Une journaliste mexicaine interpelle l’Église sur sa mauvaise communication
Cyprien Viet – Cité du Vatican
Cette journaliste aguerrie, qui vient de couvrir son 150e voyage papal, a débuté son intervention en parlant «en tant que mère», expliquant que pour des parents, l’abus sur mineurs est «la plus effrayante des perversions».
Elle a lancé à la fois une invitation et un avertissement aux évêques: «Nous pouvons être alliés, pas ennemis. Nous vous aiderons à trouver les brebis galeuses et à vaincre les résistances(…) Mais si vous ne vous décidez pas de manière radicale à être du côté des enfants, des mères, des familles, de la société civile, vous avez raison d'avoir peur de nous, car nous les journalistes, qui voulons le bien commun, serons vos pires ennemis.»
En couvrant «cinq pontificats différents, très importants pour la vie de l'Église et du monde, avec des lumières et des ombres», Valentina Alazraki a souvent entendu des hommes d’Église se montrer méprisants vis-à-vis des journalistes.
«Combien de fois ai-je dû entendre que le scandale des abus est “la faute de la presse, que c'est un complot de certains mass media pour discréditer l'Eglise, que derrière il y a des pouvoirs occultes, pour mettre fin à cette institution”». Mais sans les journalistes, ces drames se seraient perpétués dans l’indifférence générale.
La plus grande persécution vient du péché au sein de l’Église
«Les abus contre les mineurs ne sont ni des médisances ni des bavardages, ce sont des crimes», a martelé la vaticaniste, se souvenant que Benoît XVI avait déclaré en 2010 que «la plus grande persécution contre l'Église ne venait pas d'ennemis extérieurs, mais naissait du péché en son sein».
«Je crois que vous devriez prendre conscience que plus vous couvrirez, plus vous ferez les autruches, que moins vous informerez les mass media et, donc, les fidèles et l’opinion publique, plus le scandale sera grand, a insisté la journaliste mexicaine. Si quelqu'un a un cancer, il ne se soignera pas en le cachant à sa famille ou à ses amis, ce n’est pas le silence qui le fera guérir, ce seront les soins les plus appropriés qui éviteront à la fin les métastases, et conduiront à la guérison», a-t-elle relevé.
«En ne fournissant pas les informations qui pourraient éviter que ces personnes commettent d'autres abus, vous ne donnez pas aux enfants, aux jeunes, à leurs familles les instruments pour se défendre contre de nouveaux crimes, a-t-elle dénoncé. Les fidèles ne pardonnent pas le manque de transparence, car c'est une nouvelle violence envers les victimes. Qui n'informe pas, encourage un climat de soupçon et de méfiance, et provoque la colère et la haine envers l'institution.»
Elle a remarqué que lors du voyage du Pape François au Chili en 2018, «il n'y avait pas d'indifférence: il y avait de l'indignation et de la colère pour la couverture systématique, pour le silence, pour la tromperie faite aux fidèles et la douleur des victimes qui pendant des décennies n'ont pas été écoutées, n'ont pas été crues», a-t-elle déclaré.
L’affaire Maciel, scandale lié à une communication verrouillée
En tant que mexicaine, Valentina Alazraki a longuement évoqué le cas de Marcial Maciel, le fondateur mexicain de la Légion du Christ. «J'ai été témoin de ce triste cas, du début à la fin. Au-delà du jugement moral sur les crimes commis par cet homme, qui pour certains a été un esprit malade et pour d'autres un génie du mal, je vous assure qu'à la base de ce scandale, qui a fait tant de mal à des milliers de personnes, jusqu'à entacher la mémoire de qui à présent est saint, il y a eu une communication malade», en raison du quatrième vĹ“u, inscrit dans les Constitutions de la Légion du Christ, et qui interdisait de critiquer un supérieur.
