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Des partisans de l'Alliance des États du Sahel (AES) célèbrent le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des états de l'Afrique de l'Ouest, à Niamey le 28 janvier 2024. Des partisans de l'Alliance des États du Sahel (AES) célèbrent le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des états de l'Afrique de l'Ouest, à Niamey le 28 janvier 2024.  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Retrait de trois pays de la Cedeao, une décision «réfléchie», selon le Burkina

L’annonce a été faite dimanche 28 janvier. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont décidé de quitter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, après des mois de tensions entre ces trois pays dirigés par des militaires, et la Cedeao. Ce retrait est une décision «mûrement réfléchie» par ces États du Sahel; mais, n’est pas sans conséquences. Entretien avec le père Arsène Brice Bado, vice-président de l'Université jésuite à Abidjan du Centre de recherche et d'action pour la paix.

Myriam Sandouno – Cité du Vatican

Réunis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), créée en septembre dernier pour lutter tout d’abord contre les groupes jihadistes, le Mali, le Burkina Faso et le Niger prennent leur destin en main. Ces trois pays ayant connu des coups d’état (à Bamako en 2020, Ouagadougou en 2022 et Niamey en 2023), étant sous le poids de lourdes sanctions économiques imposées au Mali et au Niger, et également suspendus des instances de la Cedeao, ont annoncé dimanche 28 janvier leur «retrait sans délai»  de l’organisation ouest-africaine.

Ce que reproche l'AES à la Cedeao

Ces États du sahel qui rappellent avoir été à l’origine de la fondation de l’organisation régionale, depuis 1975, par 15 États d’Afrique de l’Ouest, reprochent entre autres à la Cedeao: l’éloignement des idéaux des pères fondateurs et du panafricanisme; l’influence de puissances étrangères devenue aujourd’hui une menace pour ces trois pays; l’imposition de sanctions jugées «illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables, en violation de ses propres textes».

Une décision «mûrement réfléchie»

Le divorce voulu avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, est une décision «mûrement réfléchie», et répond à des aspirations de «souveraineté totale». C’est ce qu’a déclaré mardi 30 janvier le premier ministre burkinabè Appolinaire Joachimson Kyelem de Tambela, invitant les Burkinabè à «s’armer de courage et à renforcer [leur] résilience». Il dénonce «l’indifférence de la Cédéao face au massacre de nos vaillantes populations, à la crise humanitaire qui frappe nos concitoyens et aux multiples tentatives de déstabilisation de nos États respectifs». Le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont frappés par des violences jihadistes de groupes liés à Al-Qaïda ou à l'État islamique. Depuis 2015, au Burkina Faso par exemple, des milliers de personnes ont perdu la vie, civils et militaires. Les violences ont obligé quelques deux millions de personnes à se déplacer.

La Cedeao favorable à une «solution négociée»

L’annonce du retrait a provoqué une onde de choc dans toute la sous-région. La Cedeao s’est dit prête à une «solution négociée»; l’Union africaine a quant à elle, exprimé son «profond regret» dans un communiqué.

Pour le père Arsène Brice Bado, vice-président de l'Université jésuite à Abidjan du Centre de recherche et d'action pour la paix (CERAP), et enseignant en sciences politiques et relations internationale, «la rupture se préparait» depuis bien longtemps. Il constate que l’AES «se pose comme une sorte d’alternative à la Cedeao», soulignant que dans cette crise, «l’ère est plutôt au regroupement des forces, qu’aux petits regroupements» affirme-t-il.

Entretien avec le père Arsène Brice Bado, vice président de l'Université jésuite à Abidjan du Centre de recherche et d'action pour la paix, et enseignant en sciences politiques et relations internationales

Le Mali, le Burkina et le Niger ont  pris la décision de se retirer de la Cedeao, quelles seront les conséquences pour ces pays de l'AES, mais aussi pour la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest?

Parmi les conséquences, il y a tout ce que la Cedeao avait déjà acquis, tel que la libre circulation des personnes et des biens; un passeport commun de la Cedeao; des tarifs douanières plus ou moins harmonisés. Donc il y a quand même une certaine intégration économique qui existait. Il y a aussi de grands projets de route qui relient les pays de la Cedeao. Certains ont déjà été réalisés, d’autres sont en cours. Il y a aussi cette dimension-là, qui est à craindre. Et puis ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que les populations en Afrique de l'Ouest sont assez imbriquées. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de populations du Burkina, du Mali, du Niger, dans les autres pays de la Cedeao. On trouve aussi des populations des autres pays de la Cedeao au Mali, au Burkina et au Niger. C’est un élément très très important à prendre en compte. Est-ce que l’on va réinstaurer des visas, demander des papiers de résidence? Autant de choses qui vont peut-être fragiliser encore la cohésion sociale des populations. Il y a quand même des conséquences importantes.

La Cedeao aussi est fragilisée, ça il faut le reconnaître. Elle souffre également parce qu'elle est vraiment fragilisée par le départ de ces trois pays-là. Si vous regardez la carte, vous allez vous rendre compte que la Cedeao a besoin de ces trois pays du Sahel. Ces trois pays du Sahel ont besoin aussi des restes des pays de la Cedeao. Voyez-vous les sanctions qui ont été prises contre le Niger, par exemple. Le Niger utilisait à près de 80% le port de Cotonou. Vous imaginez, c'était le plus grand, c'était celui qu'il utilisait le plus. Si vous les interdisez de passer justement par ces ports-là, il y a un manque à gagner important pour ces pays aussi. Donc il faut le voir des deux côtés. Il y a vraiment un problème, et le Béni en a souffert. La Côte d'Ivoire aussi pourrait en souffrir et bien d'autres parce que le Burkina, le Mali, utilisent un peu ses ports, le Sénégal aussi. En fait, la configuration de l'Afrique de l’Ouest est telle que, une sanction, ou une telle rupture, fait souffrir tout le monde, ce n’est pas seulement un seul côté.


