2018: une année dense et mouvementée pour le Pape François
Cyprien Viet - Cité du Vatican
Cette année 2018 a été «marquée par des tempêtes et des ouragans» : le Pape François n’a rien éludé lors de son récent , le 21 décembre, durant lequel il est longuement revenu sur les abus et les infidélités de ceux qui devraient être des serviteurs de l’Église. Le Pape a alors décrit les abuseurs comme des «loups atroces, souvent cachés derrière des visages angéliques», en leur lançant un appel comparable à celui lancé aux mafieux: «Convertissez-vous, remettez-vous à la justice humaine et préparez-vous à la justice divine». L’annonce de l’organisation d’une réunion au Vatican du 21 au 24 février prochain avec tous les présidents de conférence épiscopale suscite donc de fortes attentes.
Cette année 2018 restera en effet marquée par la déflagration mondiale du scandale des abus commis par des membres du clergé. Plusieurs décennies de non-dits ont explosé, frappant notamment l’épiscopat chilien après la visite du Pape en janvier. Après avoir envoyé au Chili Mgr Charles Scicluna, ancien promoteur de justice de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, afin d’enquêter sur les agissements du prêtre abuseur Fernando Karadima, le Pape François prendra personnellement en main le dossier en recevant des victimes au Vatican, puis l’ensemble de l’épiscopat chilien pour une réunion de crise qui aboutira à cette décision exceptionnelle : le vendredi 18 mai, tous les évêques du Chili remettront officiellement leur charge au Pape. Sept d’entre eux verront leur démission acceptée au cours des semaines suivantes, et la conférence épiscopale chilienne s’engagera à une collaboration pleine et entière avec la justice civile.
L’urgence d’un changement d’attitude face aux abus
Après l’affaire chilienne, l’été 2018 voit éclore de nouveaux scandales d’abus sur mineurs, avec la mise en cause personnelle d’un cardinal américain, Theodore McCarrick, l’archevêque émérite de Washington. Il sera finalement amené à perdre son cardinalat en juillet, un fait inédit dans l’histoire de l’Église catholique depuis plus de 90 ans. La publication de rapports aux États-Unis et en Allemagne met aussi en lumière l’ampleur du phénomène depuis la deuxième moitié du XXe siècle, et l’urgence d’une nouvelle attitude et de normes plus claires face à ces drames.
Dans sa du 20 août, le Pape rappelle la voie de la tolérance zéro, de la vérité, de la justice, de la prévention et de la réparation. En écrivant que «les blessures ne sont jamais prescrites», François parle d’une triple forme d’abus : de pouvoir, de conscience et sexuels. Il affirme que le «cléricalisme» figure parmi les causes principales de cette plaie, quand le sacerdoce est instrumentalisé dans une logique de pouvoir.
Exhortation à protéger l’Église contre le diable
L’un des moments forts de cette année 2018 a aussi été l’appel du Pape à prier le Rosaire chaque jour, en demandant à la Vierge Marie et à saint Michel de protéger l’Église du diable, «qui cherche toujours à nous diviser de Dieu et entre nous». Le Pape a dénoncé avec fermeté ceux qui “trahissent” leur consécration à Dieu et à l’Église et «se cachent derrière de bonnes intentions pour frapper leurs frères», en trouvant «toujours des justifications, même logiques et spirituelles, pour continuer à parcourir sans trouble la route de la perdition».
«L’Église ne doit pas être salie», a lancé le Pape lors d’une prise de parole marquée par une certaine gravité au terme du Synode des Jeunes. «Nous, ses enfants, nous sommes sales, mais, la Mère, non. C’est donc le moment de défendre la Mère; et la Mère on la défend du Grand Accusateur avec la prière et la pénitence», a-t-il ajouté.
La rencontre avec Jésus est la principale source de joie
Mais la Joie de l’Évangile est restée au cœur de ce pontificat qui continue à surprendre, à secouer, à déranger parfois, et à réveiller certains esprits peut-être assoupis... Le Synode sur les Jeunes, la foi et le discernement vocationnel, du 3 au 28 octobre dernier, a fait vibrer au cœur du Vatican le «vacarme» d’une jeunesse qui a soif d’espérance et de repères dans un contexte marqué par l’incertitude, la solitude, parfois même la violence et la persécution, comme en a témoigné un jeune auditeur irakien dont les paroles ont bouleversé les participants au Synode.
Le Pape François avait personnellement invité ces derniers à s’exprimer le plus librement possible, qu’ils soient cardinaux, évêques, religieux, experts, ou simplement jeunes femmes et jeunes hommes représentant tous les continents et les états de vie. Si cette longue assemblée de plus de trois semaines a eu sa dose d’imprévus, de fatigue, de frustrations, elle a donné l’image d’une Église vivante, dont les membres n’ont pas peur d’exprimer accords et désaccords et de chercher une communion sincère qui ne soit pas synonyme d’un nivellement des spécificités culturelles. Le invitera à donner une place plus directe aux jeunes et aux femmes dans la vie de l’Église, y compris pour des responsabilités habituellement confiées à des clercs.
