Le Pape à la revue Tertio: chaque guerre est un échec, il faut espérer en tirer une leçon
Delphine Allaire - Cité du Vatican
Répondant à une question sur la poursuite du Concile Vatican II, initié il y a soixante ans, le Pape François a cité le moine français Vincent de Lérins (Ve siècle) pour qui les dogmes doivent continuer à se déployer, mais selon cette méthodologie: "Ut annis scilicet consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate" ("Qu'ils soient consolidés par les années, élargis par le temps, exaltés par l'âge", ndlr.).
Le concile, a déclaré le Pape, est la voix de l'Église pour notre temps, et en ce moment -pendant un siècle- nous le mettons en pratique. En somme, une image de l’Église qui rajeunit sans perdre sa sagesse séculaire, a estimé François, développant l’encouragement à la synodalité, rappelant quelques faits historiques.
Un synode n'est pas un parlement, son protagoniste est l'Esprit Saint
«Il y a un point qu'il ne faut pas perdre de vue. À la fin du concile, Paul VI a été très choqué de constater que l'Église d'Occident avait presque perdu sa dimension synodale, alors que les Églises catholiques orientales avaient su la conserver. Il a donc annoncé la création du secrétariat du synode des évêques, dans le but de promouvoir à nouveau la synodalité dans l'Église. Au cours des 60 dernières années, elle s’est développée de plus en plus. Petit à petit les choses se sont clarifiées. Par exemple, si seuls les évêques avaient le droit de vote. Parfois, il n'était pas clair si les femmes pouvaient voter...», éclaircit le Pape, soulignant une nouvelle fois que le synode n’est pas un parlement.
«Un synode n'est pas un sondage d'opinion à gauche et à droite. Non. Le protagoniste principal d'un synode est l’Esprit Saint. Si l’Esprit Saint n'est pas là, il ne peut y avoir de synode. Un synode est une expérience ecclésiale dont le président et l'acteur principal sont l'Esprit Saint. Ce n'est pas un hasard si saint Basile de Césarée (c. 330-379, ndlr.) écrit dans son traité sur l'Esprit Saint, lorsqu'il veut définir cet Esprit: "Ipse harmonia est", "Il est harmonie". Et c'est précisément cela dont on fait l’expérience dans un synode», a-t-il développé, rappelant qu’en tant qu’assemblée de foi, le synode peut aussi être tenté et séduit par «l’esprit malin».
Le Vatican dans la guerre en Ukraine
Au chapitre géopolitique et Ukraine, le Souverain pontife a évoqué son implication personnelle et l’action diplomatique vaticane dans la guerre: sa visite à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège au lendemain de l’invasion. «Quelque chose qui ne s’est jamais fait et qu'un Pape ne fait normalement pas. Je me suis rendu disponible pour aller à Moscou et faire en sorte que ce conflit ne continue pas», explique-t-il, mentionnant les six déplacements de son aumônier apostolique, le cardinal Konrad Krajewski, en Ukraine.
«Nous ne cessons de parler avec le peuple russe afin d’entreprendre quelque chose», a-t-il déclaré, égrainant les cruelles réalités de la guerre: «Il y a beaucoup de mercenaires qui se battent avec. Certains sont très cruels, très cruels. Il y a de la torture; des enfants sont torturés. De nombreux enfants qui résident avec leur mère en Italie, des réfugiés, sont venus me trouver. Je n'ai jamais vu rire un enfant ukrainien. Pourquoi ces enfants ne rient-ils pas? Qu'ont-ils vu? C'est terrifiant, vraiment terrifiant. Ces gens souffrent, ils souffrent de l'agression. Je suis également en contact avec des Ukrainiens. Le président Volodymyr Zelensky a envoyé plusieurs délégations pour me parler.»
Depuis Caïn et Abel, chaque guerre est un échec
Le Souverain pontife a souhaité mentionné les autres guerres en cours dans le monde, auxquelles nous ne prêtons pas attention: en Birmanie, en Syrie -déjà 13 ans de guerre-, au Yémen, où les enfants n'ont ni éducation ni pain, où ils souffrent de la faim... En d'autres termes, le Pape a rappelé que «le monde est effectivement toujours en guerre». Il a une nouvelle fois dénoncé la grande industrie de l'armement et le commerce des armes.
«Chaque guerre est un échec. Mais on n’apprend pas, on n'apprend pas. Et maintenant que nous en vivons une autre de près, il faut espérer, si Dieu le veut, que nous en tirions enfin une leçon... Cela a commencé avec Caïn et Abel, et cela continue encore et encore. Pour moi, c'est très douloureux, très douloureux, et je ne peux pas choisir un camp, la guerre est mauvaise en soi», a-t-il ajouté, implorant la paix.
