蜜桃交友

Cyprien Viet 鈥� Cité du Vatican

Le Pape François explique dans son le contexte de cette parole de Jésus, en réaction à l鈥檃ttitude de la femme qui lui a versé un vase de parfum sur la tête, suscitant l鈥檌ncompréhension d鈥檜ne partie de l鈥檈ntourage du Christ. Judas s鈥檕ffusque de ce qu鈥檌l dénonce comme de l鈥檃rgent gâché, mais en réalité c鈥檈st son propre intérêt qu鈥檌l recherche: il est personnellement intéressé par les 300 deniers auxquels correspond la valeur de ce parfum.

Jésus, lui, aide à comprendre le sens profond du geste accompli par la femme. Il dit : «Laissez-la! Pourquoi la tourmenter? Il est beau le geste qu鈥檈lle a fait envers moi» (Mc 14, 6). Le Pape livre une lecture émouvante de cette réaction du Christ : «Jésus sait que sa mort est proche et voit dans ce geste l鈥檃nticipation de l鈥檕nction pour son corps sans vie avant qu鈥檌l ne soit placé au tombeau. Ce point de vue va au-delà de toute attente des convives. Jésus leur rappelle que le premier pauvre c鈥檈st Lui, le plus pauvre parmi les pauvres parce qu鈥檌l les représente tous. Et c鈥檈st aussi au nom des pauvres, des personnes seules, marginalisées et discriminées que le Fils de Dieu accepte le geste de cette femme.»

Le Pape rend hommage au courage de cette femme. «Par sa sensibilité féminine, elle montre qu鈥檈lle est la seule à comprendre l鈥�état d鈥檈sprit du Seigneur, explique-t-il. Cette femme anonyme - peut-être destinée à représenter l鈥檜nivers féminin tout entier qui, au fil des siècles, n鈥檃ura pas voix au chapitre et subira des violences - inaugure la présence significative des femmes qui participent aux événements culminants de la vie du Christ: sa crucifixion, sa mort et son ensevelissement ainsi que son apparition comme Ressuscité. Les femmes, si souvent discriminées et tenues à l鈥�écart des postes de responsabilité, sont au contraire, dans les pages des Évangiles, protagonistes dans l鈥檋istoire de la révélation.»

Donner sa vie dans un vrai partage avec les pauvres

«Jésus est non seulement du côté des pauvres, mais partage avec eux le même sort», explique François. Les chrétiens ont donc un devoir de solidarité concrète et non pas seulement d鈥檃umône ponctuelle, qui parfois humilie la personne pauvre plus qu鈥檈lle ne l鈥檃ide. «Les pauvres sont un sacrement du Christ, ils représentent sa personne et nous renvoient à lui», avertit le Pape.

«Nous avons tant d鈥檈xemples de saints et de saintes qui ont fait du partage avec les pauvres leur projet de vie», remarque le Pape en donnant l鈥檈xemple du père Damien de Veuster, apôtre des lépreux sur l鈥�île-ghetto de Molokai. «Il se fit médecin et infirmier, inconscient des risques qu鈥檌l prenait et dans cette 鈥渃olonie de la mort鈥�, comme on appelait l鈥�île, il a apporté la lumière de l鈥檃mour. La lèpre l鈥檃 également frappé, signe d鈥檜n partage total avec les frères et s艙urs pour lesquels il avait fait don de sa vie. Son témoignage est très actuel en ces jours marqués par la pandémie de coronavirus: la grâce de Dieu est certainement à l鈥櫯搖vre dans le c艙ur de beaucoup de personnes qui, dans la discrétion, se dépensent pour les plus pauvres dans un partage concret.»

Changer de vie dans un monde qui change

Le fait de suivre le Christ nécessite donc une «conversion», qui consiste avant tout à «ouvrir notre c艙ur afin de reconnaître les multiples expressions de pauvreté et à manifester le Royaume de Dieu par un mode de vie cohérent avec la foi que nous professons». Ce chemin implique de profonds renoncements. «Si l鈥檕n ne choisit pas de devenir pauvre de richesses éphémères, de pouvoir mondain et de vantardise, on ne pourra jamais donner sa vie par amour; on vivra une existence morcelée, pleine de bonnes intentions, mais inefficace pour transformer le monde. Il s鈥檃git donc de s鈥檕uvrir résolument à la grâce du Christ, qui peut nous rendre témoins de sa charité sans limites et redonner de la crédibilité à notre présence dans le monde.»

Les chrétiens doivent également se montrer particulièrement attentifs à l鈥�émergence «de nouvelles formes de pauvreté ». «Un marché qui ignore ou sélectionne les principes éthiques crée des conditions inhumaines qui frappent des personnes qui vivent déjà dans des conditions précaires. On assiste ainsi à la création de pièges toujours nouveaux de la misère et de l鈥檈xclusion, produits par des acteurs économiques et financiers sans scrupules, dépourvus de sens humanitaire et de responsabilité sociale.»

