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Frappe israélienne sur le village de Siddikine, au sud du Liban, le 10 octobre 2024. Frappe israélienne sur le village de Siddikine, au sud du Liban, le 10 octobre 2024.  (AFP or licensors)

Le Liban dans le brouillard de la guerre et le chaos humanitaire

Le Liban ploie sous un double poids depuis l’élargissement de la guerre sur son sol, il y a trois semaines. 1,2 de ses 6 millions d’habitants ont été déplacés, presque 20% de la population, alors que le pays accueille déjà deux millions de réfugiés syriens depuis treize ans. Le responsable pays Liban-Syrie de L’Œuvre d’Orient, Vincent Gelot, interpelle les opinions publiques et les bailleurs internationaux en faveur d’une plus grande mobilisation pour le pays du Cèdre.

Delphine Allaire – Cité du Vatican

État absent, secteur public effondré à l’image de la monnaie, gouffre économique et des centaines de milliers d’enfants déscolarisés. Les souffrances du Liban pourraient s’égrainer indéfiniment si le secteur associatif, notamment chrétien, ne venait porter à bout de bras ses derniers halètements. «Avant le démarrage de la guerre, qui n'a pas commencé il y a trois semaines avec l’attaque des bipers et la mort du chef du Hezbollah mais le 8 octobre dernier, le Liban comptait déjà près de 100 000 déplacés venus du sud, des villages bombardés et donc une crise profonde», affirme Vincent Gelot, directeur pour la Syrie et le Liban de L’Œuvre d’Orient, lors d’une conférence de presse organisée à Beyrouth, le 8 octobre.

L'accueil urgent des déplacés

À ces problèmes antérieurs déjà existentiels, de nouveaux enjeux humanitaires apportent leurs lots de défis. En trois semaines, 1,2 million de personnes ont été déplacées par les combats entre Israël et le Hezbollah libanais. Pour le responsable de L’Œuvre d’Orient qui agit sur le terrain auprès de partenaires locaux, éducatifs, sanitaires ou associatifs, la première urgence est de loger dans les écoles, les couvents, les monastères et centres sociaux cette population traumatisée, essentiellement civile, «qui a tout perdu». Dans un pays où l’État brille par son absence, la scolarisation des enfants et les soins de première nécessité, comme ceux accordés aux grands brûlés des bombardements à l’hôpital Geitaoui de Beyrouth, sont les priorités de l’ONG. Des convois d’aide humanitaire partent aussi pour le sud du pays, où les chrétiens refusent de quitter leurs villages frontaliers d’Israël «par peur que leurs maisons ne se retrouvent occupées par des miliciens».

 

En dépit des bombardements fréquents depuis un an, de part et d’autre de la frontière libanaise avec Israël, cette crise humanitaire n’a pas été prévue, encore moins anticipée, par les autorités intérimaires et lacunaires du pays. «L'État n'a malheureusement pas été au rendez-vous», déplore Vincent Gelot, rappelant la position de L’Œuvre d’Orient concernant les affres politiques nationales: élection d’un président par le Parlement, formation d’un gouvernement, afin que le secteur humanitaire dispose d’interlocuteurs étatiques crédibles et fiables pour continuer de prodiguer son aide. Avec les frappes et l'affaiblissement du Hezbollah, l’association catholique espère un déverrouillage politique, rappelait le 1er octobre à Paris son directeur, Mgr Pascal Gollnisch.

Ce mercredi 9 octobre toutefois, le gouvernement libanais a annoncé vouloir construire des villages de préfabriqués pour des déplacés ayant fui leurs maisons sous les bombardements israéliens, une première dans un pays qui a déjà connu plusieurs conflits. Près de la moitié des déplacés se trouvent dans des centres d'accueil à Beyrouth ou dans le Mont-Liban (centre-est). Sur le millier de centres, 807 ont déjà annoncé avoir atteint leur capacité maximale d'accueil, selon les autorités.