Une Église ne peut être purement sociale
Répondant à une question sur l’évolution d’une Église majoritaire à une Église de choix -avec moins de clergé et de fidèles- en Europe, le Pape a rappelé qu’une Église qui ne célèbre pas l'Eucharistie n'est pas une Église; mais qu’une Église qui se cache dans la sacristie n'est pas non plus une Église. «Se ranger dans la sacristie n'est pas un culte correct. La célébration de l'Eucharistie a des conséquences. Il y a la fraction du pain. Cela implique une obligation sociale, l'obligation de prendre soin des autres. La prière et l'engagement vont donc de pair», a-t-il répondu, précisant encore que l’engagement social de l’Église est une réaction, une conséquence du culte. «Il ne faut donc pas confondre cet engagement avec l’action philanthropique qu'un non-croyant peut également poser. L’action sociale de l’Église découle de son être parce qu'elle reconnaît Jésus en elle». Des actions sociales, mais qui ne sont pas accomplies par contrainte sociale ou par devoir, mais parce que Jésus y est présent. «Cependant, je n'y reconnaîtrai jamais Jésus si je ne le reconnais pas aussi dans l'adoration et le culte. Les deux vont de pair. Ils doivent être unis», a-t-il affirmé. «Une Église purement cultuelle n'est pas une Église, pas plus qu'une Église purement "sociale" -pour le décrire ainsi».
Nos aînés sont des joyaux
Sur le dialogue intergénérationnel, le Pape a réitéré à quel point nous devons prendre soin des aînés comme de joyaux. «Même s'il n'est plus en bonne santé ou s'il n'est plus pleinement conscient, nous devons en prendre soin comme d'un joyau, car cette personne, cet homme ou cette femme, a semé une vie nouvelle sa vie durant, nous a donné la vie».
Pour François qui leur a dédié toute une catéchèse lors des audiences générales, les grands-parents sont la mémoire qui nous transmet le savoir. «Et mettre les jeunes en contact avec leurs grands-parents, c'est semer la vie, c'est semer l'avenir. Nous devons les valoriser. Ils ne sont pas du matériel jetable, pas plus que les jeunes», a-t-il assuré.
À propos des limites du marché néolibéral évoqué par le journaliste, le Souverain pontife rapporte que l'économie doit être une économie sociale: «Quand on parle d'une "économie de marché", Jean-Paul II y a ajouté le ‘social’: une économie sociale de marché. Il faut toujours garder le social à l'esprit!»
Les quatre péchés des journalistes
Enfin, interrogé sur la possible canonisation du martyr flamand Titus Brandsma (1881-1942), patron des journalistes, le Pape François a loué les qualités d’un bon journaliste: «Je voudrais aussi profiter de cette occasion pour, à travers vous, remercier tous les journalistes pour leur travail. C'est un noble métier: transmettre la vérité. Mais en même temps, je vous demande de prendre garde aux quatre péchés des journalistes. Savez-vous lesquels ce sont?», a-t-il interrogé, les énumérant: «La désinformation -ne raconter qu'une partie et pas la totalité-, la calomnie, la diffamation –ce qui n'est pas la même chose- et la coprophilie, qui est: la recherche des choses dégoûtantes qui provoquent le scandale et attirent l'attention».
«Les qualités d'un journaliste sont l'écoute, la traduction et la transmission, car il faut toujours traduire, n'est-ce pas? Mais d'abord écouter... Il y a des journalistes qui sont brillants parce qu'ils disent clairement: ‘J'ai écouté, il a dit ceci, mais je pense le contraire’. C'est une bonne façon de jouer le jeu, mais pas: ‘Il a dit ceci’, même si ce n'est pas ce qui a été dit. Écouter, relayer le message et ensuite critiquer», a conclu le Pape François.
Le magazine catholique néerlandophone Tertio a vu le jour en 2000 dans un contexte flamand de progression des idées libertaires dans le débat public belge, avec une sous-représentation et perte de terrain connexe du catholicisme. Il doit effectivement son nom à la lettre du Pape Jean-Paul II, «Tertio Millennio Adveniente». Il est tiré à environ 6 000 exemplaires, et diffusé en Flandres et à Bruxelles.
L'entretien intégral est à retrouver en deux parties sur Cette interview du Pape François a été accordée à Tertio, et à l'hebdomadaire francophone belge Dimanche.
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