Devant le patronat italien, le Pape dresse un panorama de la crise du travail
Olivier Bonnel-Cité du Vatican
C'est une longue réflexion que le Pape François a développé devant plusieurs milliers de membres de la Confindustria, la confédération générale de l'industrie italienne. Première organisation patronale de la Péninsule, créée en 1910, elle représente plus de 115 000 entreprises et plus de 4 millions de salariés. François est d'abord revenu sur le difficile contexte économique actuel que traverse l'Italie. «La pandémie a mis à mal tant d'activités productives que l'ensemble du système économique en a souffert. Et maintenant, la guerre en Ukraine, avec la crise énergétique qui en découle, est venue s'ajouter » a t-il expliqué. Dans les périodes de crise, «le bon entrepreneur, qui a la responsabilité de son entreprise, des emplois, qui ressent les incertitudes et les risques sur lui-même, souffre aussi» a t-il noté.
François a rappelé que la Bible parlait souvent de travail, de commerce, d'argent, mais il n'y a pas « que les trente deniers de Judas » mais aussi l'argent du Bon Samaritain, qui permet de sauver une victime. «L'économie se développe et devient humaine lorsque les deniers des Samaritains deviennent plus nombreux que ceux de Judas» a souligné le Pape.
Le défi du partage
François a ensuite poursuivit sa réflexion sur les défis et qualités de l'entrepreneur, avec cette question: «quelles sont les conditions pour qu'un entrepreneur puisse entrer dans le Royaume des cieux ?» La première aux yeux du Pape est le partage. «La richesse, d'une part, aide beaucoup dans la vie ; mais il est vrai aussi qu'elle la complique souvent : non seulement parce qu'elle peut devenir une idole et un maître impitoyable qui vous prend toute votre vie jour après jour» a t-il relevé. La richesse appelle ainsi à la responsabilité, a expliqué l’évêque de Rome, dans le sens où une fois que je possède une richesse, il me revient de la faire fructifier, de ne pas la disperser, de l'utiliser pour le bien commun.
«Pour entrer dans le Royaume des Cieux, il n'est pas demandé à tout le monde de se dépouiller comme le marchand François d'Assise, a poursuivi le Pape; il est demandé à certains qui possèdent des richesses de les partager. Le partage est un autre nom pour la pauvreté évangélique». Pour vivre ce défi évangélique du partage, il revient à chaque entrepreneur de trouver la bonne voie, «en fonction de sa personnalité et de sa créativité» a poursuivi le Souverain pontife.
Le pacte fiscal au cœur du pacte social
François a remercié les patrons qui se sont mobilisés pour l'Ukraine, faisant preuve de générosité, en particulier grâce à leurs dons pour que les enfants ukrainiens réfugiés puissent aller à l'école. «Mais ce qui est très important, c'est que dans le monde moderne et dans les démocraties, il existe des impôts et des taxes, une forme de partage qui n'est souvent pas comprise» a t-il poursuivi. Le Pape a tenu ainsi à rappeler que «le pacte fiscal est le cÅ“ur du pacte social». L'impôt, a t-il développé est aussi une forme de partage des richesses, «pour qu'elles deviennent des biens communs, des biens publics: écoles, santé, droits, soins, sciences, culture, patrimoine».
L'autre façon de partager est la création d'emplois, «des emplois pour tous, en particulier pour les jeunes». Sans les jeunes, a expliqué le Pape, les entreprises perdent l'innovation, l’énergie et l’enthousiasme. Un véritable défi dans une Italie de plus en plus âgée. François a également rappelé que la création d'emploi est toujours une richesse partagée. «Aujourd'hui, la technologie risque de nous faire oublier cette grande vérité, mais si le nouveau capitalisme crée de la richesse sans créer de travail, cette grande bonne fonction de la richesse est en crise».
Un modèle à remettre en question
Mais le probème de l'emploi ne peut etre résolu s'il se limite au seul marché du travail. «C'est le modèle d'ordre social qu'il faut remettre en question» a plaidé le Pape. Un défi en Italie qui pose le problème de la dénatalité. François s'est plusieurs fois inquiété de "l'hiver démographique" qui frappe le pays. «La dénatalité, combinée au vieillissement rapide de la population, aggrave la situation des entrepreneurs, a t-il noté, mais aussi de l'économie en général: l'offre de travailleurs diminue et les dépenses de retraite des finances publiques augmentent. Il est urgent de soutenir les familles et le taux de natalité».
François a aussi rappelé l'une des richesses de l'Italie à savoir sa forte vocation communautaire et territoriale. «Le territoire vit de l'entreprise et l'entreprise puise la lymphe dans les ressources de la proximité, contribuant de manière substantielle au bien-être des lieux où elle est implantée». Un lien qu'il est nécessaire de préserver selon le Pape, en n'oubliant pas l'intégration constructive des migrants.
La perte de contact avec la réalité de l'entreprise
Un dernier aspect abordé par François aux membres de la Confindustria est «la perte de contact des entrepreneurs avec le travail», signe selon lui d'une des grandes crises de notre époque. «En grandissant, leur vie se passe dans les bureaux, les réunions, les voyages, les congrès, et ils ne fréquentent plus les ateliers et les usines. On oublie " l'odeur " du travail, on ne reconnaît plus les produits les yeux fermés en les touchant ; et quand un entrepreneur ne touche plus ses produits, il perd le contact avec la vie de son entreprise, et souvent son déclin économique commence» a t-il relevé.
François a ainsi mis en garde contre une trop grande différence de salaires au sein des entreprises. Chaque entrepreneur dépend de ses travailleurs a t-il souhaité rappeler, «de leur créativité, de leur cÅ“ur et de leur âme : il dépend de leur "capital" spirituel».
«Je vous encourage à ressentir l'urgence de notre époque, à être les protagonistes de cette ère en mutation, a conclu le Saint-Père. Avec votre créativité et votre innovation, vous pouvez créer un système économique différent, où la protection de l'environnement est un objectif direct et immédiat de votre action économique ». «Sans nouveaux entrepreneurs, la terre ne résistera pas à l'impact du capitalisme, et nous laisserons aux générations suivantes une planète trop blessée, voire invivable».
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