«La guerre est une folie», témoigne un ancien fabricant d'armes
Alessandro Gisotti – Cité du Vatican
«Papa, alors tu es un assassin?» Cette question posée par son fils à l'âge de 8 ans restera toujours comme une lame dans le cÅ“ur de Vito Alfieri Fontana. Même aujourd'hui, de nombreuses années après ce moment, il n'est pas facile de s'en souvenir pour cet ingénieur de 72 ans originaire de Bari, qui a vécu deux vies. La première en tant que concepteur et fabricant de mines antipersonnel meurtrières à la tête de la Tecnovar, une entreprise familiale prospère. La deuxième, diamétralement opposée comme démineur en chef dans les Balkans, une région dévastée par la guerre et infestée par ces armes insidieuses et meurtrières que sont les mines. Vito a raconté cette histoire dramatique, douloureuse et en même temps, tissée de courage et d'espoir dans un livre écrit avec le journaliste de Famiglia Cristiana, Antonio Sanfrancesco, intitulé «J'étais l'homme de la guerre». Dans une interview accordée aux médias du Vatican, l'ancien fabricant d'armes converti en travailleur humanitaire reprend les appels du Pape en faveur du désarmement et lance un vibrant appel à ceux qui, comme lui par le passé, produisent et vendent des instruments de mort.
Vous avez déclaré dans votre livre avoir vécu deux vies. Celle de fabricant de mines et celle de démineur qui cherche à neutraliser ces instruments de mort. La transition ne s'est pas produite brusquement, mais s'est développée au fil du temps. Tout d'abord, grâce à votre fils...
Quand mon fils a commencé à grandir, il a commencé à se poser des questions. Lorsqu'il a découvert par hasard que je fabriquais des mines, que je fabriquais des armes, il m'a demandé: «Si tu fabriques des armes, alors tu es un assassin...». Ce sont des choses qui vous permettent de comprendre la perception par les autres de votre travail. Finalement, c’est la chose la plus simple à comprendre: celui qui fabrique des armes, que ce soit volontairement ou non, contribue à faire du mal aux autres. Et mon fils m'a aussi dit peut-être la chose la plus évidente: «Papa, peut-être que d'autres fabriquent des armes, beaucoup de gens dans le monde, mais pourquoi devrais-tu les fabriquer toi?». Ces paroles ont été la première pierre de ma réflexion.
Dans votre parcours de «conversion», c’est une discussion avec un jeune homme de l’organisation Pax Christi, un mouvement catholique international pour la paix, qui vous a bousculé.
Oui, en 1993, lorsque la Campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel a été lancée, j'ai reçu une invitation de l'évêque des Pouilles, Mgr Tonino Bello, qui était président de Pax Christi. Il avait écrit dans l'invitation: «Essayons de trouver un point de discussion. Est-il impossible de pouvoir parler entre hommes de paix et ceux qui font la guerre?». Mgr Tonino Bello n'a malheureusement pas pu participer à cette rencontre car il est décédé entre-temps. Cependant, son groupe a voulu maintenir cette discussion et je me suis retrouvé face à 200 personnes qui me posaient des questions même très difficiles. J'y ai répondu sans problème, jusqu'à ce qu'un jeune homme, un volontaire de Pax Christi, à la fin de la discussion, me secoue en demandant: «Vous pouvez être sympathique, mais la nuit, quand vous vous couchez, de quoi vous rêvez ? Est-il possible que vous rêviez d'une belle guerre? est-il possible que vous rêviez d'une guerre pour vendre beaucoup de mines?».
Votre entreprise, la Tecnovar, était une entreprise familiale très prospère. Votre changement de vie a également été source de nombreuses incompréhensions, des difficultés. Mais vous avez continué votre chemin. Qu'est-ce qui vous a poussé à emprunter un chemin aussi difficile?
Quand le vers de la conscience est dans votre tête, comment pouvez-vous retourner à la table à dessin et concevoir quelque chose qui peut faire du mal aux autres? À ce stade, vous ne pouvez plus le faire. Je me demandais: «Pourquoi devrais-je le faire?» En effet, mon fils avait raison. Bien sûr, cela a entraîné des incompréhensions, j'ai rompu avec une partie de ma famille, j'ai trouvé le vide autour de moi, mais j'ai compris ce que les autres ne voulaient pas comprendre... Et j’ai continué.
Que ressentiez-vous les premières fois où vous vous trouviez de l'autre côté? Lorsque vous dirigiez, avec l'organisation Intersos, le déminage de zones infestées par des mines antipersonnel, notamment dans l'ex-Yougoslavie, similaires à celles que votre entreprise avait produites peu de temps auparavant?