Ces phénomènes sont aggravés par la pandémie, qui «continue à frapper aux portes de millions de personnes et, quand elle n鈥檃pporte pas avec elle la souffrance et la mort, elle est quand même porteuse de pauvreté. Le nombre de pauvres a augmenté de manière démesurée et, malheureusement, cela sera encore le cas dans les mois à venir. Certains pays subissent des conséquences très graves de la pandémie, de sorte que les personnes les plus vulnérables se retrouvent privées de biens de première nécessité. Les longues files d鈥檃ttente devant les cantines pour les pauvres sont le signe tangible de cette aggravation», remarque le Pape avec tristesse. Il salue néanmoins tous ceux qui se retroussent les manches pour venir en aide aux personnes en difficulté dans cette période de crise.

Rendre aux pauvres leur dignité dans l鈥檃ide réciproque

Sur le plus long terme, l鈥檈njeu n鈥檈st pas seulement de voir plus de riches aider les pauvres, mais de développer des relations de réciprocité qui soient motivantes et valorisantes pour tous. Le Pape invite à construire «des processus de développement qui valorisent les capacités de tous, pour que la complémentarité des compétences et la diversité des rôles conduisent à une ressource commune de participation. Beaucoup de pauvreté des 鈥渞iches鈥� pourrait être guérie par la richesse des 鈥減auvres鈥�, si seulement ils se rencontraient et se connaissaient! Personne n鈥檈st si pauvre qu鈥檌l ne puisse pas donner quelque chose de lui-même dans la réciprocité», explique François en soulignant la générosité des pauvres eux-mêmes. «C鈥檈st vrai, ces gens manquent de quelque chose, ils leur manquent souvent beaucoup et même du nécessaire, mais ils ne manquent pas de tout, parce qu鈥檌ls conservent leur dignité d鈥檈nfants de Dieu que rien ni personne ne peut leur enlever.»

Le Pape appelle donc une nouvelle fois à construire «une approche différente de la pauvreté» sur le plan politique, tant au niveau des États qu鈥檃u niveau des institutions mondiales, en s鈥檌ntéressant aux personnes incarnées, réelles, concrètes, et non pas seulement à des projections statistiques. «Nous devrions avouer avec une grande humilité que nous sommes souvent des incompétents devant les pauvres. On parle d鈥檈ux de manière abstraite, on s鈥檃rrête aux statistiques et on s鈥�émeut devant quelque documentaire. La pauvreté, au contraire, devrait entraîner une conception créative, permettant d鈥檃ccroître la liberté effective de pouvoir réaliser l鈥檈xistence avec les capacités propres à chaque personne.». L鈥檈njeu en effet ce n鈥檈st pas seulement de donner de l鈥檃rgent, mais de garantir le droit à l鈥檈xpression et à la participation. «Servir efficacement les pauvres provoque l鈥檃ction et permet de trouver les formes les plus appropriées pour relever et promouvoir cette partie de l鈥檋umanité trop souvent anonyme et sans voix, mais qui a imprimé en elle le visage du Sauveur qui demande de l鈥檃ide.»

Aider les pauvres n鈥檈st pas une option, mais un devoir

Toute la tradition biblique et patristique insiste sur l鈥檃ttention due aux pauvres, comme l鈥檌ndique par exemple cette citation de saint Jean Chrysostome reprise par le Pape: «Toi aussi, donc, quand tu vois un homme sur la terre qui a fait le naufrage de la misère, ne juge pas, ne lui demande pas compte de sa conduite, mais libère-le du malheur.»

Le Pape dresse un diagnostic incisif des situations de tensions qui émergent dans les pays développés. «L鈥�état de bien-être relatif auquel on s鈥檈st habitué rend plus difficile l鈥檃cceptation des sacrifices et des privations. On est prêt à tout pour ne pas être privé de tout ce qui a été le fruit d鈥檜ne conquête facile. On tombe ainsi dans des formes de rancune, de nervosité spasmodique, de revendications qui conduisent à la peur, à la détresse et, dans certains cas, à la violence. Ce n鈥檈st pas le critère sur lequel construire l鈥檃venir; et pourtant, ce sont aussi des formes de pauvreté dont on ne peut détourner le regard », avertit François en invitant les chrétiens à trouver «de nouvelles façons d鈥�être évangélisateur dans le monde contemporain ».

Le Pape exhorte donc à aller au contact direct des pauvres, à s鈥檌mmerger dans leurs réalités plutôt que d鈥�évaluer leur nombre. «Les pauvres s鈥檈mbrassent, ils ne se comptent pas», écrit-il en citant le prêtre italien Primo Mazzolari. «Comme ce serait évangélique si nous pouvions dire en toute vérité: nous sommes pauvres, nous aussi, et c鈥檈st seulement de cette manière que nous réussissons à les reconnaître réellement et les rendre partie intégrante de notre vie et instrument de salut», insiste le Pape en conclusion.