QuatriĂšme mĂ©ditation de łŠČč°ùĂȘłŸ±đ du pĂšre Cantalamessa
Le prédicateur de la Maison Pontificale a délivré sa dernière méditation dans le cadre des exercices spirituels de carême de la Curie romaine. Comme ces dernières semaines, en raison des mesures de confinement, ce temps d'enseignement a été enregistré depuis la chapelle Redemptoris Mater du palais apostolique. Ce vendredi, le religieux est revenu sur ce thème: «âFemme, voici ton filsâ: Marie mère des croyants» .
Voici le texte intégral de sa méditation:
âA cet endroit tel homme est néâ
Nous continuons et concluions notre contemplation de Marie dans le mystère pascal. Object de notre méditation sera la parole que Jésus du haut de sa croix adresse à sa mère et au disciple quâil aimait:
« Voyant ainsi sa mère et près dâelle le disciple quâil aimait, Jésus dit à sa mère: âFemme, voici ton filsâ. Il dit ensuite au disciple: âVoici ta mèreâ. Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui » (Jn 19, 26-27).
Dans nos considérations sur Marie dans le mystère de lâIncarnation, en Avent, nous avons contemplé Marie comme Mère de Dieu ; dans nos réflexions sur Marie dans le mystère pascal, nous allons la contempler comme Mère des chrétiens et notre Mère.
Précisons dès le départ quâil ne sâagit pas de deux titres ou de deux vérités situés sur le même plan. « Mère de Dieu » est un titre défini solennellement ; il se base sur une maternité réelle et non seulement spirituelle ; il est en lien très étroit et nécessaire avec la vérité centrale de notre foi, à savoir que Jésus est Dieu et homme dans une seule et même personne. Câest un titre universellement reçu dans lâÉglise. « Mère des croyants », ou « notre Mère » indique une maternité spirituelle. Le rapport est moins étroit avec la vérité centrale du credo. On ne peut dire que dans le christianisme il ait été tenu « partout, toujours et par tous ». Il exprime la doctrine et la piété de quelques Églises, en particulier, mais pas uniquement, de lâÉglise catholique.
Saint Augustin nous aide à bien distinguer ressemblance et différence entre les deux maternités de Marie :
« Marie, corporellement, est seulement mère du Christ, alors que spirituellement, parce quâelle fait la volonté de Dieu, elle est pour Jésus sĆur et mère. Mère selon lâesprit, elle ne le fut pas de la Tête qui est le Sauveur lui-même, de laquelle plutôt elle est spirituellement fille. Elle lâest certainement des membres que nous sommes, parce quâelle a coopéré, par sa charité, à la naissance, dans lâÉglise, des fidèles qui sont membres de cette Tête »[1]
Au cours de cette méditation nous voudrions découvrir toute la richesse que comporte ce titre, quel don du Christ il exprime : ainsi nous serons en mesure non seulement dâattribuer à Marie cet honneur de plus, mais de nous édifier dans la foi et de croître dans lâimitation du Christ.
La maternité spirituelle, de manière analogue à la maternité physique, se réalise en deux moments et deux actes: conception et enfantement. Aucun des deux ne suffit à lui seul. Marie a connu ces deux moments : spirituellement elle nous a conçus et enfantés. Elle nous a conçus, câest-à-dire accueillis en elle quand, peut-être au moment même de lâAnnonciation, et certainement par la suite, au fur et à mesure que Jésus avançait dans sa mission, elle a découvert que son fils nâétait pas un fils comme les autres, une personne privée, mais « quâil était le premier-né dâune multitude de frères » (Rm 8, 29) et quâautour de lui se regroupait un « reste », se formait une communauté.
Ce fut alors le temps de la conception, du « oui » du cĆur. Sous la croix, câest lâheure du travail de lâenfantement. Jésus sâadresse à sa Mère en lâappelant « Femme ». Nous ne pouvons lâaffirmer avec certitude, mais connaissant lâhabitude de lâévangéliste Jean de parler par allusions, symboles et renvois à lâEcriture, cette parole nous fait penser à ce que Jésus avait dit: « Lorsque la femme enfante, elle est dans lâaffliction puisque son heure est venue » (Jn 16, 21). Allusion aussi à ce que dit lâApocalypse de la femme enceinte qui « crie dans les douleurs de lâenfantement » (Ap 12, 1 s).