On se sent mal parce qu'une partie de vous se sent sous terre. C'est une sensation étrange, c'est-à-dire que vous vous demandez à l'intérieur: «Regarde ce que tu as fait». Les cinq premières minutes sont de la peur, car vous ne savez pas si vous serez capable d'aller à l'encontre de vous-même. Ensuite, finalement, la peur disparaît... Mais au début, c'est gênant. Je me sentais vraiment mal et j'étais très sévère envers moi-même.
Vous avez raconté que, dans votre vie d'industriel des armes, vous participiez à des foires et des événements où vous rencontriez plus ou moins toujours les mêmes personnes. Des événements où on ne considérait pas le mal causé par ces armes...
En ces occasions, on ne parlait jamais de vies humaines. Une mine antipersonnel est une bonne mine si elle parvient à percer une plaque de métal de 50 cm x 50 cm x 5 mm. On ne parle pas d'êtres humains, il n'y a pas d'enfants considérés. Il n'y a pas de soldats qui perdent ensuite leurs jambes ou leur vie... La perforation de la plaque, c'est l'objectif et c'est uniquement sur cela que l'on travaille.
Le poids de votre première vie se fait également sentir sur la deuxième, inévitablement... Deux millions et demi de mines produites face à quelques milliers désamorcées…
Oui, si l'on considère une seule vie... Mon engagement maintenant est également en faveur de 10 000 personnes dans le monde entier qui ont participent aux opérations de déminage. Ces personnes se cassent le dos chaque année, chaque jour, à chaque heure de la journée pour désamorcer les mines. J'espère avoir contribué en mettant en lumière ce problème, en encourageant ces gens qui font des «miracles» depuis ces années. Je ne parle pas seulement des Balkans, je parle de l'Asie, de l'Amérique, de l'Afrique, avec de véritables succès. Donc, bien sûr, mon bilan en tant que personne est déséquilibré, mais je fais partie d'un groupe incroyable de personnes qui font un excellent travail.
Dans Laudate Deum, le Pape salue la Convention d’Ottawa de 1997 qui interdit les bombes antipersonnel. Mais aujourd'hui, il ne semble pas y avoir un mouvement populaire, de base, en faveur du désarmement comme pour d'autres sujets, par exemple la crise écologique...
La Convention d'Ottawa avait un ennemi assez limité. Les fabricants de mines étaient une fraction minime et franchement indéfendable... Les questions environnementales impliquent beaucoup plus de gens et sont donc naturellement beaucoup plus suivies. Mais les chrétiens devraient toujours avoir à l'esprit, que dans l'Évangile, les artisans de paix sont le seul groupe humain que Jésus appelle «enfants de Dieu» dans son sermon sur la montagne: «Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu». Nous devrions toujours nous en souvenir, c'est une grande responsabilité. Nous pourrions être seul, nous pourrions être 10 000, mais si nous sommes appelés par le Christ d'une telle manière, nous ne pouvons pas reculer.
Le Pape a déclaré le jour de Noël que les gens veulent du pain, pas des armes. Mère Teresa avait lancé un appel similaire, en recevant le prix Nobel de la Paix en 1979.
Nous devons être conscients que les armes sont détenues par environ 1% de la population lorsqu'il y a une guerre. Les armes sont manipulées, utilisées ou programmées par très peu de personnes par rapport aux dégâts qu'elles causent. Ce que j'ai toujours vu en allant dans les théâtres de guerre, c'est que les gens avaient surtout besoin -comme le dit le Pape- de pain, de travail, de reconstruction, et n'avaient certainement pas besoin d'armes! Cela vaut pour 99 % des gens.
Ce qui m'a toujours frappé, c'est que si vous rassemblez d'anciens ennemis et que vous les mettez au travail avec un salaire décent pour qu'ils puissent rentrer chez eux avec dignité, alors les rivalités s'éteignent. Dans mon travail de démineur, j’ai travaillé avec des orthodoxes, des catholiques, des musulmans, mais aussi beaucoup d'athées... Et il n'y avait aucun problème quand une personne collaborait avec d'autres et ramenait du pain à la maison: c'est cette perspective que la politique devrait distribuer du pain plutôt que des armes! Non pas du pain donné ou volé, mais du pain gagné.
«Pour dire 'non' à la guerre, il faut dire 'non' aux armes», a encore déclaré le Pape le jour de Noël. «Parce que si l'homme, dont le cÅ“ur est instable et blessé, se trouve avec des instruments de mort entre les mains, tôt ou tard, il les utilisera». Qu'en pensez-vous à la lumière de votre expérience personnelle?
Faire la guerre, c'est comme abattre un arbre. Faire la paix, c'est comme planter un arbre. Pour abattre un arbre, il ne faut rien, juste une arme! Pour faire la paix, tu dois planter l'arbre, le semer, en prendre soin pour le voir grandir. