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Le Pape François répondant aux journalistes sur le vol de retour du Canada, samedi 30 juillet 2022. Le Pape François répondant aux journalistes sur le vol de retour du Canada, samedi 30 juillet 2022.  

Pour le Pape, les autochtones ont été victimes d'un génocide

À bord du vol de retour du Canada, le Pape François évoque son 37e voyage apostolique qui vient de s’achever, mais aussi l'ancien et le nouveau colonialisme. Le Saint-Père affirme qu'il n'a pas encore pensé à renoncer, mais minimise: «Nous pouvons changer de Pape». Il parle de la voie synodale en Allemagne, du développement de la doctrine et de l'importance des femmes dans la transmission de la foi.

À bord du vol Iqaluit-Rome

C’est bien un génocide qui a visé les peuples autochtones. Répondant à la question d'un journaliste canadien, le Pape François, dans le vol de retour d'Iqaluit vers Rome, a évoqué les thèmes du voyage qui vient de s'achever et le colonialisme, ancien et nouveau. Il a également abordé la question de la renonciation à la papauté, pressé à plusieurs reprises par les questions des journalistes, expliquant que, pour l'instant, il ne pensait pas à démissionner bien qu'il n’en excluait pas la possibilité. Au début de la conférence de presse, le Pape a remercié les journalistes qui l'accompagnaient: «Bonsoir et merci pour votre accompagnement, pour votre travail ici, je sais que vous avez travaillé dur et merci pour votre compagnie, merci».

Jessica Ka'nhehsíio Deer (Cbc Radio – Canada Indigenous)

En tant que descendante d'un survivant des pensionnats, je sais que les survivants et leurs familles veulent voir des actions concrètes dans vos excuses, y compris sur la fin de la «doctrine de la découverte». Considérant que cela est toujours inscrit dans la Constitution et les systèmes juridiques du Canada et des États-Unis, où les peuples autochtones continuent d'être spoliés de leurs terres et privés de pouvoir, n'était-ce pas une occasion manquée de faire une déclaration dans ce sens lors de votre voyage au Canada?

Je n’ai pas compris la seconde partie de la question. Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez pas doctrine de la découverte?

Jessica Ka'nhehsíio Deer

Lorsque je parle avec des autochtones, ils me disent que lorsque les colons sont arrivés en Amérique, ils se référaient à cette doctrine de la découverte qui a renforcé l'idée que les autochtones des nouveaux pays étaient inférieurs aux catholiques. C’est ainsi que le Canada et les États-Unis sont devenus des pays…

Merci pour la question. Je pense que c'est un problème de tout colonialisme. Les colonisations idéologiques d’aujourd’hui ont le même schéma. Celui qui ne suit pas la voie, est considéré inférieur. Mais je souhaite aller plus loin sur ce thème. Ils n'étaient pas seulement considérés comme inférieurs. Un théologien un peu fou se demandait s'ils avaient une âme. Lorsque Jean-Paul II s'est rendu en Afrique, dans le port d’où les esclaves étaient embarqués, il a donné un signal pour que nous comprenions le drame, le drame criminel: ces personnes ont été jetées dans des bateaux, dans des conditions désastreuses, et ensuite elles devenaient esclaves en Amérique.

Il est vrai que des voix s'exprimaient, comme Bartolomeo de las Casas, par exemple, Pedro Claver, mais elles étaient une minorité. La conscience de l'égalité humaine est arrivée lentement. Et je dis «conscience», parce que dans l'inconscient il reste encore quelque chose... Nous avons toujours, permettez-moi de le dire, comme une attitude colonialiste de ramener leur culture à la nôtre. C'est quelque chose qui nous vient de notre mode de vie développé qui fait que nous perdons parfois les valeurs des autres. Par exemple, les peuples autochtones possèdent une grande valeur qui est celle de l'harmonie avec la Création, et certains que je connais l'expriment en parlant de «bien vivre». Cela ne signifie pas, au sens où nous l’entendons nous, occidentaux, vivre bien ou vivre la dolce vita. Bien vivre, c'est chérir l'harmonie, et cela est pour moi la grande valeur des peuples originels. L'harmonie. Nous sommes habitués à tout ramener à la tête. Or, la personnalité des peuples originels, je parle en général, sait s'exprimer par trois langages: celui de la tête, celui du cÅ“ur et celui des mains; les trois ensembles et ils savent comment utiliser ce langage avec la Création. Ensuite, ce progressisme accéléré du développement un peu exagéré, un peu névrotique que nous avons…  Je ne m'exprime pas contre le développement. Le développement est une bonne chose. Mais ce qui n’est pas bon c’est l'anxiété du développement-développement-développement...

