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Le monastère Saint-Siméon-le-Stylite, au nord-ouest de la province d'Alep, en Syrie, le 19 février 2023, quelques jours après le tremblement de terre du 6 février. Le monastère Saint-Siméon-le-Stylite, au nord-ouest de la province d'Alep, en Syrie, le 19 février 2023, quelques jours après le tremblement de terre du 6 février.   (AFP or licensors)

L’Ordre de Malte Hongrie alerte sur le drame humanitaire des Syriens

Le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du pays ravagé par la guerre, la crise économique et soumis aux sanctions occidentales, a dépassé les sept millions. Le service caritatif hongrois de l'Ordre de Malte y intervient en réinstallant 200 familles à Homs et en soutenant des micro-entreprises entre Alep et Damas. «Nous avons le devoir d'aider les Syriens déplacés à rentrer chez eux».

Thaddeus Jones - Cité du Vatican

«L'une des tâches les plus importantes est d'aider les Syriens à créer une réelle possibilité de rentrer chez eux.» Dániel Solymári, responsable des relations internationales du service caritatif hongrois de l'Ordre de Malte depuis 2010, connaît bien le Proche-Orient ainsi que l'Afrique subsaharienne, où il a longtemps été impliqué dans le développement international en fournissant une aide d'urgence et des services de réinstallation pour les réfugiés et les migrants fuyant la guerre, la pauvreté et les catastrophes naturelles.

Diplomate humanitaire, Dániel Solymári a publié plusieurs ouvrages, dont le dernier porte sur la politique migratoire du Pape à l'égard des réfugiés et des migrants. Un mois avant son voyage apostolique en Hongrie en avril 2023, François lui a remis l'Ordre de Saint-Sylvestre, la plus ancienne distinction du Saint-Siège décernée à des laïcs.

 

Le Pape François demande de se souvenir de la Syrie, qui est entrée dans sa 14e année de conflit. Le service caritatif hongrois de l'Ordre de Malte a été particulièrement actif en Syrie. Quelle est la situation aujourd'hui et qu'avez-vous constaté lors de vos visites dans ce pays du Proche-Orient?

Je suis toujours ému par la sensibilité du Pape François à l'égard de la Syrie et, en général, des régions du monde qui souffrent. La Syrie est en effet une plaie ouverte et particulièrement grave avec laquelle nous devons être prêts et capables d'entrer en contact, comme l'a dit le Pape dans Fratelli tutti. Bien sûr, il s'agit d'un processus très complexe et difficile, car la Syrie reste un terrain comlpexe. Les sanctions occidentales y sont toujours en place, les exemptions humanitaires sont incomplètes et les exemptions ne sont pas illimitées. Les obstacles politiques auxquels se heurte le gouvernement central font qu'il est très difficile de soulager les souffrances de la population. Nous l'avons vu récemment lors des tremblements de terre en Turquie et en Syrie: peu d'aide occidentale est arrivée dans le pays, voire aucune.

Les transferts bancaires vers la Syrie restent difficiles, voire impossibles, et l'économie du pays est dans un état catastrophique. L'inflation était de 120 à 130% en 2023, ce qui a entraîné des augmentations massives des prix des produits de première nécessité, y compris la nourriture, qui affectent non seulement la qualité de vie et la stabilité sociale des gens, mais aussi leur santé mentale. La vie quotidienne présente de nombreux défis: il est difficile d'accéder au carburant car les stations-service sont vides; les coupures d'électricité sont fréquentes; le risque d'infection est important dans certaines régions; et il existe de graves risques pour la sécurité dans de nombreuses régions du nord, de l'est et du sud. L'hiver touche lentement à sa fin. Cependant, le froid a mis à rude épreuve la population, en particulier les enfants et les personnes âgées, qui ont beaucoup souffert dans des maisons sans chauffage. Malheureusement, bien que compréhensible, la guerre en Ukraine -pratiquement depuis les premiers jours- a attiré l'attention de la plupart des gens, avec des conséquences graves et immédiates.

Malgré tout cela, des perspectives se dessinent-elles tout de même?

Malgré tout, on parle déjà aujourd'hui de reprise, de normalisation et de consolidation en ce qui concerne la Syrie, tant au niveau du contexte académique et politique qu'au niveau du développement international. Et pas seulement sur le plan théorique. Les États du Golfe, dont l'Arabie saoudite, et la Ligue arabe reprennent également contact avec la Syrie. La communauté internationale suit également de plus en plus cette voie. La Syrie a survécu à la guerre, mais à un prix terrible. Outre la population civile, les principales victimes de la guerre ont été les communautés religieuses chrétiennes, dont les infrastructures et les ressources matérielles et humaines ont été gravement endommagées en raison de leur fragilité et de leur capacité d'autodéfense limitée. Pourtant, en travaillant avec elles, je constate qu'elles font de leur mieux pour survivre et peut-être sortir renforcées de cette crise.

L'Église catholique grecque melkite, dirigée par le patriarche Youssef Absi, en est un exemple unique: malgré toutes les pertes, sa communauté a non seulement survécu, mais elle est désormais en mesure de prospérer. Elle construit, développe et renforce son réseau de paroisses. Elle tente de convaincre les jeunes, les réfugiés, ceux qui ont fui à l'étranger, de rester et de les inciter à revenir. N'oublions pas que la possibilité réelle d'un nouveau départ n'existe que si les conditions à l'intérieur du pays le permettent. Les melkites syriens sont particulièrement actifs à cet égard. Bien sûr, ils l'ont payé cher. Je n'oublierai jamais que lors de l'évacuation des personnes pendant le tremblement de terre de 2023, lorsque, toujours en réponse à l'appel du Pape François, les Melkites ont ouvert leurs institutions ecclésiales aux réfugiés, nous avons interrompu l'évacuation pour assister à la cérémonie funéraire du père Imad Daher d'Alep qui était resté sous les décombres....

Comment aider depuis l’Europe dans cette situation complexe?

La situation internationale requiert à la fois sagesse et courage. En ce qui concerne la Syrie, il est très facile pour une personne d'être mal comprise au sein de la communauté internationale. Cependant, le service caritatif hongrois de l'Ordre de Malte et la Hongrie en général font preuve d'une sensibilité particulière à l'égard de la Syrie. Je pense que -peut-être grâce à l'expérience historique- ils ont perçu quelque chose des profondeurs de leur souffrance.

Le programme "Hungary Helps" fournit, année après année, un financement très important pour les programmes humanitaires en Syrie et aussi pour la survie des églises et des communautés religieuses locales. J'ai moi-même géré un grand nombre de projets, dont certains de grande envergure: nous avons construit des hôpitaux, des pharmacies, coordonné des couloirs humanitaires, renforcé les églises et fourni une assistance sanitaire de base dans tout le pays. Tout cela n'avait qu'un seul but: aider au niveau local, car l'assistance doit être fournie là où les problèmes se posent et les chances de retour ou de survie des réfugiés externes et internes doivent être accrues. J'ai moi-même constaté que, malgré le grand nombre de réfugiés fuyant le Moyen-Orient vers l'Occident, un nombre important de ces personnes souhaitaient toujours vivre dans leur propre pays. Je pense que c'est particulièrement vrai pour les Syriens. Ce n'est pas un hasard si 6 à 7 millions de personnes déplacées vivent encore dans le pays. Aujourd'hui, l'une des tâches les plus importantes est de les aider à créer une réelle possibilité de retour chez eux.

À l'heure actuelle, quel pourrait être le meilleur moyen d'aider les populations et d'endiguer la nécessité de fuir vers d'autres pays?

La fuite peut être justifiée par des raisons humanitaires ou autres: dans ces situations, aider est un devoir humain. Il s'agit d'un processus douloureux et délicat au cours duquel le réfugié est exposé à des dangers venant de toutes parts. Et il faut souvent des générations pour que les blessures liées à la fuite d'une famille se cicatrisent. Nous n'avons pas non plus mentionné les besoins légitimes du pays d'accueil dans lequel le réfugié cherche à s'intégrer. Malheureusement, je vois peu d'exemples où l'intégration est prise au sérieux, de tels programmes se terminent généralement en quelques mois. En Syrie, je coordonne actuellement plusieurs programmes visant à soutenir les personnes déplacées et la population locale dans le besoin afin qu'elles puissent rester dans leur pays. Nous venons d'achever un vaste projet agricole dans la région méridionale du Hauran, qui fait passer l'autosuffisance du diocèse local de 15-20% à 60-70%. Nous avons réinstallé 200 familles déplacées dans la ville de Homs et rénové leurs maisons, et nous venons de lancer un programme entre Alep et Damas pour soutenir les familles et les micro-entreprises. Il existe donc des exemples très positifs et réussis.

