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Des familles fuient la violence des gangs à Port-au-Prince, le 20 octobre. Des familles fuient la violence des gangs à Port-au-Prince, le 20 octobre.  

Mgr Pierre-André Dumas: «Ჹïپ a besoin d’être restauré dans sa dignité»

L'évêque d'Anse-à-Veau et Miragoâne revient sur le climat de violence et d'insécurité dans lequel est plongé son pays. Il dénonce la violence des gangs mais aussi la corruption rampante et exhorte la communauté internationale tout comme le peuple haïtien à se mobiliser pour favoriser la réconciliation.

Olivier Bonnel - Cité du Vatican

Le 17 octobre à New York, le Conseil de sécurité de l'ONU a voté à l’unanimité un embargo mondial sur tous les armements et équipements militaires à destination d'Haïti. Une mesure censée tarir le trafic d’armes à destination des gangs armés qui contrôlent une large partie du pays des Caraïbes. Depuis des mois, le territoire haïtien est mis sous la coupe réglée de ces gangs, qui ont pris la place d'institutions absentes et corrompues et ont prospéré sur la pauvreté. 

Le pays semble s’enfoncer inexorablement dans la violence. Début octobre, un massacre mené par un gang a fait 115 morts à Port Sondé, une localité située sur l’axe qui relie Port-au Prince et Cap Haïtien, les 2 principales villes du pays. Une force multinationale conduite par le Kenya, en soutien à la sécurité en Haïti, a commencé à se déployer cet été dans le pays mais les résultats peinent à se voir.  

Le Pape François lançait le 13 octobre dernier un appel à l'issue de son angélus pour ne pas oublier le peuple haïtien: «Je suis la situation dramatique en Haïti, où les violences se poursuivent à l'encontre de la population, obligée de fuir ses maisons pour chercher la sécurité ailleurs, à l'intérieur et à l'extérieur du pays». Des mots qui ont touché Mgr Pierre-André Dumas, l'évêque d'Anse-à-Veau et Miragoâne. Lui-même a été grièvement blessé dans une explosion en février dernier. Nous l'avons interrogé alors qu'il poursuit sa convalescence aux Etats-Unis. Mgr Dumas reste très proche des communautés de son pays et exhorte le monde à ne pas détourner les yeux

Mgr Pierre-André Dumas, évêque d'Anse-à-Veau et Miragoâne

J'ai été très touché en écoutant le Saint-Père, mais cela ne m'étonne pas. Le Saint-Père, que je remercie pour cette solidarité avec Haïti, a toujours une parole forte pour nous. Dans son cœur, il a toujours manifesté sa solidarité à travers la prière, la communion et aussi des prises de décisions pour aider. Quand le Pape a dit qu'il ne faut pas oublier Haïti, je pense que les leaders du monde, ceux qui dirigent la communauté internationale doivent faire très attention parce que ce sont eux qui ont en quelque sorte la situation en main. Depuis quelques temps, Haïti, comme vous le savez, n'a plus de parlement, n'a plus d'élections, n'a plus de gens élus, et le pays est tombé dans cette situation de violence. Beaucoup de gens sont désespérés, il y a beaucoup de déplacés, il y a un exode interne. Moi, je pense d'abord que le plus grand problème d'Haïti, c'est l'insécurité. Rien n'est possible dans le pays tant que ce problème n'aura pas été résolu.

À ce propos, une mission internationale menée par le Kenya a déjà déployé des hommes dans le pays. 600 nouveaux policiers devraient arriver d'ici quelques semaines. Est-ce que le rétablissement de la sécurité en Haïti passe par cette force internationale?

Il est sûr que l'on a besoin de cette force internationale, avec l'appui en quelque sorte du peuple haïtien qui doit être encore debout et doit participer à cette reprise de la vie en société, à retrouver et retisser des liens sociaux. Mais ce que j’observe depuis l'arrivée de la mission multinationale d'appui à la sécurité depuis juin dernier, c’est que rien n'a changé du point de vue sécuritaire. La sécurité du pays reste toujours très fragile au niveau des déplacements, l'insécurité au niveau des gens qui tombent, qu'on tue, qu'on viole, qu'on kidnappe. Il y a aussi l’insécurité au niveau sanitaire, avec les hôpitaux qui sont fermés par les gangs.

On a donc vraiment besoin de restaurer tout cela. Mais pour nous, il faut faire plus: combien de personnes innocentes doivent encore mourir de cette manière? Il faut mettre un terme aux gangs. Il faut lancer à mon avis une opération pour les aider à déposer les armes et donc pour entrer dans une dimension de réconciliation nationale à tous les niveaux. Aujourd'hui, Haïti a besoin d'une réconciliation globale, nationale, d'une réconciliation entre les frères de ce même pays, une réconciliation aussi de la diaspora haïtienne et des Haïtiens. Il faut agir pour les plus pauvres qui sont abandonnés, livrés à eux-mêmes sans aucune mesure. Toute cela passe par une réconciliation sociale nécessaire pour que les gens puissent se retrouver entre eux.

