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Le Palais du Saint-Office, Ă  Rome, siège de la CongrĂ©gation pour la Doctrine de la Foi Le Palais du Saint-Office, Ă  Rome, siège de la CongrĂ©gation pour la Doctrine de la Foi  

Abus sexuels dans l’Église: que disent le Droit canon et la législation ecclésiastique?

Qui informer en cas d’abus sexuels sur mineurs par un membre du clergé? Quelles sont les procédures préconisées par l’Église dans de telles situations? Quelles sont les sanctions prévues par le code de Droit canon et la justice ecclésiastique? Éclairage sur ces questions juridiques complexes au seuil de la rencontre internationale pour la protection des mineurs.

Manuella Affejee- Cité du Vatican

Bernard Callebat, spécialiste du Droit canon, enseignant-chercheur à la Faculté de Droit canonique/Faculté de Droit civil de l’Institut catholique de Toulouse, répond aux questions de Pope.

Que dit le Droit canon sur la pédophilie et l'abus sexuel sur mineurs par un membre du clergé? Depuis quand est-il considéré comme délit?

D’une manière générale, ce n’est pas seulement le Code de Droit canonique, dans son Livre VI, qui condamne les actes de violences sexuelles. C’est toute la discipline ecclésiale qui articule des processus de répression. Hier comme aujourd’hui. Encore qu’il convient d’observer que cette répression n’a pas toujours visé les mêmes objets; jadis, les conciles dénonçaient sévèrement les actes de sodomie et d’homosexualité. 

Plusieurs enquêtes réalisées en Irlande (rapport Murphy et Rapport Ryan) et aux États-Unis (John Jay report) avaient donné l’alerte sur de nombreux scandales. Jusqu’en 2001, les évêques pouvaient traiter les affaires d’abus sur mineurs sans en référer à la Curie romaine. Cette procédure a été gravement dommageable car elle a permis à certains évêques de couvrir des actes ou de se couvrir eux-mêmes. Il a fallu attendre le Motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela de Jean-Paul II du 12 avril 2001 pour décider que les délits les plus graves commis contre les mĹ“urs devaient obligatoirement être signalés par les évêques à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Dans un motu proprio publié le 4 juin 2016, le Pape François est allé encore plus loin en visant la négligence des supérieurs religieux qui pourront être démis de leur fonction. A présent, une commission pontificale a été instituée en vue de traiter de la protection des mineurs.

En cas de signalement d'abus, quelle est la procédure à suivre au niveau local ?

Le droit applicable ressort essentiellement du dispositif prévu par le texte romain de 2001. A savoir que l’évêque ou le supérieur religieux, informé, doit d’abord examiner les allégations d’abus sexuel qui aurait été commis par un clerc. Une grande prudence s’impose pour apprécier à la fois la sincérité des plaignants et s’assurer aussi que l’on n’est pas face à de fausses accusations. Si les allégations paraissent fondées, l’autorité ecclésiale doit renvoyer l’affaire devant la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Suivant certains dispositifs civils, il y a aura même obligation pour cette autorité ecclésiale de saisir le représentant judiciaire de l’autorité étatique.

Dans cette phase, l’autorité ecclésiale peut prendre des mesures de précaution pour protéger les victimes et l’ensemble de la communauté. Il s’agit d’éviter tout autre risque d’agression. L’autorité religieuse doit alors exercer discrétionnairement ce pouvoir, avant, pendant et après toute procédure canonique.

Quel rôle pour la Congrégation pour la Doctrine de la Foi? Y-a-t-il une section en son sein qui est spécifiquement chargé de ces dossiers ? Quelles sont ses prérogatives ?

D’après l’art. 52 de la Constitution Apostolique Pastor Bonus, la  connaît des délits les plus graves commis contre les mĹ“urs et, si nécessaire, déclare ou inflige les sanctions canoniques d’après le droit, commun ou propre.