Écoutez, l'une des choses que notre civilisation surdéveloppée et commerciale a perdu, c’est la capacité de la poésie: les peuples autochtones ont cette capacité poétique. Je ne suis pas en train d'idéaliser. Ensuite, cette doctrine de la colonisation: c'est vrai, ce n’est pas une bonne chose, c'est injuste. Aujourd'hui encore, on l'utilise à l’identique, avec des gants de velours peut-être, mais on l'utilise aujourd'hui encore. Par exemple, des évêques de certains pays m'ont dit: «mais, notre pays, lorsqu'il demande un crédit à une organisation internationale, on y met des conditions, des conditions parfois législatives, colonialistes. Pour vous donner du crédit, ils vous font changer un peu votre façon de vivre». Pour en revenir à notre colonisation de l'Amérique, celle des Anglais, des Français, des Espagnols, des Portugais, ces quatre qui ont toujours représenté ce danger, cette mentalité: «nous sommes supérieurs et ces autochtones ne comptent pas», c'est grave. C'est pourquoi nous devons travailler à ce que vous dites: revenir en arrière et assainir, disons, ce qui a été mal fait, tout en sachant que le même colonialisme existe aujourd'hui. Pensez, par exemple, à un cas, universel et que je me permets de citer: les Rohingyas, en Birmanie: ils n'ont pas droit à la citoyenneté, ils sont d'un niveau inférieur, encore aujourd'hui.

Brittany Hobson (The Canadian Press)

Vous avez souvent dit qu'il fallait parler en termes clairs, honnêtes, directs. Vous savez que la Commission canadienne de vérité et de réconciliation a décrit le système des pensionnats comme un génocide culturel, et cette expression a été corrigée en génocide tout court. Les personnes qui ont entendu vos mots d'excuses ces derniers jours ont déploré le fait que le terme génocide n'ait pas été utilisé. Utiliseriez-vous ce terme et reconnaîtriez-vous que des membres de l'Église ont participé à ce génocide?

C'est vrai, je n'ai pas utilisé le mot parce qu'il ne m'est pas venu à l'esprit, mais j'ai décrit le génocide et j'ai demandé des excuses, le pardon pour cette histoire qui est un génocide. Par exemple, j'ai aussi condamné cela: enlever des enfants à leurs familles, changer la culture, changer les esprits, changer les traditions, changer une race, disons, toute une culture. Oui, il y a un mot technique -génocide- mais je ne l'ai pas utilisé car il ne m'est pas venu à l'esprit. Mais je l'ai décrit, oui, c'était un génocide, oui. Tu peux dire que je l’ai dit, oui, c'était un génocide.

Valentina Alazraki (Televisa)

Pape François, supposons que ce voyage au Canada était aussi un test, un test pour votre santé, pour ce que vous avez décrit ce matin comme des «limitations physiques». Nous voudrions savoir, après cette semaine, que pouvez-vous nous dire sur vos futurs voyages? Souhaitez-vous continuer à voyager comme ça? Y-aura-t-il des voyages que vous ne pourrez pas faire à cause de ces limitations, ou si, après une semaine, vous pensez qu’une opération du genou pourrait résoudre votre problème et vous permettre de voyager d'une certaine façon... comme avant?

Je ne sais pas... Je ne pense pas pouvoir suivre le même rythme de voyage qu'auparavant. Je pense qu'à mon âge et avec cette limitation, je dois m’économiser un peu pour pouvoir servir l'Église ou, au contraire, réfléchir à la possibilité de me retirer. Ceci en toute honnêteté: ce n'est pas une catastrophe, on peut changer de Pape, ce n’est pas un problème. Mais je pense que je dois limiter un peu mes efforts. L'opération du genou ne va pas, dans mon cas. Les techniciens disent oui, mais il y a tout le problème de l'anesthésie: j'ai subi plus de six heures d'anesthésie il y a dix mois et je garde encore des traces. On ne plaisante pas avec l'anesthésie. Et c'est pour cela qu’on pense qu’il ne vaudrait mieux pas. Mais j'essaierai de continuer à voyager et à être proche des gens, car je crois que c'est une façon de servir, une proximité. Mais je ne pourrais pas vous en dire plus. Espérons... Au Mexique, il n'y a rien de programmé encore hein?