Cheminer vers la sainteté
Tout au long de ses prises de parole, le Pape François n’a cessé en cette nouvelle année de pontificat d’exhorter à la joie et à la sainteté. Ses 43 catéchèses lors des audiences générales, ses 89 homélies matinales à la Maison Sainte-Marthe, et l’ensemble de ses interventions ont continué à s’inscrire dans une perpétuelle invitation à la rencontre avec Jésus, qui libère «du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement», comme le Pape François l’avait écrit en 2013 dans , son exhortation “programmatique” du début de pontificat.
Avec l’exhortation apostolique , publiée en avril, François met en valeur «les saints de la porte d’à côté», les témoins de la foi qui donnent la vie dans le silence de tous les jours. Le 14 octobre, en célébrant conjointement la canonisation de Paul VI et de Mgr Romero avec celles de personnalités moins connues comme l’ouvrier italien Nunzio Sulprizio, le Pape indique que la sainteté se manifeste de nombreuses façons différentes, mais qu’elle implique toujours un lien entre la dimension de la prophétie et la loyauté vis-à-vis de l’institution.
Des déplacements internationaux tournés vers les périphéries
L’Église doit jouer un rôle prophétique face aux défis de l’humanité: le Pape François l’a aussi martelé tout au long de ses différents voyages en 2018. Durant sa visite du mois de janvier au Chili et au Pérou, le Pape a pris la défense des populations indigènes, notamment lors d’une rencontre avec les peuples de l’Amazonie péruvienne à Puerto Maldonado, préfigurant ainsi les thèmes qui seront abordés lors du Synode d’octobre 2019 au Vatican. Dans cet environnement latino-américain qu’il connaît bien, le Pape argentin a poursuivi ses invitations à se mettre au service des plus pauvres. Au Chili, sa visite dans une prison pour femmes a particulièrement marqué les esprits.
Ses autres déplacements internationaux de l’année 2018 furent consacrés à l’Europe. Le Pape s’est rendu en Suisse, le 21 juin, à Genève, à l’occasion du 70e anniversaire du Conseil Œcuménique des Églises, apportant ainsi de nouveaux signes de soutien au mouvement œcuménique, deux ans après sa participation à un acte de commémoration de la Réforme luthérienne à Lund, en Suède. Le Pape s’est ensuite rendu en Irlande les 25 et 26 août, dans le cadre de la Rencontre mondiale des familles, puis en Lituanie, Lettonie et Estonie du 22 au 25 septembre, pour le centenaire de l’indépendance de ces trois États baltes. Il y a rendu hommage aux martyrs du nazisme et du communisme, la moitié de ces 100 ans d’indépendance théorique ayant en réalité été vécue sous les jougs allemand puis soviétique.
Le Pape a aussi effectué de nombreux déplacements en Italie, se rendant notamment sur les traces de Padre Pio à Pietrelcina et San Giovanni Rotondo, et à Palerme sur celles du père Pino Puglisi, prêtre assassiné par la mafia il y a 25 ans et béatifié en 2013.
Soutien à l’abolition de la peine de mort
La culture de protection de la vie a aussi motivé, durant l’été, une modification de l’article du Catéchisme de l’Église catholique consacré à la peine de mort. Alors que la version précédente du texte laissait théoriquement ouverte la possibilité d’un recours à la peine capitale dans certaines situations, le Pape François a fait mettre à jour cet article en précisant que pour l’Église «la peine de mort est inadmissible parce qu’elle porte atteinte à l’inviolabilité et à la dignité de la personne», et qu’elle s’engage avec détermination pour son abolition dans le monde entier.
Accord avec la Chine : regarder l’Histoire avec les yeux de la foi
Le 22 septembre dernier, jour du départ du Pape pour les pays baltes, a été officialisé la signature d’un Accord provisoire entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine sur la nomination des évêques, avec le souhait que cet accord puisse contribuer positivement à la vie de l’Église en Chine, au bien des Chinois et à la paix dans le monde.
L’objectif de l’Accord est pastoral et non politique, rappellera le Pape dans l’avion de retour des pays baltes, en précisant que le dernier mot lui incombera sur les nominations épiscopales. Dans un message publié peu après, le Pape François explique les raisons qui l’ont amené à signer l’accord, dont il assume la responsabilité personnellement: promouvoir l’annonce de l’Évangile et atteindre l’unité de la communauté catholique chinoise. «La foi change l’Histoire», explique le Pape dans cette lettre, invitant à accueillir ces évolutions progressives dans la confiance.
Xavier Sartre revient sur quelques grands dossiers de cette année 2018 au Vatican:
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