Quel rôle joue l’Église haïtienne dans ce contexte et face à ces exigences?

L’Église accompagne le peuple, sa souffrance et demande justement qu'il y ait cette réconciliation. Mais pour qu'elle advienne, il faut que les gens comprennent que c'est sérieux. Il faut pour cela lier la réconciliation avec la justice. Dans certains pays, en Afrique du Sud ou au Rwanda, on a trouvé moyen de faire les choses en aidant les gens qui étaient coupables à reconnaître leurs torts, et en même temps accepté d'entrer dans une dynamique de réconciliation, de pardon.

Il faut finalement «désarmer les cœurs avant de désarmer les hommes»... mais comment fait-on concrètement?

L’Église continue toujours d'accompagner le peuple haïtien et n'a jamais cessé de le faire. Dans les paroisses, on reçoit les déplacés internes. Les gens qui n'ont pas de lieu où loger sont pris en charge par des communautés religieuses. Les institutions religieuses accompagnent les enfants. 100 000 enfants ne peuvent pas retourner à l'école parce qu’elles ont été incendiées ou ne fonctionnent plus. Pour vivre la réconciliation, les gens doivent comprendre qu'il faut prendre en main l'histoire de son pays. Il ne faut pas regarder et attendre que l'on vienne le faire, mais être ensemble, avec la communauté internationale dans une vision solidaire, et aider le peuple à avancer. Je pense que dans cette situation tragique que l'on vit et qui crée l'exode, il faut restaurer aussi la solidarité locale, qui parallèlement à l’aide internationale doit permettre d’aider à créer une nouvelle mentalité. L’Église dénonce la violence et la corruption mais s’engage sur le terrain à travers les Caritas, les institutions sociales. On aide à créer des coopératives, à créer une économie solidaire, ancrée dans une mentalité où l’on ne recherche pas uniquement des biens, mais aussi à vivre une vie solidaire. À ce niveau-là, l'Église est bien présente pour mettre l'accent sur le bien commun à sauvegarder, mais surtout le respect de la dignité de la personne humaine. Il y a une façon de maltraiter les gens. Par exemple, les immigrés haïtiens qui se trouvent dans certains pays, sont chassés. Il y a aussi eu dans un autre pays des accusations envers les Haïtiens de venir manger des rats ou des chats. Il manque un certain respect de la dignité. Il y a trop de divisions.

“L’Église continue toujours d'accompagner le peuple haïtien et n'a jamais cessé de le faire”

Haïti doit aussi changer de classe politique?

Haïti a besoin d'une nouvelle classe politique parce que le scandale de corruption au niveau du Conseil présidentiel de transition, c'est un de trop. On ne peut pas continuer à toujours vivre dans la corruption. Quand il y a de la corruption, ce sont les plus pauvres qui sont pénalisés, les affamés qui n'arrivent pas à trouver de quoi manger, ce sont les enfants qui ne peuvent pas aller à l'école aujourd'hui. Il faut plus de transparence, plus de justice. La réconciliation est nécessaire mais il faut aussi chercher à construire une paix basée sur le développement.

Vous avez évoqué le rôle de la diaspora haïtienne, quel rôle les Haïtiens qui vivent à l'étranger peuvent-ils jouer auprès de leurs frères et sœurs qui souffrent et qui sont toujours restés dans le pays?

Si Haïti existe encore, c''est d'abord l'œuvre de Dieu qui, en dépit de tout ce qu'on a fait pour faire disparaître ce pays, lui permet de résister et de vivre dans la résilience. Mais c'est aussi grâce à la solidarité de la diaspora. D'après les experts, on compte au moins 4 à 5 milliards de dollars américains que la diaspora envoie chaque année en Haïti pour soutenir les familles qu'elle a laissées. La diaspora doit continuer à vivre cette solidarité dans les cœurs, au niveau des moyens, des ressources, au niveau du bien commun.

Je pense qu’une solidarité entre la diaspora et Haïti, c'est l'espoir pour l'avenir d'Haïti, c'est l'espérance. Mais il faut aussi qu’au niveau local, les gens de la diaspora soient bien intégrés. La Constitution par exemple, dit que les gens de la diaspora, s’ils ont une deuxième nationalité, ne peuvent plus occuper certaines fonctions dans le pays. Je pense que ce sont là des choses à revoir. Les jeunes de la diaspora doivent aussi être solidaires entre eux. Souvent on entend dire «moi je suis du Cap Haïtien», un autre «moi je suis des Cayes», mais nous quand, on parle d'Haïti, on voit les gens de tous les milieux du nord, du sud, de l'est, de l'ouest. Je crois que c'est cette solidarité renforcée qui va aider Haïti à sortir de cette situation de misère, de souffrance, d'oubli du monde, de défaite, mais aussi de grande angoisse de ce peuple.

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24 octobre 2024, 15:35