Valentina Alazraki

Non, non, je le sais, mais il y a le Kazakhstan, et si vous allez au Kazakhstan ne devriez-vous pas aller aussi en Ukraine?

J'ai dit que j'aimerais aller en Ukraine. Nous verrons la situation en rentrant à la maison. Le Kazakhstan, pour le moment, j'aimerais y aller: c'est un voyage tranquille, sans grand mouvement, c’est un congrès des religions. Mais pour le moment, tout reste en place. Par ailleurs, je dois aller au Soudan du Sud avant le Congo, car il s'agit d'un voyage avec l'archevêque de Canterbury et l'évêque de l'Église d'Écosse, tous les trois ensembles, comme la retraite que nous avions faite ensembles tous les trois il y a deux ans. Au Congo, ce sera l'année prochaine, parce qu’il y a la saison des pluies. Nous verrons. J'ai toute la bonne volonté, mais nous verrons ce que dit ma jambe.

Caroline Pigozzi (Paris Match)

Ce matin, vous avez rencontré à l'archevêché des membres locaux de la Compagnie de Jésus, votre famille, comme vous le faites toujours lors de vos voyages.  Il y a neuf ans, en revenant du Brésil, je vous demandais si vous vous sentiez toujours jésuite. Votre réponse était positive. Le 4 décembre, après avoir vu les jésuites en Grèce, vous avez dit que lorsqu'on commence un processus, il faut le laisser se développer, laisser une Å“uvre grandir, et qu’ensuite il faut se retirer. Chaque jésuite, disiez-vous, doit faire cela, car aucune Å“uvre ne lui appartient car elle appartient au Seigneur. Cette déclaration pourrait-elle un jour être valable pour un Pape jésuite?

Je le crois, oui.

Caroline Pigozzi

Vous voulez dire que vous pourriez prendre votre retraite comme les jésuites?

Oui. Oui. C'est une vocation.

Caroline Pigozzi

Être Pape ou jésuite?

Jésuite. Ce que le Seigneur dit, le jésuite essaie. Il essaie mais n'y arrive pas toujours, il essaie de faire la volonté du Seigneur. Le Pape jésuite doit faire de même. Quand le Seigneur parle, si le Seigneur dit d'aller de l'avant, vous allez de l'avant, si le Seigneur dit d'aller au coin, vous allez au coin. C'est le Seigneur qui...

Caroline Pigozzi

Ce qu’il dit, ça veut dire qu’on attend la mort à un certain moment…

Mais nous attendons tous la mort....

Caroline Pigozzi

Je veux dire: vous ne prenez pas votre retraite, avant?

Ce que le Seigneur dit. Le Seigneur peut dire retraite. C'est le Seigneur qui commande. Une chose à propos de saint Ignace, c'est important. Quand quelqu'un était fatigué, malade, saint Ignace le dispensait de la prière, mais il ne le dispensait jamais de l'examen de conscience. Deux fois par jour, pour regarder ce qui s'est passé dans mon cÅ“ur aujourd'hui. Pas pour regarder les péchés ou l'absence de péchés, mais pour regarder l'esprit qui m'anime aujourd'hui. Notre vocation est de chercher ce qui s'est passé aujourd'hui. Si, c'est une hypothèse, je vois que le Seigneur me dit quelque chose, que quelque chose m'est arrivé, que j'ai une inspiration, je dois discerner pour voir ce que le Seigneur me demande. Il se peut aussi que le Seigneur veuille m'envoyer dans un coin, c'est lui qui commande. C'est le mode de vie religieuse d'un jésuite, être en discernement spirituel pour prendre des décisions, choisir un chemin de travail, d'engagement aussi... Le discernement est la clé de la vocation du jésuite. C'est important. Saint Ignace était très fin en cela car c'est sa propre expérience de discernement spirituel qui l'a conduit à la conversion. Et les exercices spirituels sont vraiment une école de discernement. Le jésuite doit donc être par vocation un homme de discernement: discernement des situations, discernement de sa conscience, discernement des décisions à prendre. C'est pourquoi il doit être ouvert à tout ce que le Seigneur lui demande. C'est un peu de notre spiritualité.

Caroline Pigozzi

Mais vous sentez-vous plus Pape ou plus jésuite?

Bon, je n'ai jamais mesuré cela, si je suis plus Pape ou plus jésuite. Je me sens un serviteur du Seigneur avec l'habitude du jésuite. Il n'existe pas de spiritualité papale. Il n'y en a pas. Chaque Pape développe sa propre spiritualité. Pensez à saint Jean Paul II avec cette belle spiritualité mariale qu'il avait. Il l'avait avant et il l'avait en tant que Pape. Pensez aux nombreux Papes qui ont perpétué leur spiritualité.

La papauté n'est pas une spiritualité, c'est un travail, une fonction, un service. Chacun procède avec sa propre spiritualité, ses propres grâces, sa propre fidélité et aussi ses propres péchés. Mais il n'y a pas de spiritualité papale. C'est pourquoi il n'y a pas de comparaison entre la spiritualité jésuite et la spiritualité papale, car cette dernière n'existe pas. Vous comprenez?

Severina Elisabeth Bartonitschek (CIC)

Hier, vous avez également parlé de la fraternité de l'Église: une communauté qui sait écouter et dialoguer, qui favorise une bonne qualité de relations. Mais il y a quelques jours, il y a eu la déclaration du Saint-Siège sur le chemin synodal de l'Allemagne, un texte sans signature. Pensez-vous que cette façon de communiquer contribue ou constitue un obstacle au dialogue?

Tout d'abord, ce communiqué a été fait par la Secrétairerie d'État. C'était une erreur de ne pas le dire. Je crois qu'il était écrit qu’il s’agissait d’un communiqué de la Secrétairerie d'État mais je n’en suis pas sûr. C'était une erreur de ne pas le signer en tant que Secrétairerie d'État, mais une erreur de procédure, pas de mauvaise volonté.

Et sur le chemin synodal, j'ai écrit une lettre, je l'ai fait seul: un mois de prière, de réflexion, de consultations. Et j'ai dit tout ce que j'avais à dire sur le chemin synodal, je n'en dirai pas plus et cette lettre que j'ai écrite il y a deux ans relève du Magistère pontifical sur le chemin Synodal. J'ai contourné la Curie, parce que je n'ai pas fait de consultations (à la Curie), aucune. J'ai fait mon propre cheminement en tant que pasteur pour une Église qui cherche une voie, comme un frère, comme un père et comme un croyant. Et voici mon message. Je sais que ce n'est pas facile, mais tout est là dans cette lettre. Merci.

Ignazio Ingrao (RAI-TG1)

L'Italie traverse une période difficile qui suscite également des inquiétudes au niveau international. Il y a la crise économique, la pandémie, la guerre et maintenant nous sommes aussi sans gouvernement. Vous êtes le Primat d'Italie: dans votre télégramme au président Mattarella pour son anniversaire, vous avez parlé d'un pays marqué par de nombreuses difficultés et appelé à faire des choix cruciaux. Comment avez-vous vécu la chute du gouvernement de Mario Draghi?

Tout d'abord, je ne veux pas me mêler de la politique intérieure italienne. Deuxièmement, personne ne peut dire que le président du conseil Mario Draghi n'était pas un homme de grande envergure internationale. Il était président de la Banque centrale européenne. Il a fait une belle carrière. J'ai posé une question à l'un de mes collaborateurs: dites-moi, combien de gouvernements l'Italie a-t-elle eu au cours de ce siècle? Il m'a dit 20. Voici ma réponse...

Ignazio Ingrao

Quel appel lancez-vous aux forces politiques en vue de ces élections difficiles?

Responsabilité. Responsabilité civique...

Claire Giangrave (Religion News Service)

De nombreux catholiques, mais aussi de nombreux théologiens, estiment qu'une évolution de la doctrine de l'Église concernant les contraceptifs est nécessaire. Il semblerait que même votre prédécesseur, Jean-Paul I, ait pensé qu'une interdiction totale devait peut-être être reconsidérée. Que pensez-vous à cet égard, en d'autres termes: êtes-vous ouvert à une réévaluation dans ce sens, ou y a-t-il une possibilité pour un couple d'envisager des contraceptifs?

C'est très opportun. Mais sachez que le dogme, la morale, est toujours sur un chemin de développement, mais un développement dans le même sens. Pour parler en termes clairs, je crois l'avoir déjà dit ici: pour le développement théologique d'une question morale ou dogmatique, il existe une règle qui est très claire et qui illumine. C'est ce qu'a fait plus ou moins Vincent de Lérins au Xe siècle. Il a dit que la vraie doctrine pour avancer, pour se développer, ne doit pas être tranquille, elle se développe ut annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate. C'est-à-dire qu'elle se consolide avec le temps, se dilate, se consolide et devient plus mature mais toujours en progrès. C'est pourquoi le devoir des théologiens est la recherche, la réflexion théologique. On ne peut pas faire de la théologie avec un «non» devant soi. Ensuite ce sera au Magistère de dire non, d’aller plus loin, ou de revenir, mais le développement théologique doit être ouvert. Les théologiens sont là pour cela. Et le Magistère doit aider à comprendre les limites. En ce qui concerne la question des contraceptifs, je sais qu'une publication est parue sur ce sujet et sur d'autres questions matrimoniales. Ce sont les actes d'un congrès et dans un congrès il y a des présentations, puis les congressistes discutent entre eux et font des propositions. Il faut être clair: ceux qui ont participé à ce congrès ont fait leur devoir, parce qu'ils ont essayé d'avancer dans la doctrine, mais dans un esprit ecclésial, pas en dehors, comme je l'ai expliqué à travers cette règle de saint Vincent de Lérins. Ensuite le Magistère dira, oui c'est bon ou ce n'est pas bon. Mais beaucoup de choses sont en jeu. Pensez par exemple aux armes atomiques: aujourd'hui, j'ai officiellement déclaré que l'utilisation et la possession d'armes atomiques sont immorales. Pensez à la peine de mort: aujourd'hui, je peux dire que nous sommes proches de l'immoralité parce que la conscience morale s'est bien développée. Pour être clair: quand le dogme ou la morale se développe, c'est bien, mais dans cette direction, celle des trois règles de Vincent de Lerins. Je pense que c'est très clair: une Église qui ne développe pas sa pensée dans un esprit ecclésial est une Église qui recule, et c'est le problème aujourd'hui, de tant de personnes qui se disent traditionnelles. Non, elles ne sont pas traditionnelles, ce sont des «marche-arrièristes», ils marchent à reculons, sans racines: on a toujours fait comme ça, au siècle dernier on faisait comme ça. Et le «marche-arrièrisme» est un péché parce qu'il n’avance pas avec l'Église. Or, quelqu’un disait que la tradition -je pense l'avoir dit dans un des discours- la tradition est la foi vivante des morts, alors que ces «marche-arrièristes» qui se disent traditionalistes, sont la foi morte des vivants. La tradition est précisément la racine, l'inspiration pour aller de l'avant dans l'Église, et elle est toujours verticale. Et le «marche-arrièrisme» est un retour en arrière, il est toujours fermé. Il est important de bien comprendre le rôle de la tradition, qui est toujours ouverte, comme les racines de l'arbre, et l'arbre pousse. Un musicien a eu une très belle phrase: Gustav Mahler a dit que la tradition dans ce sens est la garantie de l'avenir, ce n'est pas une pièce de musée. Si vous concevez la tradition comme fermée, ce n'est pas la tradition chrétienne. C'est toujours le jus des racines qui vous fait avancer, avancer, avancer. C'est pourquoi, en rapport à ce que vous dites, penser et développer la foi et la morale, tant que cela va dans le sens des racines, du jus, c'est bien. Avec les trois règles de Vincent de Lérins que j'ai mentionnées.

Eva Fernandez (Cadena Cope)

Un consistoire a lieu fin août. Dernièrement, de nombreuses personnes vous ont demandé si vous aviez pensé à démissionner. Ne vous inquiétez pas, nous ne vous le demanderons pas cette fois, mais nous sommes curieux: avez-vous déjà réfléchi aux caractéristiques que vous souhaiteriez que votre successeur ait?

C'est le travail de l’Esprit Saint, vous savez. Je n'oserais jamais y réfléchir... L’Esprit Saint sait faire cela mieux que moi, mieux que nous tous. Parce qu'il inspire les décisions du Pape, il inspire toujours. Parce qu'il est vivant dans l'Église, vous ne pouvez pas concevoir l'Église sans l'Esprit Saint, c'est lui qui fait les différences, il fait aussi le bruit -pensez au matin de la Pentecôte- et puis il fait l'harmonie. Il est important de parler &±ô²¹±ç³Ü´Ç;»å’h²¹°ù³¾´Ç²Ô¾±±ð» plutôt que «d'unité». L'unité oui, mais l'harmonie, pas comme une chose fixe. L’Esprit Saint te donne une harmonie progressive, qui va de l’avant. J'aime ce que saint Basile dit de l’Esprit Saint: Ipse armonia est, Il est l'harmonie. Il est l'harmonie parce qu'il fait d'abord le bruit avec la différence des charismes. Laissons donc ce travail à l'Esprit Saint.

