Le Pape François lave les pieds de détenus dans une prison de Civitavecchia
Salvatore Cernuzio – Cité du Vatican
Balduz enlève son masque et embrasse la main du pape, puis y pose son front. Il le fait deux fois. En Égypte, son pays d’origine, c'est un signe de la plus grande gratitude. François vient de lui laver les pieds ainsi qu'à onze autres détenus de la prison de Civitavecchia, où il a choisi cette année de célébrer la messe in Coena Domini du Jeudi Saint. «Merci», murmure l'homme, qui retrouvera la liberté le 8 juin prochain. «Merci», répond le Pape qui se tourne ensuite vers Daniele, 38 ans, Papa d’une petit garçon qui vit avec sa compagne à Fiumicino. Président d'une association pour enfants handicapés, il se retrouve en prison «pour une bêtise»: «Pendant la pandémie, j’ai eu une baisse de revenus et j'ai dû commettre un délit». Il a écopé de deux ans et retournera bientôt auprès de sa famille. Sur son col roulé noir, il porte un chapelet en plastique bleu. Le Pape, après lui avoir lavé les pieds, l'invite à prier pour lui chaque jour. «Bien sûr», assure cet homme a l'air dur, mais que l’on retrouvera ému à la fin de la célébration: «Ces choses-là vous arrivent une seule fois dans une vie...», glisse-t-il. «Je peux vous dire une chose», ajoute-t-il, «la prison m'a sauvé, j'aurais pris des chemins pires». Les autres camarades, alignés sur une petite estrade, acquiescent.
Un rite émouvant
Ils sont Italiens, Nigérians, Égyptiens, Slovaques, Ukrainiens, Néerlandais, Albanais et Américains. Le Pape a lavé les pieds de chacun d'entre eux, répétant le geste de Jésus lors de la dernière Cène, un rite profondément émouvant. Parmi les onze personnes présentes, trois femmes étaient assises elles aussi sur l’estrade, dont une plus âgée assistée d’une jeune femme de couleur qui l'a également aidée à prendre la communion. Ces détenus ne se connaissent pas, ils viennent des différentes sections de la prison située à une soixantaine de kilomètres au nord de Rome, qui, entre les prisonniers et le personnel, accueille une communauté d'environ 900 personnes. Les détenus sont au nombre de 530 et la plupart sont des femmes.
Seul un échantillon a pu venir dans la chapelle pour saluer le Pape. Beaucoup sont restés dehors, adossés au mur pour filmer et saluer l'arrivée, peu avant 16 heures, de la Fiat 500L blanche transportant le Pape. «Ah, mais ce n'est pas une papamobile !» s'écrie un petit garçon, après avoir laissé s’envoler des ballons jaunes et blancs avec d'autres enfants. Le Pape est descendu de la voiture et a été accueilli par la directrice du centre carcéral Patrizia Bravelli, qu'il avait déjà rencontrée il y a quelques années. Un échange de quelques mots, la présentation des représentants de la structure et des autorités venus pour l’occasion, dont la ministre italienne de la Justice, Marta Cartabia.
S’en suivent les cris de joie lorsque le Saint-Père entre dans la chapelle avec deux grandes allées remplies de détenus qui crient et applaudissent: «Vive le Pape! Allez François !». Un homme au crâne rasé et au visage tatoué mène le train, ses compagnons l'embrassent amusés, François se retourne et sourit. Beaucoup essaient de serrer la main du Pape qui se dirige vers la sacristie, d'où il ressort quelques minutes plus tard, tenant une crosse en bois d'olivier.
Désirer servir et se pardonner
La célébration est intime, animée par des chants interprétés par une chorale de prisonniers. D'autres font office de servants de messes et de lecteurs. L'homélie du Pape, prononcée à voix basse, est centrée sur les notions de pardon et de service. L'évêque de Rome commente les lectures du jour, en parlant du signe du lavement des pieds, une «chose étrange» dans ce monde : «Jésus lave les pieds du traître, de celui qui le vend», dit le Souverain Pontife. «Jésus nous enseigne ceci, simplement : entre vous, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres... l'un sert l'autre, sans intérêt : comme ce serait beau si cela pouvait se faire tous les jours et pour tous les hommes». «Sans intérêt», répète le Pape.
