Roumanie: le Pape béatifie 7 évêques martyrs, témoins de liberté et de miséricorde
Manuella Affejee- Cité du Vatican
Cette Divine Liturgie, selon le rite de St Jean Chrysostome, s’est tenue à Blaj, dans le centre de la Roumanie, au «Champ de la liberté», lieu éminemment symbolique pour les Roumains: c’est là que le 15 mai 1848, plus de 40 000 d’entre eux se rassemblèrent pour demander la reconnaissance du peuple roumain comme nation, dans le sillage du «Printemps des peuples» qui traversait alors toute l’Europe. Un siècle plus tard, le 15 mai 1948, en cette même place, le régime communiste inféodé à Moscou exigea des gréco-catholiques qu’ils rompent leur lien avec Rome pour rejoindre l’Église orthodoxe. Pour ceux qui refusèrent: les persécutions et la mort. Ce fut le cas pour les évêques Vasile Aftenie, Valeriu Traian Frentiu, Ioan Suciu, Tit Liviu Chinezu, Ioan Balan, Alexandru Rusu, Cardinal Iuliu Hossu et tant d’autres.
Il est donc peu de dire que leur béatification, présidée ce dimanche par le successeur de Pierre en personne devant près de 100 000 personnes (selon les chiffres du gouvernement roumain), exprime une véritable résurrection pour cette petite Église que l’on s’était pourtant juré d’abattre.
La logique du Seigneur
Et c’est justement ce témoignage libre de fidélité que le Pape a mis en exergue au cours de son homélie qu’il a centrée sur l’Évangile proclamé au cours de la célébration, celui où Jésus guérit un aveugle de naissance, un jour de Shabbat (Jn 9, 1-41). L’évangéliste ne donne que peu de détails sur le miracle, -raconté seulement en quelques versets; en revanche, il s’attarde longuement sur les discussions passionnées et houleuses qu’il suscite d’abord au sein de la foule, puis chez les pharisiens.
Pour le Pape, ces débats montrent «combien il est difficile de comprendre les actions et les priorités de Jésus, capable de mettre au centre celui qui était à la périphérie». L’aveugle devait «coexister avec sa cécité» mais aussi avec celle des autres. «Ainsi sont les résistances et les hostilités qui surgissent dans le cÅ“ur humain quand, au centre, au lieu des personnes, on met des intérêts particuliers, des étiquettes, des théories, des abstractions et des idéologies, qui ne font rien d’autre qu’aveugler tout et tous», analyse François. À rebours de cette logique, le Seigneur «cherche la personne avec son visage, avec ses blessures et son histoire, Il ne se laisse pas «duper par des discours incapables d’accorder la priorité à ce qui est réellement important».
Les Roumains ont eux-mêmes souffert de ces discours, ils ont ployé sous joug d’un régime dictatorial qui s'était cru «plus fort que la vie», et dont les actions «fondées sur les mépris» ont conduit à «l’expulsion et à l’anéantissement de celui qui ne sait pas se défendre».
Liberté et miséricorde
Les nouveaux bienheureux ont résisté avec courage à cette oppression totalitaire; ils ont enduré la torture et les tourments «pour ne pas renier leur appartenance à leur Église bien-aimée». La liberté est un des aspects du précieux héritage qu’ils laissent au peuple roumain.
Et le Souverain Pontife d’évoquer à cet égard ce fameux «Champ de la liberté», qui rappelle l’unité de ce peuple dans la «diversité de ses expressions religieuses». Ce patrimoine spirituel «caractérise la culture et l’identité nationale roumaines» qu’a cherché à détruire la dictature communiste et contre laquelle se sont élevés évêques, prêtres et fidèles, de rite latin ou byzantin.
Le témoignage des bienheureux est marqué du sceau de la fidélité au Christ mais aussi de la miséricorde envers leurs bourreaux, et c’est là l’autre aspect de leur héritage. «Dieu nous a envoyés dans ces ténèbres de la souffrance pour accorder le pardon et prier pour la conversion de tous», écrivait ainsi Mgr Iuliu Hossu, l’un des martyrs, cité par François qui y voit un message prophétique, une «invitation à vaincre la rancÅ“ur par la charité et le pardon, en vivant avec cohérence et courage la foi chrétienne».
Mise en garde contre les nouvelles idéologies
Elles surgissent et se diffusent insidieusement, tout en cherchant à «s’imposer et à déraciner nos peuples de leurs plus riches traditions culturelles et religieuses», a noté le Pape. Ces «colonisations idéologiques (…) déprécient la valeur de la personne, de la vie, du mariage et de la famille». Leurs «propositions aliénantes» nuisent aux jeunes et les privent de leurs racines. «Tout devient alors sans importance», a-t-il poursuivi, dénonçant des voix qui, par le biais de la terreur et de la division, «cherchent à enterrer le plus riche héritage que ces terres ont vu naître».
L’évêque de Rome a conclu en encourageant les Roumains à imiter les nouveaux bienheureux, à porter la lumière de l’Évangile, à être témoins de liberté et de miséricorde, «en faisant prévaloir la fraternité et le dialogue sur les divisions, en renforçant la fraternité du sang, qui trouve son origine dans la période de souffrance où les chrétiens, divisés au cours de l’histoire, se sont découverts plus proches et solidaires !»
Le rôle de Radio Vatican
Que ce soit en Roumanie, en République Tchèque, en Pologne ou en Hongrie, l’idéologie matérialiste athée portée par les régimes communistes condamna de nombreuses églises locales à la persécution ou à la clandestinité. Des milliers de prêtres et évêques furent pourchassés, arrêtés, torturés, déportés ou tués, laissant les fidèles démunis et privés de pasteurs, et donc, de la célébration des sacrements, dont l'Eucharistie.
En Roumanie, depuis la nuit du 28 au 29 novembre 1948, -qui vit l’arrestation de tous les évêques gréco-catholiques-, jusqu’au 25 décembre 1989, -qui marqua la fin du régime communiste-, l’unique Divine Liturgie que pouvaient suivre les fidèles était celle qui était alors retransmise sur les ondes de Radio Vatican.
Les bulletins d’information diffusés par la radio du Saint-Siège furent également presque les seuls à atteindre les pays situés de l’autre côté du rideau de fer. Ecoutés à l’abri des oreilles indiscrètes, dans le secret des maisons, ils constituèrent pour beaucoup le seul lien avec le monde extérieur, et firent parvenir aux fidèles la sollicitude du Pape et de toute l’Église universelle.
À noter également, à propos de la liturgie de cette cérémonie: le calice et l'évangéliaire choisis ont été utilisés par Mgr Traian Frentiu, l'un des bienheureux évêques, le plus âgé au moment de l'arrestation des prélats gréco-catholiques roumains. Le siège de présidence a été réalisé avec du bois et des barres de fer venant respectivement des lits et des fenêtres des prisons dans lesquelles sont morts les nouveaux bienheureux.
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