Ces États dénoncent une influence étrangère qui aurait une main mise sur la Cedeao. Est-ce selon vous un argument solide?

C'est beaucoup plus complexe, mais ce que je peux dire, c'est un argument important qu'il faut prendre en compte. L'un des reproches qui est très souvent adressé à la Cedeao, c'est le fait justement qu'elle est traversée par des forces extérieures. Voyez-vous, au moment des sanctions, avant même que la Cedeao ne se réunisse, on avait certaines puissances étrangères qui donnaient déjà les sanctions, qui disaient ce qu'il allait arriver. Et évidemment, quand les réunions de la Cedeao arrivaient, il n'y avait rien de nouveau. Donc, la Cedeao est vraiment traversée par des puissances étrangères. Ça, il faut le reconnaître. Pour moi, c'est une occasion pour la Cedeao de pouvoir se réorganiser. Parce qu'il y a une sorte de revendication que les populations veulent, une sorte de souveraineté que les populations veulent, il faut pouvoir écouter cela. Donc c'est vraiment important. En fait, c'est une responsabilité aussi des pays de la Cedeao, parce qu'en réalité, si les cotisations n'arrivent pas à faire vivre l'organisation, elle va accepter des financements d'ailleurs, d'autres acteurs qui, après, vont donner des orientations. Mais pour répondre maintenant à votre question disant que, est ce que c'est un argument solide, suffisant? Je dirais non, parce qu'en fait toutes les organisations africaines sont vraiment faibles, l'extérieur intervient beaucoup, c'est vraiment un continent totalement extraverti, jusqu'à la monnaie et bien d'autres, et tout. Donc cette problématique existait déjà. Ce n'est pas simplement propre à la Cedeao. Il y a autre chose derrière cet argument-là. Je pense qu'il vise peut-être potentiellement la France et bien d'autres, quand on sait que ces pays-là sont en rupture avec la France. Peut-être aussi c'est une occasion pour les autorités françaises de se prononcer de moins en moins sur ces questions-là, et de laisser ces organisations-là être en première ligne.

Avec cette décision prise par l'AES, est-ce que l'on tend aujourd'hui vers une concrétisation d'une monnaie commune?

Oui, je pense que c'est une piste très sérieuse qui est explorée, ou peut-être même que les bases sont en train d'être posées pour cette union économique et monétaire de ces États. Telle qu'on voit les choses, en fait, ça fera partie de leur logique, de la dynamique actuelle que nous observons. La Cedeao n'était qu'une étape. Je pense que la sortie de l’UEMOA, est aussi imminente, mais ça pose énormément de problèmes. Ce que je sens, c'est comme si ces pays-là veulent mettre tout à plat, voyez-vous, repartir à zéro. Et ça, c'est vraiment difficile. C'est un choc très fort, je ne suis pas sûr que ces pays pourront supporter ce choc-là, de repartir à zéro, de mettre tout à plat. Il aurait fallu plutôt négocier dans le long terme un certain nombre de réformes, mais là, je trouve que ça fait un peu trop à la fois. Peut-être qu'on arrive au cas de la Mauritanie, savez-vous qu'en 2000, la Mauritanie a claqué la porte de la Cedeao, mais en 2017, elle est revenue demander à faire partie et là elle est plutôt membre associé, donc bénéficie d'un certain nombre d'avantages, mais n'est pas totalement membre, mais seulement membre associé. Une solution à la Mauritanienne, serait déjà un gain, qu'une rupture totale. Compte tenu de la configuration géographique de nos pays, il faut certainement négocier.

Comment se redessine aujourd'hui le paysage géostratégique de la sous-région ouest africaine?

Oui c'est vraiment une question très importante et vraiment urgente. Le paysage géostratégique en Afrique de l'Ouest est vraiment en très grande mutation. En fait, le problème de ces pays-là, on ne peut pas les comprendre si on ne prend pas en compte les enjeux géopolitiques. On a l'impression que la guerre froide, vraiment, bat son plein en Afrique de l'Ouest. Il n'y a pas que la France qui intervient, on a vu la récente tournée d'Antony Blinken, le secrétaire d'État américain. Il y a les Russes qui sont là, il y a les Chinois qui sont là. Chacun visite l'Afrique de l'Ouest, ainsi de suite….Les pays de l'AES sont en train de se tourner vers la Russie, ce qui agace les pays occidentaux. Blinken disait qu'il faut choisir. Donc, ces pays-là sont traversés par la concurrence des grandes puissances. Malheureusement, moi je pense que ces grandes puissances font partie du problème aussi, pas nécessairement de la solution. Parce que leurs actions, leurs compétitions font que des pays, des petits pays se trouvent victimes d'un certain nombre de choses. Il y a une certaine éthique des relations internationales qu'il faut redécouvrir, pour imposer à ces puissances étrangères de ne pas intervenir dans ces pays au point de leur enlever presque leur souveraineté. Même les aides dont on parle sont tellement conditionnées, que ces pays-là ne semblent plus être vraiment indépendants. Et cela nourrit le discours des putschistes, voyez-vous, qui vont parler de souveraineté nationale. Et ces putschistes n'ont pas tort, parce que justement les grandes puissances n'ont pas les mains propres. Je pense qu'il y a lieu vraiment qu'on puisse repenser un peu tout cela pour qu'il puisse y avoir plus de paix. On ne peut pas se contenter simplement d'accuser que les pays putschistes. Le problème est partagé. Ces pays-là ne font pas toujours partie de la solution.

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31 janvier 2024, 15:12