Dans la Règle de 1221, adressée à ses frères, François insère une invitation à toute l'humanité qui franchit chaque frontière de nation ou de religion: pas seulement les fidèles chrétiens et pas seulement les personnes engagées au niveau ecclésial, mais «toutes les nations et tous les hommes, partout sur la terre, qui sont et qui seront... aimons tous... le Seigneur Dieu». Le mystique élargit son horizon à toute la famille humaine dans la Règle spécifique pour les frères, quelques mois après être arrivé en Égypte lors de la cinquième Croisade et avoir expérimenté de manière impressionnante, à travers la rencontre avec l'islam, qu'il est possible de trouver la sagesse spirituelle et l'amour de Dieu également en dehors de sa propre religion.

La même ouverture universelle a lieu également avec ses maximes de  sagesse, qui dans les Admonitiones sont rassemblées dans un cycle artistique de brèves leçons. Pendant les dernières années de sa vie, François insère celles qui avait été des paroles de sagesse adressées à ses frères dans une composition qui s'adresse à tous les fidèles. Le texte latin ne demande aucun ajout ou modification: l’expression “fratres” utilisée pour les frères comprend également les frères et les sœurs charnels ou spirituels, comme le font encore aujourd'hui “fٱ”, “hԴDz” et “f&𲵰;” dans les langues latines.

Aujourd'hui, la langue allemande distingue entre “B&ܳܳ;” et “Gɾٱ” et également entre “B&ܳܳ;𾱳” (sans les sœurs) et “Gɾٱ𾱳” (avec les sœurs). De manière semblable, la langue anglaise distingue entre "brothers" (purement masculin) et "siblings" (frères et sœurs), ainsi qu'entre "brotherhood" (souvent sans les sœurs) et "fraternity" ou "siblinghood" (qui inclut tous).

Après avoir fait entrer, au début de la première admonition, tous «les fils et les filles de l'homme» dans la belle maison de la Sagesse, ce destinataire universel doit être référé également aux fratres de la sixième admonitio: celle-ci s'adresse à toutes les femmes et les hommes chrétiens, et elle concerne toutes les personnes sur la terre.

Sur la naissance de la source citée

À propos du recueil des 28 Admonitiones, les recherches franciscaines affirment ce qui suit: les textes individuels transmis devraient condenser des discours qui, à l'origine, ont traité de questions relatives à la vie spirituelle et commune dans le domaine des frères. Au cours du temps, certains entretiens ont été résumés par écrit et mis en évidence. Il s'est ainsi produit quelque chose d'analogue à ce qui est arrivé avec les dictons des antiques pères et mères du désert dans le cercle de leurs fidèles, transmis de manière condensée dans les Apophthegmata et dans le Meterikon. Les enseignements de François ont eux aussi été transcrits dans les situations les plus disparates par des compagnons capables d'écrire et condensés dans leur essence. Vers la fin de sa vie, il a lui-même rassemblé ces résultats de discours communs ainsi recueillis dans une œuvre complète, dans laquelle chaque enseignement a acquis une nouvelle dimension et une nouvelle direction.

Ce n'est pas un hasard si le premier enseignement commence par une citation des Écritures: «Le Seigneur Jésus dit à tous ceux qui le suivent: Je suis le chemin, la vérité et la vie». Les portails romans des églises invitent parfois à entrer dans l'édifice en passant avec une figure du Christ sur le tympan et précisément cette même citation dans un livre ouvert. Dans l'édifice spirituel des Admonitiones, après deux enseignements préparatoires, dix maximes de sagesse tracent le chemin vers le lieu de la cène. Celles-ci sont suivies par quatre béatitudes bibliques qui suivent dix autres béatitudes franciscaines, avant que deux enseignements conclusifs ne préparent le retour au quotidien.

Les enseignements s'unissent ainsi pour composer une maison spirituelle de la sagesse qui ressemble à une basilique: à gauche de la nef, douze colonnes conduisent, comme “voie de la vérité” vers la zone de l'autel, dont le baldaquin est soutenu par quatre fines colonnes et définit le lieu de communion intime avec Dieu. Ensuite, de l'autre côté de la nef, douze colonnes reconduisent au portail et marquent la “voie de la vie”. Viaveritasvita sont les clés de la composition d'une œuvre complète, dont les paroles détachées du contexte dans lequel elles sont nées, deviennent un message pour tous les chrétiens, hommes et femmes. Les personnes intéressées par le recueil des Admonitions dont le Pape François tire l’incipit de son encyclique, trouveront prochainement une analyse de la composition et du message complet dans une collection spécialisée de la PTH Münster.

Conclusion

Avec l’incipit de sa troisième encyclique, le Pape François renvoie expressément à François d'Assise. Le patron de son pontificat parle d'une fraternité universelle qui, dans le Cantique de Frère Soleil, s'étend à toutes les personnes et à toutes les créatures. Parmi les lettres circulaires du saint, il y en a une qui s'adresse de manière universelle à toutes les personnes sur la terre. Également dans la Règle de l'Ordre de 1221, composée pour les frères franciscains, il s'adresse à toutes les personnes et à tous les peuples par une invitation à aimer ensemble le Dieu unique.

La sixième admonitio citée par le Pape condense, à partir du contexte dans lequel elle est née, les résultats d'un discours spirituel dans le milieu des frères mineurs. L’enseignement spirituel qui inspire l’incipit de la nouvelle encyclique est cependant inséré par le frère François, vers la fin de sa vie, comme une colonne dans la “maison de la Sagesse”, où les chapiteaux forment des images et correspondent entre eux. Ce ne sont pas seulement les frères, mais tous les croyants et chaque personne sur la terre, qui sont invités à parcourir cet édifice spirituel. L‘“omnes fratres” ou “Fratelli tutti” de l'encyclique doit donc être traduit comme une citation de saint François de manière telle que tous les chrétiens, hommes et femmes, se sentent concernés. Le destinataire du recueil de textes cité s'étend à «tous les frères et les sœurs» que l'on rencontre dans les espaces ecclésiaux réels et imaginaires. Avec cette ouverture, le Pape François également s'adresse avec son encyclique à toutes les personnes sur la terre.

Niklaus Kuster (1962) est un frère capucin suisse, titulaire d'une maîtrise de théologie et un spécialiste renommé de saint François. Il enseigne l'histoire de l'Église à l'université de Lucerne et la spiritualité franciscaine dans les instituts supérieurs de l'ordre à Münster (PTH) et à Madrid (ESEF). Il a rendu hommage au profil franciscain du Pape François dans son livre: Franz von Assisi. Freiheit und Geschwisterlichkeit in der Kirche, (Verlag Echter) Würzburg, 2019.

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23 septembre 2020, 12:28