Synode sur lâAmazonie: le document prĂ©paratoire exhorte Ă Ă©couter le cri des peuples
Cyprien Viet- Cité du Vatican
Le Pape lâavait annoncé le 15 octobre 2017, à la surprise générale. Il convoquera en octobre 2019 à Rome des évêques du monde entier pour une Assemblée spéciale du Synode consacrée aux problématiques de lâAmazonie.
«LâAmazonie est une région possédant une riche biodiversité ; elle est multiethnique, multiculturelle et multireligieuse, un miroir de toute lâhumanité qui, pour défendre la vie, exige des changements structurels et personnels de tous les êtres humains, des États et de lâÉglise», est-il précisé dans lâintroduction du document préparatoire, qui fait également remarquer que les réflexions du Synode iront «bien au-delà du cadre strictement ecclésial amazonien, car elles sâétendent à lâÉglise universelle et même au futur de toute la planète». «À partir dâun territoire spécifique», ce sera donc lâoccasion de traiter des questions qui concernent dâautres régions, comme «le bassin du Congo» ou «les forêts tropicales de lâAsie-Pacifique», est-il précisé.
Le document insiste sur lâimportance dâune écoute précise des populations autochtones, lâÉglise devant manifester à leur égard une «culture de la rencontre», qui sâoppose à la «culture du déchet» dont elles sont souvent les victimes à travers notamment la pollution liée aux grands projets dâextraction. Les «nouveaux chemins dâévangélisation» dans cette immense région passent par le respect de «lâharmonie multiforme» (terme tiré de lâexhortation apostolique Evangelii Gaudium) et «la sobriété heureuse» (terme utilisé dans lâencyclique Laudato Siâ), qui sont «autant de contributions à lâédification du Royaume».
Le document dâune trentaine de pages sâarticule ensuite sur trois verbes : voir, discerner et agir.
âVoirâ : définir lâidentité et les aspirations de lâAmazonie.
Le document rappelle tout dâabord le contexte géographique et écologique de lâAmazonie, qui concentre de 30 à 50% de la flore et de la faune mondiales et 20% des réserves dâeau douce. LâAmazonie concentre plus dâun tiers des forêts primaires de la planète et sâétend sur sept millions et demi de kilomètres carrés et neuf pays : Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Surinam, Venezuela, et la Guyane française, qui nâest pas un État indépendant mais un département dâoutre-mer administré par la France.
Environ trois millions dâindigènes, représentant quelque 390 peuples et nationalités distincts. entre 110 et 130 Peuples Indigènes en Isolement Volontaire ou âpeuples libresâ vivent sur ce territoire. «Ces populations veillent sur les rivières et prennent soin de la terre, de la même manière que la terre prend soin dâeux. Elles sont les gardiennes de la forêt et de ses ressources», est-il rappelé.
Mais «la richesse de la forêt et des fleuves de lâAmazonie est aujourdâhui menacée par les grands intérêts économiques qui sâinstallent sur diverses parties du territoire. De tels intérêts provoquent, entre autres, lâintensification de lâabattage inconsidéré de la forêt, la pollution des rivières, des lacs et des affluents (à cause de lâusage excessif dâagrotoxiques, de dérivés pétroliers et de lâexploitation minière légale et illégale, et des dérivés de la production de drogues)», des fléaux auxquels sâajoute le trafic de drogue.
De nombreuses communautés sont contraintes à la migration vers les villes, avec souvent de grandes difficultés dâintégration. Elles sont «victimes du changement des valeurs de lâéconomie mondiale, pour laquelle la valeur lucrative est supérieure à la dignité humaine. Un exemple en est lâaccroissement dramatique du trafic dâêtres humains, en particulier des femmes, à des fins dâexploitation sexuelle et commerciale. Elles perdent ainsi toute possibilité de jouer un rôle dans les processus de transformation sociale, économique, culturelle, écologique, religieuse et politique de leurs communautés.»
Cependant, des lueurs dâespoir existent, notamment avec un certain réveil des associations de défense des populations amérindiennes : «On constate un accroissement des capacités dâorganisation et une avancée de la société civile, avec une attention particulière portée aux problématiques environnementales».
Par ailleurs, «dans le domaine des relations sociales, malgré ses limites, lâÉglise catholique a généralement entrepris un travail significatif, en renforçant ses propres parcours à partir de sa présence incarnée et de sa créativité pastorale et sociale».
Le document rappelle les positions de lâÉglise en faveur des indigènes, dès le pontificat de saint Pie X. Les différentes assemblées de lâépiscopat latino-américain ont permis dâaborder des aspects douloureux de la colonisation de lâAmérique du Sud, notamment le phénomène de lâesclavage. Pour cette «offense scandaleuse pour lâhistoire de lâhumanité», le Pape Jean-Paul II et les délégués de lâépiscopat latino-américain rassemblés à Saint-Domingue en 1992 demandèrent pardon.
«Aujourdâhui, malheureusement, des vestiges du projet de colonisation demeurent, créant des représentations dâinfériorisation et de diabolisation des cultures indigènes», relève toutefois le document, qui regrette lâoffensive des «nouveaux colonialismes», selon les termes employés par le Pape François à Puerto Maldonado, au Pérou, en janvier 2018. «LâAmazonie est une terre disputée sur plusieurs fronts», avait alors fait remarquer le Pape.
«Au long de son histoire missionnaire, lâAmazonie a été un lieu concret de crucifixion, avec de nombreux lieux de martyre.». LâÉglise doit donc aborder ces populations avec respect et sensibilité, en prêtant attention à leur «bien vivre», un valeur atteinte «lorsquâils sont en communion avec les autres personnes, avec le monde, avec les êtres qui les entourent, et avec le Créateur». Cette bienveillance implique aussi de lutter avec détermination contre les sectes qui prolifèrent dans certaines parties du bassin amazonien, en étant «motivées par des intérêts extérieurs au territoire».