«Dieu, ajoute-t-il ensuite, pardonne tout et Dieu pardonne toujours ! C'est nous qui sommes fatigués de demander le pardon». « Demandez pardon à Jésus», insiste François: «Il y a un Seigneur qui juge, mais c'est un jugement étrange : le Seigneur juge et pardonne ». Le Pape conclut en exhortant les gens à suivre le Christ, avec «le désir de servir et de se pardonner mutuellement».
L'homélie devait s’achever par une longue pause de silence. Mais, des applaudissements nourris ont été entendus dans la chapelle lorsqu'un jeune homme, lors de la prière des fidèles, a scandé: «Pour nos compagnons les plus fragiles, qui ont perdu la vie en prison, afin que le Seigneur les accueille dans son étreinte aimante et fasse briller la béatitude sur leurs visages». Les mains applaudissent en mémoire de ceux qui n'ont pas pu venir. Un signe du fort sentiment de communauté qui anime les résidents du pénitencier. La directrice le souligne aussi dans son allocution, sans nier les problèmes de la «maison»: ceux apportés de l'extérieur - violence, troubles mentaux, dépendances, exclusion sociale - et ceux qui se produisent inévitablement à l'intérieur. «Il y a ici une humanité différente et complexe dans laquelle on voit beaucoup de fragilités», explique-t-elle, parlant toutefois de «redémarrages», de nouvelles vies, de nouveaux espoirs, de nouveaux objectifs.
Des échanges simples mais intenses
François écoute, acquiesce, sourit, regarde avec intérêt les nombreux cadeaux qu'il a reçus: des paniers de plantes et de fleurs, des sculptures en bois et en fil de cuivre et des dessins au crayon, «tous faits de matériaux pauvres». Chaque personne présente se voit remettre un chapelet du Souverain Pontife. Certains en demandent deux pour leur épouse ou compagne lorsqu’ils sortiront. Un jeune homme, très jeune et barbu, en a brandi un noir, demandant au Pape de le bénir. Le Successeur de Pierre essaie de prendre quelques instants avec tous, et lorsqu'il part, la foule se rassemble autour de lui, retenue par des policiers et des gendarmes. De nouveau retentissent des applaudissements et des cris «Vive le Pape !». À la sortie, les sÅ“urs Ancelle della Visitazione, qui servent dans la prison, attendent le Souverain Pontife. Débordées par l’émotion de voir celui-ci, elles ne parviennent pas à dire quelques mots. Le Pape plaisante avec elles et avec un groupe d'enseignants, puis il se rend dans un petit bâtiment du complexe utilisé pour les réunions avec les parents et les amis.
François y rencontre les détenus de la section de haute sécurité: moins de cinquante personnes, jeunes et moins jeunes, tous avec une histoire différente. Le Pape plaisante avec certains d'entre eux. À un homme avec un pansement sur le nez, il dit: «Ils t'ont frappé ?». Ce dernier éclate de rire et serre les mains du Pape. Un homme âgé ouvre une enveloppe et montre des photos: «Ce sont mes petits-enfants, je ne les ai jamais vus».
Le Saint Père salue ensuite les fonctionnaires et une partie du personnel de l'établissement, dont un groupe d'infirmières. Une chaise dorée est placée au centre, mais le Pape ne l'utilise que pour signer le livre d'honneur. Il fait le tour des personnes présentes, bénit les familles, tapote les enfants sur les joues, recueille les dessins, les confidences et les larmes d'une femme, l'épouse d'un policier, qui a perdu ses deux parents il y a quelques jours.
Ces courts instants semblent suffisants pour que la communauté de la prison de Civitavecchia puisse écrire des chapitres entiers de la vie de chacun. «Je n'arrive pas à croire que vous êtes venu jusqu’ici, Saint-Père », dit un gardien, juste avant que le Pape ne remonte en voiture. Tout a duré moins de deux heures, mais a semblé beaucoup plus long. Vers 17h45, François est déjà en route pour Rome. Avant de franchir le portail, il fait arrêter la voiture pour un homme qui lui demande un selfie. À la directrice, il exprime sa gratitude pour tout ce qui est fait dans le centre carcéral: «Merci, merci pour ce que vous faites et continuez».
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