Interdiction de l'UNRWA, une décision aux conséquences «inimaginables»
Entretien réalisé par Marine Henriot - Cité du Vatican
C’était il y a une semaine, le nouveau coup porté par Israël contre les Nations unies: le parlement israélien a voté deux lois concernant l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens. Le premier texte adopté par la Knesset interdit les «activités de l’UNRWA sur le territoire israélien», le deuxième interdit aux responsables israéliens de travailler avec l'UNRWA et ses employés, ce qui devrait considérablement perturber les activités de l'agence, alors qu'Israël contrôle strictement toutes les entrées de cargaisons d'aide humanitaire vers Gaza.
Les deux lois doivent prendre effet 90 jours après leur adoption, selon la Knesset.
Depuis 1949, cette agence des Nations unies gère notamment les centres de santé, les écoles à Gaza et en Cisjordanie, et répond aux besoins fondamentaux de plus de 5 millions de réfugiés palestiniens au Moyen-Orient. Les conséquences humanitaires de son interdiction sont «inimaginables», comme nous l’explique Jonathan Fowler, le porte-parole de l’agence:
En termes de droit international, comment recevoir cette décision?
Israël n’a absolument pas le droit d’interdire l’UNRWA. Il faut savoir que nous sommes créés par mandat de l'Assemblée générale des Nations Unies en 1949, et que depuis notre mandat a été régulièrement renouvelé. Il faut se rappeler également que l'Assemblée générale a grandi depuis avec plusieurs pays, qui sont autant de voix supplémentaires dans la communauté internationale pour renouveler notre mandat.
C'est ainsi que fonctionne le droit international, avec les résolutions des Nations unies. Un membre seul ne peut pas décider et dire «Nous n’aimons pas telle ou telle agence, elle va à l’encontre de nos intérêts donc au revoir». Ce n’est pas comme ça que ça marche.
On nous demande comment nous réagissons à ces lois, mais malheureusement, nous avons l’habitude. Nous subissons une campagne de démantèlement de l’UNRWA pour diverses raisons, depuis bien avant le début de cette guerre, mais ce démantèlement a pris une ampleur inédite. Ces lois sont une étape de plus.
Que dire du cas précis de Jérusalem Est?
Le cas de Jérusalem-Est illustre toute la problématique. Israël considère que Jérusalem-Est fait partie intégrante de son territoire depuis l’annexion dans les années 80. Mais aux yeux de la communauté internationale, Jérusalem-Est est un territoire occupé, et quand nous parlons de la Cisjordanie, cela comprend Jérusalem-Est.
Israël dit dans sa loi que l’UNRWA n’a pas le droit d’opérer sur son territoire souverain donc à Jérusalem-Est, mais le problème est là, ce n'est pas considéré comme tel par la communauté internationale.
Nos bureaux sont à Jérusalem-Est depuis le début des années 50. Notre bailleur est la Jordanie, et restera la Jordanie. Notre bail est toujours valide, valable, et il n'y a pas lieu de le révoquer.
Quelles sont maintenant les marges de manœuvres de l’UNRWA?
Premièrement, le secrétaire général des Nations unies va saisir l'Assemblée générale. Notre maître, c'est l'Assemblée générale. C'est là que sont prises les décisions de faire continuer ou non un mandat d'une agence des Nations unies.
C’est une première voie évoquée, ensuite la Norvège a annoncé vouloir saisir la Cour internationale de Justice. Il y a là des mesures qui sont prises au sein de ce qu'on peut considérer comme le système multilatéral.
Mais il y a aussi des actions entreprises par des pays, des groupes de pays pour essayer de dire «Non, ce n'est pas acceptable et il faut que ces lois soient soit révoquées ou pas mise en Ĺ“uvre, tout court.»
Est-ce un nouveau coup porté au multilatéralisme?
C'est exactement ça. Le problème, c'est que si ces lois sont maintenues ici, qui dit que demain que cela ne va pas arriver ailleurs? Un gouvernement ou un pays pourrait, pour telle ou telle raison, déclarer la même chose sur son territoire.
Si cela commence à faire jurisprudence par l'action unilatérale, c'est presque la mort annoncée du multilatéralisme, qui n'est pas un système parfait, mais c'est le meilleur système qu'on a pour régler nos différences depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Quelles pourraient être les conséquences de ces lois pour la population à Gaza?
À Gaza, nous sommes la colonne vertébrale de l'opération humanitaire internationale. Si nous prenons l'image d'un corps et enlevons la colonne vertébrale, le corps ne tient pas debout.
Et c'est malheureusement exactement le risque qu’il y a à Gaza, l'opération humanitaire internationale peut commencer à se défaire petit à petit ou même s'arrêter du jour au lendemain, il faut savoir que nous avons 13 000 employés à Gaza, dont 5 000 environ arrivent à continuer à travailler.
Ce sont des employés qui sont pour la plupart en situation de déplacement, qui déplorent des morts à répétition dans leur famille mais qui continuent à travailler. Il n’y aucune autre agence des Nations unies comparable, les autres agences ne peuvent pas travailler sans nous. Les conséquences de la fin des opérations humanitaires sont impensables pour la population. La famine rode déjà à Gaza, les épidémies courent. La polio est revenue sur la scène 25 ans après son éradication, nous allons vers le pire. C'est inimaginable.
L’UNRWA est aussi présente en Cisjordanie, comment imaginer la vie sur ces territoires sans l’UNRWA?
Nous sommes une agence unique dans le système des Nations unies, notre première vocation est de fournir directement des services à la population. Nous avons des écoles, des cliniques, quelques hôpitaux, mais aussi des services sociaux, des ramassages des déchets de voirie, etc…
Et si cela cesse, le niveau de vie des gens en Cisjordanie, qui n’est pas élevé, risque d’être radicalement changé.
Ce n’est pas possible de remplacer une agence qui fait tout ce nous faisons, et d'ailleurs nous ne devons pas la remplacer parce que personne d'autre dans notre système international n'a le mandat de faire ce que l’on fait.
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