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Taras Topolia, chanteur du groupe ucrainien Antytila Taras Topolia, chanteur du groupe ucrainien Antytila 

Le chant du courage du groupe ukrainien “Antytila”

Le groupe Antytila ("Anticorps") continue de se produire sur scène pendant la guerre. Mobilisé, puis rendu à la vie civile, Taras Topolia, le chanteur du groupe, a servi comme auxiliaire médial en première ligne au front en 2022.

Svitlana Dukhovych - Cité du Vatican

“Les sirènes interrompaient notre sommeil, on a pris le volant, vers l'inconnu, notre passé dans deux valises, nos nerfs dans nos poings, Ne me déracine pas, je reste et je respire la fumée”

Ce sont les premiers mots de la chanson "2step" créée par l’artiste britannique Ed Sheeran en collaboration avec le groupe ukrainien Antytila. La vidéo du clip a été publiée le 2 mai 2022 sur la chaîne YouTube du groupe. Dans le texte, le leader du groupe, Taras Topolia, raconte comment la guerre a commencé pour sa famille. «Et ce n'est pas que mon histoire», souligne le chanteur en commentant la vidéo postée sur la plateforme. «C'est l'histoire de millions d'Ukrainiens dont les familles ont été séparées, parfois pour toujours, par les terribles bombardements et la guerre».

Il y a un an, Antytila (qui signifie «anticorps» en ukrainien) s'est produit sur la scène du théatre Ariston, lors de la dernière soirée du festival italien de Sanremo avec la chanson "Fortress Bakhmut", qui raconte l'une des batailles les plus sanglantes de la guerre. Les émotions fortes, les sentiments que la chanson transmet, ont été vécus en personne par les cinq membres du groupe, qui ont servi sur la ligne de front en tant qu'auxiliaires médicaux de février à août 2022, avant d’être rappelés à l'arrière par le commandement, tout en continuant à soutenir leur bataillon.

2step - vidéoclip

Engagement militaire

«Nous avions pris la décision de rejoindre les forces de défense territoriale avec d'autres membres d'Antytila avant même l'invasion à grande échelle», explique Taras Topolia dans un entretien accordé à Radio Vatican-Pope. «Lorsque nous nous sommes engagés, nous n'avons pas choisi le type de service à accomplir: nous avons simplement pensé qu'en cas d'invasion, nous défendrions notre terre comme doivent le faire les citoyens de leur pays». En fait, «lorsque l'invasion a commencé et que nous avons rejoint le bataillon, on nous a assigné cette fonction en tant qu'auxiliaires médicaux, car nous avions déjà une certaine expérience en tant que volontaires depuis 2014, lorsque nous avions fourni aux unités de nombreuses fournitures médicales». En plus de la fonction d'auxiliaires médicaux du bataillon, avec les autres musiciens, «nous aidions à l'approvisionnement, nous enseignions aux soldats comment utiliser les médicaments contenus dans les trousses de premiers secours, etc.»

Lorsqu'on lui demande pourquoi le groupe a pris cette décision, le chanteur répond par une autre question: «Aurions-nous pu agir différemment? Certainement pas, parce que nos actions auraient été complètement en contradiction avec ce que nous chantons et auraient été en contradiction avec nos convictions. Quand les problèmes arrivent, il faut défendre, il faut aider le pays qui vous a donné la chance de chanter ici, la chance de grandir et de vous développer». Le pays où, «après tout, vous êtes nés sans l’avoir choisi. Il faut donc être présent et faire quelque chose, surtout lorsque le pays se trouve dans une situation critique et a besoin de votre aide. Autre chose: à l'époque, il était évident qu'avec des chansons, on ne pouvait pas gagner la guerre, on ne pouvait pas arrêter l'invasion. Bien sûr, les chansons aident, elles élèvent l'esprit, elles facilitent la traversée de toutes ces humeurs, mais les chansons n'arrêtent pas une mitrailleuse ou l'artillerie, elles ne sauvent pas la vie des blessés sur le champ de bataille. À ce moment-là, c'était donc la seule décision possible».

De nombreux autres artistes, chanteurs, réalisateurs, écrivains et danseurs ukrainiens ont choisi d'aller au front pour défendre leur peuple au péril de leur vie. Beaucoup d'autres font leur possible pour aider leurs compatriotes en collectant des fonds, tant à l'étranger que dans leur pays, en aidant à évacuer les personnes des zones les plus touchées et en soutenant les déplacés. Toutes ces personnes, au front ou à l'arrière, ont continué à créer en écrivant des textes, en publiant des livres et en participant à différentes manifestations artistiques.