«Sans cette censure, sans cette dissimulation totale, s'il y avait eu la transparence, Marciel Maciel n'aurait pas pu abuser pendant des décennies de séminaristes et avoir trois ou quatre vies, des femmes et des enfants, qui sont arrivés à l'accuser d'avoir abusé de sa propre progéniture. C'est pour moi le cas le plus emblématique d'une communication malade, corrompue», a souligné la journaliste
Elle a aussi dénoncé frontalement la corruption qui entourait les Légionnaires du Christ: «Derrière le silence, le manque d'une communication saine, transparente, très souvent il n'y a pas seulement la peur du scandale, la préoccupation pour le bon renom de l'institut, mais également de l'argent, des chèques, des dons, des permis pour construire des écoles et des universités dans des lieux où l'on ne pouvait peut-être pas construire (…) Le Pape François nous rappelle toujours que le diable entre par les poches et il a pleinement raison. La transparence vous aidera à lutter contre la corruption économique», a déclaré Valentina Alazraki devant les présidents de conférence épiscopale et responsables de la Curie romaine.
«C'est grâce à certaines victimes courageuses, à certains journalistes courageux et, je pense devoir le dire, à un Pape courageux comme Benoît XVI, que ce scandale a été rendu public et la tumeur extirpée. Il est très important d'apprendre la leçon et de ne pas commettre à nouveau la même erreur. La transparence vous aidera à être cohérents avec le message de l'Évangile et à mettre en pratique le principe selon lequel, dans l'Église, il ne devrait pas y avoir de personnes intouchables: nous sommes tous responsables devant Dieu et devant les autres», a-t-elle martelé.
L’Église doit investir dans une communication efficace
Tous les responsables d’Église doivent donc communiquer avec clarté sur les affaires dont ils ont connaissance.
«Si l’accusation se révèle crédible, vous devez informer sur les procès en cours, sur ce que vous faites, vous devez dire que vous avez éloigné le coupable de sa paroisse ou de là où il exerçait, c'est vous qui devez le dire, que ce soit dans les diocèses ou au Vatican. Parfois, le bulletin de la Salle de Presse du Saint-Siège informe sur une renonciation sans en expliquer les raisons, a-t-elle regretté. Je crois que la nouvelle de la renonciation d'un prêtre qui a commis des abus devrait être donnée avec clarté, de manière explicite.»
Elle a insisté sur trois points concrets, et tout d’abord, mettre les victimes au premier plan. «Les victimes ne sont pas des numéros, elles ne sont pas des données de statistiques, ce sont des personnes auxquelles on a gâché la vie, la sexualité, l'affectivité, la confiance dans les autres êtres humains, peut-être même en Dieu, ainsi que la capacité d'aimer», a-t-elle souligné. Ses deux autres points d’insistance concernent le fait d’accepter les conseils et d’investir sérieusement dans une communication professionnalisée.
Dans de nombreux cas, le manque de communication «n'a pas permis que l'on rende justice, a fait vaciller la foi de beaucoup de personnes. (...) Je vous assure qu'investir dans la communication est une affaire très rentable, et ce n'est pas un investissement à court terme, c'est un investissement à long terme», a-t-elle souligné.
Face aux abus, «l’Église doit jouer en attaque et non en défense»
La journaliste a conclu en expliquant que «nous étions au seuil d'un autre scandale, celui des sĹ“urs et des religieuses victimes d'abus sexuels de la part de prêtres et d'évêques. C'est ce qu'a dénoncé le supplément féminin de “L’Osservatore Romano”. Et le Pape François, au cours du vol de retour d'Abu Dabi, a reconnu que l'on travaille depuis un moment sur le thème, mais qu’il fallait faire plus. Je voudrais qu'en cette occasion l'Église joue en attaque, et non en défense, comme cela a eu lieu dans le cas des abus sur des mineurs. Cela pourrait être une grande opportunité pour l'Église qu’elle prenne l'initiative, et soit en première ligne dans la dénonciation de ces abus, pas seulement sexuels mais aussi de pouvoir», a-t-elle averti.
La journaliste mexicaine a enfin dit espérer que cette intervention permettra aux évêques de rentrer dans leurs diocèses «en pensant que ce n’est pas nous qui sommes les loups féroces, mais, au contraire, que nous pouvons unir nos forces contre les vrais loups».
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