Si cette femme est dâabord lâÉglise, la communauté de la nouvelle alliance qui donne le jour à lâhomme nouveau et au monde nouveau, Marie y est incluse au tout premier chef, comme commencement et représentante de cette communauté de croyants. Le rapprochement entre Marie et la Femme a été très tôt perçu par lâÉglise - déjà par saint Irénée, disciple de Polycarpe, lui-même disciple de Jean -, quand elle a vu en Marie la nouvelle Ève, la nouvelle « mère de tous les vivants »[2].
Abordons le texte de Jean et voyons comment il peut nous éclairer sur ce point. Les paroles de Jésus à Marie : « Femme, voici ton fils » et à Jean : « Voici ta mère », ont un premier sens immédiat et concret. Jésus confie Marie à Jean et Jean à Marie. Mais ceci nâépuise pas le sens de cette scène. Lâexégèse moderne, grâce à dâénormes progrès dans la connaissance du langage et des modes dâexpression du quatrième Évangile, en est encore plus convaincue quâau temps des Pères. Si on entend ce passage de Jean uniquement avec une clef de lecture étroite, au sens dâultimes dispositions testamentaires, il apparaît comme on lâa écrit « un poisson hors de lâeau », une dissonance par rapport au contexte.
Pour Jean, le moment de la mort est le moment de la glorification de Jésus, de lâaccomplissement définitif des Écritures et de toutes choses. Chaque verset et chaque parole contient une signification symbolique et fait allusion à lâaccomplissement dâune Ecriture. Tout ce contexte montre bien quâon force davantage le texte si on veut nây voir quâune signification privée et personnelle, au lieu dây déceler, avec lâexégèse traditionnelle, une signification plus universelle et ecclésiale, en lien avec la figure de la « femme » de Genèse 3, 15 et dâApocalypse 12. Ce sens ecclésial, câest quâici le disciple nâest pas seulement Jean, mais le disciple de Jésus comme tel, en fait tous les disciples. Jésus mourant les donne à Marie comme ses fils et Marie leur est donnée pour mère.
Parfois les paroles de Jésus décrivent une réalité déjà présente, elles révèlent ce qui existe ; parfois au contraire elles créent et font exister ce quâelles expriment. Câest à ce second ordre quâappartiennent les paroles de Jésus mourant à Marie et à Jean. En disant : « Ceci est mon corps »... Jésus faisait du pain son corps; ainsi, toutes proportions gardées, en disant : « Voici ta mère » et « Voici ton fils », Jésus constitue Marie mère de Jean et Jean fils de Marie. Jésus nâa pas seulement proclamé la nouvelle maternité de Marie, mais lâa instituée. Cette maternité ne vient pas de Marie, mais de la Parole de Dieu ; elle ne se fonde pas sur le mérite, mais sur la grâce.
Sous la croix, Marie apparaît donc comme la fille de Sion qui, après le deuil et la perte de ses fils, reçoit de Dieu une nouvelle descendance, plus nombreuse que la première, non selon la chair, mais selon lâEsprit. Câest ce que chante un psaume appliqué à Marie par la liturgie : « Certes, câest en Philistie, à Tyr ou en Nubie, que tel homme est né. Mais on peut dire de Sion : âEn elle, tout homme est né...â Le Seigneur inscrit dans le livre des peuples: âA cet endroit tel homme est néâ » (Ps 87, 2 s). Câest vrai : tous nous sommes nés en cet endroit. De Marie, la nouvelle Sion, on dira aussi : en elle tout homme est né. De moi, de toi.
Nâavons-nous pas été « engendrés de nouveau par la Parole de Dieu vivante et éternelle » (cf. 1 P 1, 23) ? Ne sommes-nous pas « nés de Dieu » (Jn 1, 13)?, renés « de lâeau et de lâEsprit » (Jn 3,5)? Tout à fait ! mais cela ne supprime pas que, dans un sens différent, subordonné et instrumental, nous sommes nés aussi de la foi et de la souffrance de Marie. Si Paul, serviteur et apôtre du Christ, peut dire à ses fidèles : « Câest moi qui, par lâÉvangile, vous ai engendrés en Jésus Christ » (1 Co 4, 15), combien plus Marie peut- elle le dire, qui en est la mère ! Qui mieux quâelle peut faire siennes les paroles de lâApôtre : « Mes petits enfants que, dans la douleur, jâenfante à nouveau » (Ga 4, 19) ? Elle nous enfante « à nouveau » sous la croix, parce quâelle nous a déjà enfantés une première fois, non dans la douleur, mais dans la joie, lorsquâelle a donné au monde cette « Parole vivante et éternelle », quâest le Christ, en qui nous sommes régénérés.
Ainsi, comme nous avons appliqué à Marie sous la croix le chant de lamentation de la Sion détruite qui a bu le calice de la colère divine, maintenant, confiants dans les possibilités et dans les richesses inépuisables de la Parole de Dieu, qui vont bien au-delà des schémas exégétiques, nous lui appliquons le chant de la Sion reconstruite après lâexil. Pleine dâétonnement à la vue de ses nouveaux enfants elle sâécrie : «Ceux-ci, qui me les a enfantés? Moi, jâétais privée dâenfants, stérile ; ceux-là, qui les a fait grandir ? » (Is 49, 21).
La synthèse mariale du Concile Vatican II
Le concile Vatican II a donné une formulation nouvelle à la doctrine catholique traditionnelle sur Marie mère des chrétiens. Cet enseignement est inséré dans le cadre plus vaste qui permet de situer Marie dans lâhistoire du salut et dans le mystère du Christ.
« La bienheureuse Vierge, prédestinée de toute éternité, à lâintérieur du dessein dâincarnation du Verbe, pour être la Mère de Dieu, fut sur la terre, en vertu dâune disposition de la Providence divine, lâaimable Mère du divin Rédempteur, généreusement associée à son Ćuvre à un titre absolument unique, humble servante du Seigneur. En concevant le Christ, en le mettant au monde, en le nourrissant, en le présentant dans le Temple à son Père, en souffrant avec son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à lâĆuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle. Câest pourquoi elle a été pour nous dans lâordre de la grâce, notre Mère[3]. »
Et le concile se préoccupe de préciser le sens de cette maternité de Marie:
« Le rôle maternel de Marie à lâégard des hommes nâoffusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu. Toute influence salutaire de la part de la bienheureuse Vierge sur les hommes a sa source dans une disposition purement gratuite de Dieu : elle ne naît pas dâune nécessité objective, mais découle de la surabondance des mérites du Christ ; elle sâappuie sur sa médiation, dont elle dépend en tout et dâoù elle tire toute sa vertu ; lâunion immédiate des croyants avec le Christ ne sâen trouve en aucune manière empêchée, mais au contraire aidée[4]. »
A côté du titre de Mère de Dieu et des croyants, lâautre catégorie fondamentale employée par le concile pour illustrer le rôle de Marie, est celle du modèle, ou de la figure :
« La bienheureuse Vierge, de par le don et la charge de sa maternité qui lâunissent à son fils, le Rédempteur, et de par ses grâces et les fonctions singulières qui sont siennes, se trouve également en intime union avec lâÉglise : de lâÉglise, selon lâenseignement de saint Ambroise, la Mère de Dieu est le modèle dans lâordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ[5]. »
La grande nouveauté de cet énoncé sur la Vierge Marie consiste en la place où il a été inséré : dans la constitution sur lâÉglise. Le concile â non sans souffrances et déchirures, comme il est inévitable en pareils cas â réalisait là un profond renouveau de la mariologie, par rapport aux siècles précédents. Le traité théologique sur Marie nâest plus un thème isolé comme sâil occupait une situation intermédiaire entre le Christ et lâÉglise. Il est ramené, ainsi quâil lâétait à lâépoque des Pères, dans le domaine de lâÉglise.
Saint Augustin le disait : Marie est le membre par excellence de lâÉglise, mais un de ses membres, non quelquâun au-dehors ou au- dessus : « Sainte est Marie, bienheureuse est Marie, mais plus importante est lâÉglise que la Vierge Marie. Pourquoi ? Parce que Marie est une partie de lâÉglise, un membre saint, excellent, supérieur à tous les autres, mais cependant un membre de tout le corps. Si câest un membre de tout le corps, le corps est sans aucun doute plus important quâun membre5. »
Aussitôt après le concile, Paul VI développa le thème de la maternité de Marie mère des croyants. Il lui a attribué explicitement et solennellement le titre de Mère de lâÉglise : « A la gloire de Marie et pour notre réconfort, nous proclamons la très sainte Vierge Marie Mère de lâÉglise, câest-à-dire de tout le peuple de Dieu, aussi bien des fidèles que des pasteurs, qui lâappellent Mère très aimante ; et nous voulons que dorénavant, avec ce titre si doux, la Vierge soit encore davantage honorée et invoquée par tout le peuple chrétien6. »
« Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui »
Ce serait le moment, selon notre méthode, de passer de la contemplation dâun titre ou dâun moment de la vie de Marie à une imitation pratique en considérant Marie comme figure et miroir de lâÉglise. En ce chapitre où nous avons contemplé Marie comme « notre mère », lâapplication pratique est dâun genre particulier. Il ne consiste évidemment pas à imiter Marie, mais à lâaccueillir. Nous devons imiter Jean, en prenant, à partir dâaujourdâhui, Marie avec nous dans notre vie. Tout est là.
« Et le disciple la prit chez lui » (eis ta l'dia). On pense trop peu à toute la richesse de cette phrase si brève. Elle cache une nouvelle dâune portée immense et historiquement assurée, car donnée par la personne intéressée elle-même. Marie passa les dernières années de sa vie avec Jean. Ce quâon lit dans le quatrième Évangile, au sujet de Marie à Cana de Galilée et sous la croix, fut écrit par quelquâun qui vivait sous le même toit que Marie. 11 est impossible en effet de ne pas admettre un rapport étroit, sinon lâidentité même, entre « le disciple que Jésus aimait » et lâauteur du quatrième Évangile. La phrase : « Et le Verbe sâest fait chair », fut écrite par quelquâun qui vivait sous le même toit que celle dans le sein de qui sâétait accompli ce miracle, ou au moins de quelquâun qui lâavait connue et fréquentée.
Qui peut dire ce que signifia, pour le disciple que Jésus aimait, dâavoir Marie avec lui, chez lui, jour et nuit ? De prier avec elle, de prendre ses repas avec elle, de lâavoir devant lui comme auditrice quand il parlait à ses fidèles, de célébrer avec elle le mystère du Seigneur ? Est-il pensable que Marie ait vécu dans la proximité du disciple que Jésus aimait sans avoir eu aucune influence dans le lent travail de réflexion et dâapprofondissement qui lâamena à la rédaction du quatrième Évangile ? Dans lâantiquité il semble quâOrigène ait eu pour le moins lâintuition du secret caché là. Les savants et les critiques du quatrième Évangile, pas plus que ceux qui en cherchent les sources, nây prêtent dâhabitude attention. Origène écrit :
« Les prémices des Évangiles, câest celui de Jean, dont personne ne peut saisir le sens profond sâil nâa reposé sur la poitrine de Jésus et sâil nâa reçu de lui Marie comme mère »[6]
Posons encore une question : que peut signifier concrètement pour nous de prendre Marie chez nous ? Câest ici, me semble-t-il, le lieu où parler de ce qui est le cĆur sobre et sain de la spiritualité montfortaine de la confiance en Marie. Et cela consiste à « faire toutes ses actions par Marie, avec Marie, en Marie et pour Marie, afin de les faire plus parfaitement par Jésus, avec Jésus, en Jésus et pour Jésus ».
« Il faut se livrer à lâesprit de Marie pour en être mus et conduits de la manière quâelle voudra. Il faut se mettre et se laisser entre ses mains virginales, comme un instrument entre les mains de lâouvrier, comme un luth entre les mains dâun bon joueur. Il faut se perdre et sâabandonner à elle, comme une pierre quâon jette dans la mer : ce qui se fait simplement et en un instant, par une seule Ćillade de lâesprit, un petit mouvement de volonté, ou verbalement[7]. »
Mais nâusurpe-t-on pas alors la place de lâEsprit Saint dans la vie chrétienne, puisque câest par lâEsprit Saint que nous devons nous « laisser conduire » (cf. Ga 5, 18), câest lui que nous devons laisser agir et prier en nous (cf. Rm 8, 26) pour nous assimiler au Christ ? Nâest-il pas écrit que le chrétien doit tout faire « dans lâEsprit Saint » ? Cet inconvénient dâattribuer à Marie les fonctions propres à lâEsprit Saint dans la vie chrétienne a été décelé en certaines formes de dévotions mariales antérieures au concile[8].
Câétait dû au manque dâune conscience éclairée et active du rôle et de la place de lâEsprit Saint dans lâÉglise. Le développement et lâapprofondissement de la pneumatologie ne conduit aucunement à refuser cette spiritualité de la confiance à Marie, mais seulement à en clarifier la nature. Marie est précisément lâun des moyens privilégiés par qui lâEsprit Saint peut guider les âmes et les conduire à la ressemblance avec le Christ, parce que Marie fait partie de la Parole de Dieu et quâelle est elle-même une parole de Dieu en action. Sur ce point, St. Louis Grignion de Montfort devance son temps lorsquâil écrit :
Dieu le Saint-Esprit étant stérile en Dieu, c'est-à-dire ne produisant point d'autre personne divine, est devenu fécond par Marie qu'il a épousée. C'est avec elle et en elle et d'elle qu'il a produit son chef-d'Ćuvre, qui est un Dieu fait homme, et qu'il produit tous les jours jusqu'à la fin du monde les prédestinés et les membres du corps de ce chef adorable : c'est pourquoi plus il trouve Marie, sa chère et indissoluble Epouse, dans une âme, et plus il devient opérant et puissant pour produire Jésus-Christ en cette âme et cette âme en Jésus-Christ[9].
La phrase ad Jesum per Mariam, à Jésus par Marie, nâest donc acceptable que comprise dans le sens que lâEsprit Saint nous conduit à Jésus en se servant de Marie. La médiation créée de Marie, entre Jésus et nous, retrouve toute sa validité, si elle est comprise comme le moyen de la médiation incréée quâest lâEsprit Saint.
Recourons pour mieux comprendre, à une analogie. Paul exhorte ses fidèles à regarder ce quâil fait et à faire comme ils le voient faire : « Ce que vous avez appris, reçu, entendu de moi, observé en moi, tout cela, mettez-le en pratique » (Ph 4, 9). Or, il est certain que Paul ne prétend pas se mettre à la place de lâEsprit Saint ; il pense simplement que lâimiter signifie seconder lâEsprit de Dieu (cf. 1 Co 7, 40). Cela vaut à plus forte raison pour Marie et explique le sens de « faire tout avec Marie et comme Marie ». Elle peut vraiment dire comme Paul et plus que lui : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ » (1 Co 11, 1). Elle est en effet notre modèle et notre maîtresse parce que parfaite disciple et imitatrice du Christ.
Câest cela, au sens spirituel, prendre Marie chez soi : la prendre comme compagne et comme conseillère, en sachant quâelle connaît mieux que nous quels sont les désirs de Dieu à notre sujet. Si nous apprenons à consulter et à écouter Marie en toute chose, elle devient vraiment pour nous la maîtresse incomparable dans les voies de Dieu, qui enseigne par lâintérieur, sans bruit de paroles. Il ne sâagit pas que dâune abstraite déduction théologique, mais dâune réalité expérimentée aujourdâhui comme dans le passé par dâinnombrables histoires dââmes.
« Le courage dont tu as fait preuve... »
Avant de conclure notre contemplation de Marie dans le mystère pascal, je voudrais rappeler un instant le thème de Marie modèle de foi et dâespérance. Une heure vient dans notre vie où une foi et une espérance comme celles de Marie nous sont nécessaires. Câest lorsque Dieu semble ne plus écouter nos prières, lorsquâon dirait quâil se retire lui-même et retire ses promesses, lorsquâil nous fait passer de défaite en défaite et que les puissances des ténèbres semblent triompher sur tous les fronts autour de nous et les ténèbres descendent sur nous, comme il advint alors « sur toute la terre » (Mt 27, 45). Lorsque, selon le psaume, il semble « dans sa colère avoir fermé son cĆur et oublié sa miséricorde » (Ps 77, 10). Quand vient cette heure pour toi, rappelle-toi de la foi de Marie et crie toi aussi, comme dâautres lâont fait : « Mon Père, je ne te comprends plus, mais jâai confiance en toi ! »
Peut-être Dieu nous demande-t-il à cette heure de lui sacrifier comme Abraham, notre « Isaac », câest-à-dire la personne, ou la chose, le projet, la fondation ou lâoffice qui nous est cher, que Dieu lui-même nous a confié un jour et pour lequel nous avons travaillé toute notre vie. Câest lâoccasion que Dieu nous offre pour lui prouver quâil nous est plus cher que tout, plus que ses dons même, plus que le travail que nous faisons pour lui.
Un des pères de la Reforme, Jean Calvin, en commentant Genèse 12,3, dit que « Abraham ne sera pas seulement exemple et patron, mais cause de bénédiction »[10]. Cela pourrait rendre compréhensible et acceptable par tous les chrétiens lâaffirmation de saint Irénée : « De même quâEve, en désobéissant, devint cause de mort pour elle-même et pour tout le genre humain, de même Marie ⊠devint, en obéissant, cause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain ».[11] Marie aussi donc nâest pas seulement un exemple et un cas de bénédiction, mais une cause, quoique bien entendu instrumentale, pas grâce, non par mérite.
Dieu dit à Abraham : « Je te fais père dâune multitude de nations » (Gen 17, 5), et après le sacrifice dâIsaac : « Parce que tu as fait cela et nâas pas épargné ton fils unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel⊠Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre, parce que tu mâa obéit (Gen 22, 16-18 s). De même, et bien davantage, il dit à présent à Marie : Je te ferai mère dâune multitude de nations, mère de mon Église ! Par ton nom seront bénies toutes les races de la Terre. Toutes les générations te diront bienheureuse !
Il est écrit que lorsque Judith retourna chez les siens, après avoir risqué sa vie pour son peuple, les habitants de la ville coururent à sa rencontre et le grand prêtre la bénit en disant : « Bénie sois-tu ma fille, par le Dieu très haut, plus que toutes les femmes qui sont sur la terre... En effet ton espérance ne quittera pas le cĆur des hommes » (Jdt 13, 18 s). Nous adressons ces mêmes paroles à Marie : Sois bénie entre toutes les femmes ! Lâespérance et le courage dont tu as fait preuve ne sâeffaceront jamais du cĆur et du souvenir de lâÉglise !
Récapitulons la participation de Marie au mystère pascal, en lui appliquant, avec les différences qui sâimposent, les paroles de saint Paul pour récapituler le mystère pascal du Christ :
« Marie, elle qui est Mère de Dieu,
nâa pas considéré ce privilège comme une proie à saisir.
Mais elle sâest dépouillée, prenant la condition de servante,
reconnue par son aspect semblable à toute autre femme.
Elle a vécu cachée et dans lâhumilité,
obéissant à Dieu jusquâà accepter la mort de son Fils,
à la mort sur une croix.
Câest pourquoi Dieu lâa souverainement élevée
et lui a conféré le nom
qui, après celui de Jésus,
est au-dessus de tout nom,
afin quâau nom de Marie
toute tête sâincline,
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
et que toute langue confesse que Marie est la Mère du Seigneur,
à la gloire de Dieu le Père. Amen ! »
[1] Saint Augustin, La sainte virginité 5-6 (PL 40, 399).
[2] St. Irénée, Adversus Haereses, III, 22, 4.
[3] Lumen gentium 61.
[4] Ibid. 60.
[5] Ibid. 63.
[6] Origène, Commentaire sur lâEvangile de Jean I, 6, 23 (SCh 120, p. 70-72).
[7] Saint Louis Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion à Marie, n. 257-259 (Ćuvres complètes, Paris, 1966, p. 660 s).
[8] Cf. H. Mühlen, Una mystica persona (§11, 92), Paderborn, 1967.
[9] Traité, cit., n. 20.
[10] Calvin, Le livre de la Genèse, Genève, 1961, p. 195. Cf. G. von Rad, Das erste Buch Moses, Genesis, ch. II, 18, Gôttingen, 1972.
[11] St. Irenée, Adversus Haereses, III, 22, 4 (SCh 211, p. 441).
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