Leurs œuvres respirent le bouleversement de façon évidente. «Les Russes ont "ukrainisé" l'espace culturel de notre pays», remarque Taras Topolia avec une certaine ironie, faisant référence au fait qu'en réaction à l'agression militaire, après le 24 février 2022, «en Ukraine, explique-t-il, il y a eu une sorte de blocus naturel contre la grande quantité de contenus en langue russe. Les gens ont commencé à apprécier beaucoup plus de contenu en langue ukrainienne et, par conséquent, les artistes ukrainiens ont commencé à créer beaucoup plus de chansons et de clips vidéo en ukrainien qu'auparavant».

Des chansons imprégnées

Le changement ne concerne pas seulement la langue. «Si nous parlons de l'ambiance, observe le chanteur ukrainien, il est évident que les œuvres dramatiques l'emportent. Le monde de la culture reflète tout ce qui arrive aux gens et il le fait à travers des mélodies et des paroles qui sont pour la plupart dramatiques», ce qui correspond à « l'humeur générale de cette lutte, au fait que de nombreux Ukrainiens meurent, sont blessés, et que de nombreuses familles sont séparées par des frontières, par de longues distances. Les chansons permettent également de surmonter plus facilement une tragédie aussi grande que la guerre».

La prise de conscience qu'ils devaient continuer à créer malgré tout, a incité Antytila à s'en tenir à son calendrier de lancement de leur nouvel album "MLNL", en préparation depuis des mois. Ils l'ont lancé au deuxième jour de l'invasion russe, depuis un sous-sol où leur bataillon était stationné. «Nous l'avons présenté en enregistrant un message vidéo sur notre téléphone, se souvient le musicien ukrainien, et c'est ainsi que l'album a été mis en ligne. D'une certaine manière, cet album était prophétique, car les chansons parlent de notre lutte, du fait qu'en dépit de tous les calculs rationnels, nous continuons à nous battre pour ce qui est juste, pour défendre ce qui nous est cher». Selon Taras, un titre de l’album reflète particulièrement leur détermination. La chanson s’intitule ukrainien , ce qui signifie littéralement «Mien», mais dans ce contexte, elle a une signification plus large. «Ce titre, explique-t-il, indique ce qui m’est cher. Le refrain dit: "C’est à moi, à moi. Je l'arracherai aux hyènes avec mes dents"». «Ces hyènes, poursuit le musicien, se sont rassemblées autour de nous: certaines sont franches et méchantes. Elles nous tuent par balles, d'autres essaient silencieusement de détruire notre pays et de nous faire cesser de nous battre, mais nous "déchirerons avec nos dents" ce qui nous est cher, et nous nous battrons».



Regarder devant dignement

La guerre, qui apporte la mort et le mal, blesse souvent non seulement le corps, mais aussi l'âme. «Pour ceux qui vont au front, voir la mort d'êtres chers, de parents, d'amis, et les blessures de leurs compagnons d'armes, est très difficile psychologiquement», confie Taras Topolia. «Au cours de notre mobilisation, nous avons malheureusement vu beaucoup de choses et tout cela reste bien sûr dans notre mémoire et dans nos sentiments. Mais, comme le disait ma mère, il faut agir en regardant dans l’autre sens: et que se passera-t-il si? Si nous nous laissons prendre par ces émotions, si nous sommes déprimés, désespérés, si nous sommes en colère au point de ne pas pouvoir faire ce que nous avons à faire à ce moment-là, nous perdons tout simplement. Il faut donc maîtriser ses émotions, ses sentiments, serrer les dents et faire ce que l'on a à faire, même si c'est difficile».

Lorsqu’on lui demande comment il décrirait le son de l’Ukraine aujourd’hui, le chanteur répond que ce seraient d’abord «des voix des militaires, avec leurs désirs et leurs motivations. C'est un son qui espère une victoire. C'est un son lourd, parfois tragique. Mais le plus important, c'est que l'Ukraine existe toujours, que sa voix résonne dans le monde entier, que sa lutte soit entendue dans le monde entier».

Taras Topolia a de nombreux fans dans son pays, non seulement pour ses talents musicaux, mais aussi pour son intégrité personnelle. Parlant des valeurs qu'il aimerait transmettre à ses trois enfants, il n'en mentionne qu'une -la conscience- dont découle, selon lui, tout le reste: «Une personne doit avoir une conscience et défendre les convictions qu'elle considère comme justes. Car la bassesse, la peur, la trahison, toutes ces caractéristiques, à des degrés divers, sont inhérentes à chaque personne, mais seules celles qui sont capables de se battre pour leurs convictions et qui parviennent à faire passer le bien commun avant la l’intérêt personnel survivent».


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20 février 2024, 10:35