À ce titre, elle a notamment le droit de juger les cardinaux, les patriarches, les légats du Siège apostolique, et les évêques.  Les délits les plus graves réservés à son jugement sont:

 1. Le délit contre le sixième commandement du Décalogue commis par un clerc avec un mineur de moins de dix-huit ans ou avec une personne qui jouit habituellement d’un usage imparfait de la raison.

2. L’acquisition, la détention ou la divulgation, à une fin libidineuse, d’images pornographiques de mineurs de moins de quatorze ans de la part d’un clerc, de quelque manière que ce soit et quel que soit l’instrument employé.

Sur le plan processuel, La Congrégation, qui dispose d’une section disciplinaire en charge de ce type de dossier, peut au préalable demander des compléments d’enquêtes aux évêques. A partir de là, le dicastère dispose de plusieurs options :

1. Elle peut autoriser l’évêque local à mener un procès devant le tribunal pénal de l’État avant la saisine du tribunal ecclésiastique. Dans cette hypothèse, un recours pourrait être formé devant la Congrégation romaine.

2. Le dicastère romain peut autoriser l’évêque à mener une enquête administrative préalable destinée à vérifier les éléments d’accusation. La personne accusée ou soupçonnée a toujours le droit de présenter un recours à la Congrégation romaine contre une sentence la condamnant à une peine canonique. La décision des cardinaux membres du dicastère est cependant définitive.

3. Dans les cas les plus graves, ceux où, par exemple, un tribunal pénal d’un État a déclaré un clerc coupable d’abus sexuel, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi peut transmettre l’affaire directement au Pape qui peut promulguer alors un décret de réduction à l’état laïc.

Quelles sont les peines possibles ?

Il s’agit de vérifier la nature du délit ou du crime commis. La sanction peut être de deux ordres: soit elle relève de la libre appréciation du juge pénal, soit elle correspond concrètement à une qualification déjà définie par la loi pénale. Cette double hypothèse prévue par le droit ecclésial ne diffère pas des modes d’interprétation et d’application des peines, prévus par d’autres systèmes juridiques.

D’une manière générale, pour les actes les plus odieux, la réduction à l’état laïc, sera la sanction la plus grave. En l’absence de pouvoir coercitif propre, l’emprisonnement n’est pas envisagé quoiqu’il pût être prévu sur le plan civil. On peut aussi imaginer, sur le plan ecclésial, une forme particulière de réclusion dans un monastère, une limitation du ministère public... La cessation d’actes publics religieux ou de certains d’entre eux, pourra aussi accompagner le processus de sanction. Dans l’hypothèse d’actes sexuels condamnables ou d’actes graves commis sur des mineurs, il convient que les sanctions soient exemplaires proportionnées à la gravité de la reconnaissance sociale du délinquant qui a honteusement abusé de son statut clérical.

La question des dommages et intérêts peut également être traitée au cours de ces procédures.

Qu'implique le renvoi de l'état clérical? Annule-t-il le sacrement de  l'ordre?

La question est importante car le choix des mots entretient une grave ambiguïté dans le public. Le renvoi de l’état clérical est traduit généralement par une formule, assez impropre, réduction à l’état laïc. Certes, le clerc coupable ne peut plus exercer sa charge mais il n’est pas revenu à l’état antérieur de son ordination. Il est dispensé des obligations cléricales, quoiqu’il ne perd pas absolument le droit de célébrer, dans certains cas, des sacrements validement. Car il demeure, sur un plan strictement sacramentel, diacre, prêtre ou évêque. Le renvoi de l’état clérical est donc différent d’une déclaration de nullité de l’ordination qui, elle, entraîne la disparition complète du lien diaconal, sacerdotal ou épiscopal.

Le Pape peut-il intervenir? Si oui, dans quel(s) cas?

Le Pontife romain demeure le juge suprême dans la structuration juridictionnelle de l’Église catholique. Ses décisions sont insusceptibles d’appel. Dans cette matière, et dans les cas très graves où un tribunal pénal étatique a condamné un clerc pour abus sexuel sur des mineurs, voire lorsque les preuves de l’accusation sont évidentes et incontestables, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi peut porter directement le dossier au Pontife romain en lui demandant de promulguer un décret ex officio de réduction à l’état laïc.