Vous aidez les réfugiés qui arrivent en Europe, mais vous aidez aussi ceux qui souhaitent rentrer chez eux, ce que le Pape a reconnu comme important, comme il l'a déclaré dans le message de la Journée mondiale des migrants de cette année.

Le Pape François encourage et renforce l'engagement des organisations religieuses. Le service caritatif hongrois de l'Ordre de Malte travaille dans deux directions: nous soutenons l'intégration des réfugiés qui sont arrivés en Hongrie et nous soutenons ceux qui souhaitent vivre et prospérer dans leur propre pays. Ce nouveau programme d'intégration que nous avons développé peut parfois prendre un an et demi, voire deux ans, et implique dans tous les cas un accompagnement personnel et un mentorat. Le faible nombre de personnes qui quittent la Hongrie à l'issue du programme témoigne de la réussite de ce modèle. Dans plusieurs endroits, une assistance locale continue d'être fournie.

Par exemple, nous avons lancé un programme destiné aux habitants des bidonvilles du Kenya, grâce auquel nous avons pu briser de manière réaliste la spirale de la pauvreté dans les bidonvilles urbains. Pendant deux ans, nous avons travaillé avec cinquante familles. Aujourd'hui, elles mènent une vie indépendante. Une vie pauvre, mais une vie de qualité. Il y a une autre chose que beaucoup ne veulent pas admettre: il y a des valeurs dans la pauvreté et il y a une différence entre la pauvreté et la misère. Si la première a un pouvoir de cohésion, la seconde ne fait qu'encourager la ségrégation. Mais il s'agit là d'une question technique qui va à l'encontre de certaines approches économiques selon lesquelles la pauvreté est l'absence de quelque chose et, en tant que telle, ne peut être positive.

Comment aider dans ce contexte complexe de sanctions et de défis politiques?

Aujourd'hui, l'aide humanitaire, le développement international ou le travail avec les réfugiés sont des activités professionnellement établies qui sont étudiées et enseignées à un haut niveau. Pour moi, la clé réside dans la dualité entre présence sur le terrain et réflexion académique. Aujourd'hui, tous les programmes que je coordonne sont accompagnés de recherches et tous nos projets sont documentés et publiés avec une rigueur scientifique. Autre chose: les méthodes doivent être rendues accessibles. Par ailleurs, l'humanitaire et la diplomatie humanitaire ou religieuse sont des domaines professionnels parmi les plus sensibles. Elles se distinguent, par exemple, de la diplomatie classique ou conventionnelle par le courage d'agir qu'elles requièrent de la part de tous ceux qui travaillent sur le terrain. Il faut aller là où le problème se pose, il faut être présent, comme l'a dit le Pape François, il faut toucher ces blessures particulières.

Comme il nous l'a rappelé dans l'un de ses discours lors de sa dernière visite en Hongrie: il ne suffit pas d'envoyer de l'aide, il faut toucher la personne dans le besoin. J'en ai fait l'expérience à de nombreuses reprises. Quelle que soit l'importance du programme auquel je participais, les gens étaient très reconnaissants du simple fait que nous leur rendions visite. Ils sentaient ainsi qu'ils n'avaient pas été oubliés. Les rencontrer est l'un des aspects les plus importants du travail de solidarité. Mais les acteurs chrétiens ont aussi une responsabilité supplémentaire, je dirais même plus importante. Nous devons en effet être capables de réconforter les gens, même lorsque nous avons nous-mêmes besoin de réconfort et d'aide. Mais cela demande souvent du courage, du courage d'agir.

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29 avril 2024, 09:41