Des tensions communautaires ravivées

Cette gestion, actuellement dans le chaos et l’urgence, n'épargne pas les tensions communautaires, pointe Vincent Gelot. Aux 1,2 million de déplacés libanais, il faut ajouter les deux millions de réfugiés syriens déjà présents au Liban avant Gaza. «Leur situation est calamiteuse parce que ces familles étaient déjà réfugiées, donc déjà en situation de vulnérabilité. Il faut imaginer que dans les camps de réfugiés au Liban, des enfants sont nés. Ces enfants sont d'origine syrienne mais n'ont jamais vu la Syrie», s’attriste le directeur régional de L’Œuvre. L’extension libanaise de la guerre a provoqué l’afflux de 100 000 personnes du Sud-Liban vers la Syrie voisine. Parmi eux, des réfugiés libanais et syriens qui avaient déjà fui leur propre pays, mais y retournent poussés par la guerre. Mus par le douloureux souvenir de celle de 2006, certains habitants ont été déplacés deux fois en deux décennies.

«Cette crise crée des tensions entre les Libanais et les Syriens. C'est très compliqué pour ces deux millions de personnes, quasiment le tiers de la population libanaise. Le monde des réfugiés syriens est soutenu par les organisations internationales qui les aident, qui aident le secteur informel, mais cela reste compliqué», assure Vincent Gelot, connaisseur du terrain syrien. Dans ce voisin du Levant lacéré par treize ans de guerre, réfugiés libanais et syriens trouvent un pays précaire sous sanctions dont 95% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Six millions de Syriens sont eux-mêmes déplacés internes. Les infrastructures publiques et les grandes métropoles comme Raqqa, Deir ez-Zor, Alep ou Homs, sont partiellement détruites. «C'est un pays qui lui aussi va très mal, comme le Liban, mais en pire», soupire Vincent Gelot.

La grande dépression

Dans ce marasme, le fatalisme prédomine. Cela fait 50 ans que les cycles tragiques de l’histoire libanaise se répètent. «On ne ressent pas l’énergie ni le dynamisme, dont le secteur associatif libanais a fait preuve au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020. La fatigue et la dépression priment et ont détruit quelque chose de l’âme du pays», observe encore l’humanitaire spécialiste du Liban. Le secteur associatif privé, à but non lucratif, porte tout le poids du pays et n’est pas aidé par les grands bailleurs internationaux, concentré sur le secteur public pourtant minoritaire au pays du Cèdre, et sur le secteur informel, relatif aux aides d’urgence notamment des réfugiés. L’Œuvre d’Orient avance des chiffres: seuls 15% des élèves libanais sont éduqués dans le secteur public, 85% le sont dans le privé.

«La singularité du Liban se manifeste dans ce secteur privé, qui ne fait pas de profit mais une mission de service public pour toute la population, dans tout le territoire libanais, des zones rurales aux quartiers pauvres, pour des enfants et des personnes de toute confession. Ce monde est aidé par la diaspora et des associations de taille moyenne comme la nôtre», poursuit-il, appelant à un rééquilibrage de l’aide. Devant l’ampleur et la multiplication des crises des ONG comme L’Œuvre d’Orient, aussi influentes et compétentes soient-elles, ne pourront porter durablement seules des missions aussi existentielles.

Le directeur régional Syrie-Liban aborde ainsi la conférence de soutien organisée pour le Liban à Paris le 24 octobre prochain avec espoir, regrettant à ce jour une faible mobilisation de l’opinion publique internationale pour le Liban. «La réponse humanitaire n'est absolument pas à la hauteur de la gravité et de l'urgence sur place. Tous ces gens qui fuient pour la très grande majorité d'entre eux sont des civils musulmans, chrétiens, qui fuient les bombardements, qui ont tout perdu, qui sont déracinés. Ce sont des femmes, des enfants, des vieillards, et la très grande majorité d'entre eux aspire à la paix et ne veut pas de cette guerre», insiste-t-il.

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10 octobre 2024, 13:11