âDiscernerâ pour une conversion pastorale et écologique
Le document trace ensuite la voie de lâannonce chrétienne, rappelant ces paroles du Catéchisme de lâÉglise catholique : «chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres». Dans leur être, les différentes créatures reflètent «un rayon de la sagesse et de la bonté infinie de Dieu» et de son amour. Quand une quelconque de ces créatures connaît lâextinction à cause de lâhomme, elle ne peut plus chanter les louanges du Créateur, alertait le Pape François dans Laudato Siâ.
Le document revient sur les termes utilisés lors des assemblées de lâépiscopat latino-américain : option pour les pauvres et libération (Medellín 1968), participation et communautés de base (Puebla 1979), insertion et inculturation (Saint-Domingue 1992), mission et service dâune Église samaritaine et avocate des pauvres (Aparecida 2007).
«Aujourdâhui, le cri que lâAmazonie fait monter vers le Créateur, est semblable au cri du Peuple de Dieu en Égypte, est-il écrit dans le document préparatoire du Synode. Câest un cri contre lâesclavage et lâabandon, qui réclame la liberté et la protection de Dieu. Câest un cri qui désire ardemment la présence de Dieu, spécialement quand les peuples amazoniens, pour défendre leurs terres, se heurtent à la criminalisation de la protestation â aussi bien de la part des autorités que de lâopinion publique â ; ou quand ils sont témoins de la destruction de la forêt tropicale, qui constitue leur habitat millénaire ; ou quand les eaux de leurs rivières charrient des espèces de mort au lieu dâêtre des lieux de vie. »
Face à tellement de blessures, les sacrements proposés par lâÉglise offrent du réconfort et du sens. Par exemple, «la célébration du Baptême nous invite à considérer lâimportance de lââeauâ comme source de vie, pas seulement comme instrument ou ressource matérielle, et responsabilise la communauté croyante pour quâelle veille à cet élément comme don de Dieu pour toute la planète. Par ailleurs, puisque lâeau du Baptême purifie le baptisé de tous ses péchés, sa célébration permet à la communauté chrétienne de concevoir la valeur de lâeau et âdu fleuveâ comme une source de purification, facilitant ainsi lâinculturation des rites relatifs à lâeau de la sagesse ancestrale des peuples amazoniens».
Et à travers la célébration de lâEucharistie, «la communauté célèbre un amour cosmique, où les êtres humains, unis au Fils de Dieu incarné et à toute la création, rendent grâces à Dieu pour la vie nouvelle du Christ ressuscité (âŠ). En même temps, le sang de tant dâhommes et de femmes qui a été versé, baignant les terres amazoniennes pour le bien de ses habitants et de ce territoire, sâunit au Sang du Christ, versé pour tous et pour toute la création.»
Câest à travers la prise de conscience de ces perspectives que lâÉglise catholique pourra assumer sa mission évangélisatrice en Amazonie et annoncer Jésus, en respectant le «sensum fidei» du Peuple de Dieu qui vit dans ces régions.
âAgirâ et construire de nouveaux de chemins pour une Église au visage amazonien
LâÉglise en Amazonie doit assumer une mission de «contrepoids à la mondialisation et à la logique uniformisatrice encouragée par de nombreux moyens de communication et par un modèle économique qui ne respecte pas les peuples amazoniens ni leurs territoires».
Sur le plan de son organisation, lâÉglise catholique devra « proposer de nouveaux ministères et services pour les différents agents pastoraux qui correspondent aux tâches et aux responsabilités de la communauté. Dans cette ligne, il convient de discerner le type de ministère officiel qui peut être conféré aux femmes, en tenant compte du rôle central joué aujourdâhui par les femmes dans lâÉglise amazonienne, précise le document. Il est également nécessaire de promouvoir le clergé autochtone et natif de ce territoire, en affirmant son identité culturelle propre et ses valeurs. Enfin, il faut repenser de nouveaux chemins pour que le Peuple de Dieu ait plus fréquemment un meilleur accès à lâEucharistie, centre de la vie chrétienne», est-il écrit dans ce texte qui reprend ici une intuition formulée en 2007 dans le Document dâAparecida.
La mission implique une fine connaissance des traditions locales, quâil ne sâagit aucunement dâannihiler à travers un prosélytisme agressif. Au contraire, «animer une Église au visage amazonien implique, pour les missionnaires, la capacité de découvrir les semences et les fruits du Verbe déjà présents dans la cosmovision de ses peuples. Câest pourquoi une présence stable est nécessaire, avec la connaissance de la langue autochtone, de sa culture et de son expérience spirituelle. Ce nâest quâainsi que lâÉglise rendra la vie du Christ présente chez ces peuples.»
Le document évoque enfin les paroles du Pape François lors de la messe dâinauguration de son Pontificat, le 19 mars 2013, avec cette supplication à tous ceux qui «occupent des rôles de responsabilité dans le domaine économique, politique ou social, à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté : nous sommes â gardiens â de la création, du dessein de Dieu inscrit dans la nature, gardiens de lâautre, de lâenvironnement ; ne permettons pas que des signes de destruction et de mort accompagnent la marche de notre monde !»
La conclusion reprend les paroles du Pape lors de son discours aux peuples dâAmazonie à Puerto Maldonado, en janvier dernier : «Aidez vos évêques, aidez vos missionnaires, afin quâils se fassent lâun dâentre vous, et ainsi en dialoguant ensemble, vous pourrez façonner une Église avec un visage amazonien et une Église avec un visage indigène. Câest dans cet esprit que jâai convoqué, pour lâannée 2019, le Synode pour lâAmazonie.»
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