Le Pape à l'ONU: faire de la crise une opportunité
Xavier Sartre – Cité du Vatican
La crise de la covid-19 «est en train de changer notre forme de vie, en questionnant nos systèmes économiques, sanitaires et sociaux, et en exposant notre fragilité comme créatures»: le Pape François place son discours sous le signe de la pandémie qui nous place à la croisée des chemins. «L’un conduit au renforcement du multilatéralisme, expression d’une coresponsabilité mondiale renouvelée, d’une solidarité fondée sur la justice et l’accomplissement de la paix et de l’unité de la famille humaine, projet de Dieu pour le monde ; l’autre donne la préférence aux attitudes autosuffisantes, au nationalisme, au protectionnisme, à l’individualisme et à l’isolement, laissant dehors les plus pauvres, les plus vulnérables, les habitants des périphéries existentielles. Et ce sera certainement préjudiciable pour l’entière communauté, causant des blessures à tous. Et cela, ne doit pas prévaloir !», précise le Saint-Père.
Parmi les champs d’action, il y a tout d’abord la santé et l’urgence d’«appliquer le droit de toute personne à des soins médicaux de base». Dans cette optique, le Pape renouvelle son appel à «garantir l’accès aux vaccins contre la covid-19 et aux technologies essentielles nécessaires pour prendre soin des malades».
La pandémie montre aussi, estime François, «l’importance d’éviter la tentation de dépasser nos limites naturelles», élément indispensable à tenir en compte dans le cadre du débat sur l’intelligence artificielle.
Repenser le travail
Dans le domaine du travail, «il est particulièrement nécessaire de trouver de nouvelles formes de travail qui soient à la fois réellement capables de satisfaire le potentiel humain et qui affirment notre dignité», affirme le Pape. «L’offre de travail à plus de personnes devrait être un des principaux objectifs de chaque entreprise» suggère-t-il, le progrès technique étant utile et nécessaire dans la mesure où il garantit la dignité, la sécurité et où il évite ou allège la pénibilité du travail.
Thème de prédilection du Saint-Père: la culture du déchet. À son origine, il y voit «un grand manque de respect pour la dignité humaine, une promotion idéologique avec des visions réductionnistes de la personne, une négation de l’universalité de ses droits fondamentaux et un désir de pouvoir et de contrôle absolus qui domine la société moderne d’aujourd’hui. Appelons-le par son nom: c’est aussi un attentat contre l’humanité».
Parmi ces droits bafoués, ceux des croyants qui «continuent de souffrir de tout type de persécutions», et parmi eux les chrétiens, «parfois obligés de fuir leurs terres ancestrales, isolés de leur riche histoire et de leur culture». Autres personnes contraintes de quitter leurs terres, les réfugiés, les déplacés internes et les migrants, qui «souffrent abandonnés, sans opportunité d’améliorer leur situation dans la vie ou dans leur famille.» Le Pape dénonce ainsi «la traite, l’esclavage sexuel ou le travail forcé» dont ils sont victimes, l’exploitation dans des travaux dégradants, «sans juste salaire». «C’est intolérable, et cependant, c’est aujourd’hui une réalité que beaucoup ignorent intentionnellement» ’iԲܰ--.
Le principe de subsidiarité
Dans la grande réorganisation du monde que le Pape appelle de ses vœux, il y a la remise à plat des grandes institutions internationales. Pour le Saint-Père, il faut que le modèle économique nouveau promeuve «la subsidiarité», aide le développement au niveau local et investisse dans l’éducation et les infrastructures qui bénéficient aux communautés locales. François propose aussi de réduire ou d’annuler la dette «des plus pauvres». C’est ainsi pour le Pape, «le temps propice pour rénover l’architecture financière internationale».
Pour le Pape, le multilatéralisme est une nécessité absolue. Mais cinq ans après sa visite au Palais de Verre, il constate que les relations internationales sont davantage régies par les déclarations purement nominatives et moins par des actes concrets, principalement en matière environnementale. Il s’inquiète ainsi de la «dangereuse situation de l’Amazonie et de ses peuples indigènes». «Cela nous rappelle que la crise environnementale est indissociablement liée à une crise sociale et que le soin de l’environnement exige une approche intégrale pour combattre la pauvreté et combattre l’exclusion».
Soutenir les enfants et les familles
Les enfants sont également au cœur des pensées du Pape. La crise de la covid-19 empêche encore des millions d’entre eux de retourner en classe, ce qui les pousse parfois sur la voie de l’exploitation et de la maltraitance. François dénonce l’avortement présenté comme un service essentiel dans la réponse humanitaire. «Il est triste de voir combien est devenu simple et pratique pour certains de nier l’existence de la vie comme solution à des problèmes qui peuvent et doivent être résolus tant pour la mère que pour le père de l’enfant à naître» ’iԲܰ--. D’où cette supplication aux autorités civiles pour qu’elles prêtent «une attention spéciale aux enfants à qui l’on nie les droits et la dignité fondamentaux, en particulier leur droit à la vie et à l’éducation».
François dénonce aussi le colonialisme idéologique dont sont victimes les familles et qui les rend vulnérables et sujettes à un sentiment de «déracinement et d’abandon». «La désintégration de la famille fait écho à la fragmentation social qui empêche le compromis pour affronter des ennemis communs. Il est l’heure de réévaluer et de retourner à nous impliquer en faveur de nos objectifs».
Parmi ceux-ci, figure la promotion des femmes, dont «leur contribution unique» pour le bien commun, est saluée par le Pape. Or, beaucoup d’entre elles sont encore laissées en arrière, «victimes de l’esclavage, de la traite, de la violence, de l’exploitation ou de traitements dégradants». François leur exprime sa proximité fraternelle et réclame un engagement plus grand dans «la lutte contre ces pratiques perverses qui dénigrent non seulement les femmes mais aussi toute l’humanité qui, par son silence et son inaction effective, se fait complice».
Réformes nécessaires de l’ONU
«Il est nécessaire de rompre le climat de méfiance existant» : François revient sur la question des armes et exhorte à «démanteler les logiques perverses qui attribuent à la possession d’armes la sécurité personnelle et sociale». Cela ne sert que «les industries belliqueuses» et alimente un climat de méfiance et de crainte entre les personnes et les peuples.
En ce qui concerne plus spécifiquement les armes nucléaires, le Saint-Siège espère que lors de la prochaine conférence sur le TNP (traité de non-prolifération des armes nucléaires), soient prises des «actions concrètes» pour cesser la course aux armements et entamer la voie du désarmement.
Dans ce contexte le monde a besoin d’une ONU qui soit un «atelier» pour la paix plus efficace. François appelle les États membres permanents en particulier à agir avec «unité» et «détermination». Il salue ainsi l’adoption par le Conseil de Sécurité d’un cessez-le-feu global durant la pandémie mais regrette toutefois que les sanctions contre certains États les empêchent toujours de soutenir correctement leur population.
Le Pape affirme donc que «notre devoir est de repenser le futur de notre maison commune et notre projet commun,» en choisissant de sortir meilleurs ou pires de cette crise.
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