À propos de mes démissions, je tiens à remercier pour le bel article que l'une d'entre vous a écrit (en y mettant) tous les signaux qui pourraient conduire à une démission et tous ceux qui apparaissent. C'est un beau travail de journaliste qui finit par donner son opinion, mais qui (entre-temps) va voir tous les signaux, pas seulement les déclarations, avec ce langage souterrain qui (pourtant) donne aussi des signaux. Savoir lire les signaux ou au moins faire un effort pour les interpréter, ce qui peut être l'un ou l'autre, est un beau travail pour lequel je vous remercie beaucoup.

Phoebe Natanson (ABC News)

Excusez-moi Saint-Père, je sais que vous avez eu beaucoup de questions de ce type, mais je voulais vous demander, en ce moment, avec les difficultés de santé et tout le reste, l'idée vous est-elle venue qu'il serait peut-être temps de prendre votre retraite? Avez-vous eu des problèmes qui vous ont fait réfléchir à ce sujet? Y a-t-il eu des moments difficiles qui vous ont fait réfléchir à cela?

La porte est ouverte, c'est une option normale, mais jusqu'à aujourd'hui je n'ai pas frappé à cette porte, je n'ai pas dit que j'allais dans cette pièce, je n'ai pas eu envie de penser à cette possibilité. Mais ça ne veut pas dire qu'après-demain, je ne commencerai pas à réfléchir, n'est-ce pas? Mais en ce moment, sincèrement, non. Ce voyage était aussi un peu un test... c'est vrai qu'on ne peut pas faire de voyages dans cet état, il faut peut-être changer un peu de style, diminuer, payer les dettes des voyages qu'il reste à faire, réorganiser... Mais le Seigneur le dira. La porte est ouverte, c'est vrai.

Et puis, avant de prendre congé, je voudrais parler d'une chose très importante pour moi: le voyage ici au Canada était très lié à la figure de sainte Anne. J'ai dit quelques choses sur les femmes, mais surtout sur les femmes âgées, les mères et les grands-mères. Et j'ai souligné une chose qui est claire: la foi doit être transmise en dialecte, et le dialecte -je l'ai dit clairement- maternel, le dialecte des grands-mères. Nous avons reçu la foi sous cette forme dialectale féminine, et ceci est très important: le rôle des femmes dans la transmission de la foi et le développement de la foi. C'est la mère ou la grand-mère qui apprend à prier, c'est la mère ou la grand-mère qui explique les premières choses que l'enfant ne comprend pas sur la foi. Et je peux dire que cette transmission dialectale de la foi est féminine. Quelqu'un me dira peut-être: mais comment l'expliquez-vous théologiquement? Je dirai (que) celui qui transmet la foi est l'Église et l'Église est féminine, l'Église est épouse, l'Église n'est pas homme, l'Église est femme. Et nous devons entrer dans cette pensée de l'Église comme femme, de l'Église comme mère, qui est plus importante que toute fantaisie ministérielle machiste ou tout pouvoir machiste. L’Église mère, la maternité de l'Église. C’est la figure de la Mère du Seigneur.

Il est important en ce sens de souligner l'importance dans la transmission de la foi de ce dialecte maternel. Je l'ai découvert en lisant, par exemple, le martyre des Maccabées: à deux ou trois reprises, il est dit que la mère leur a donné des âmes dans le dialecte maternel. La foi doit être transmise en dialecte. Et ce dialecte est parlé par des femmes. C'est la grande joie de l'Église, car l'Église est femme, l'Église est épouse. Je voulais le dire clairement en pensant à sainte Anne. Merci, merci de votre patience. Merci de votre écoute, reposez-vous et bon voyage.

Le Pape a finalement repris le micro pour saluer Paolo Rodari, vaticaniste du quotidien national italien La Repubblica, qui effectuait son dernier vol papal.

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30 juillet 2022, 09:45