Le Saint-Père peut intervenir aussi dans un autre cas lorsque la Congrégation pour la Doctrine de la Foi lui apporte les requêtes de prêtres accusés ou déjà condamnés qui, en toute conscience de leurs crimes, demandent à être dispensés des obligations cléricales. Le Pontife romain peut alors délivrer cette dispense pro bono Ecclesiae, c’est-à-dire, pour le bien de l’Église.

Peut-on faire appel des décisions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi?

Par principe, il n’est pas possible de passer outre une décision de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il reste que les plaignants jouissent toujours de deux facultés qui peuvent préserver leurs droits de fidèles :

1. La saisine du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique qui, dans sa fonction administrative, peut vérifier si la procédure suivie par le dicastère a été respectée. Cette procédure vise à s’assurer de la conformité formelle des actes accomplis mais ne dirime pas la décision sur le fond.

2. La demande de grâce auprès du Pontife romain, souverain absolu en matière judiciaire.

Quel statut pour les victimes, quel rôle pour elles dans les procès canoniques ?

Les victimes doivent bénéficier des droits propres prévus par les textes sur la protection des fidèles, au titre de réclamants, de justiciables et de victimes dès lors qu’elles ont décidé d’engager une procédure, soit une procédure administrative canonique, soit une procédure pénale canonique. Préalablement, les autorités ecclésiales auront reçu avec discernement les plaintes. À ce titre, les autorités ecclésiales – aussi bien les autorités hiérarchiques que les autorités judiciaires – s’assureront que les victimes seront accompagnées par des conseillers et/ou des avocats spécialisés durant le déroulement des différentes procédures. En toute hypothèse, les victimes seront protégées par le droit tout au long du processus judiciaire.

Qu'est-ce que le secret pontifical ?

Le secret pontifical, également appelé parfois secret du Pape, est une règle de confidentialité protégeant les informations sensibles relatives à la gouvernance de l'Église universelle. Il est similaire au statut classifié ou confidentiel commun aux sociétés ou aux gouvernements civils. À plusieurs égards, on peut l’assimiler au secret professionnel.

Les matériaux couverts par le secret pontifical comprennent les communications diplomatiques établies entre les nonciatures à travers le monde, mais s’appliquent également à divers autres sujets. Ceux-ci comprennent des dossiers privés et des recommandations sur les prêtres et les évêques dont la promotion est envisagée. Dans le même sens, le secret couvre également les processus pénaux relatifs aux crimes majeurs traités par la Congrégation pour la doctrine de la foi, y compris les affaires de violences sexuelles sur mineurs.

Le secret est censé protéger la vie privée des victimes, la réputation de l'accusé (du moins jusqu'à ce qu'elles soient déclarées coupables) et même la confidentialité des accusateurs, qui pourraient être sous l'autorité d'une personne sous enquête.

Une réforme du Droit canon est-elle possible? Envisageable? Si oui, dans quel sens?

Par analogie avec les procédures de nullité matrimoniale, à propos des incapacités psychologiques voire psychiatriques (canon 1095, 3°), une des réformes envisageables serait de déclarer nulle l’ordination épiscopale, sacerdotale ou diaconale de ceux qui se sont livrés à des actes d’homosexualité ou à des violences sexuelles. La procédure existe déjà. Mais sa mise en application plus fréquente permettrait d’exclure définitivement les sujets les plus coupables. La question est là: les troubles d’affectivité, à ce titre, diriment incontestablement la faculté de discernement des candidats au sacrement de l’ordre. Cette question touche au défaut de liberté interne dont il faut, évidemment, s’assurer qu’il est présent au jour de l’ordination.

Cette réforme supprimerait, nous le répétons, l’ambiguïté de la sanction actuelle dite de réduction à l’état laïc, formule impropre car le coupable n’est pas réduit à l’état laïc. Il est simplement suspendu des obligations cléricales mais conserve sa qualité cléricale, et la faculté même, en cas de nécessité ou de péril de mort, d’exercer encore sa charge religieuse.

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19 février 2019, 12:19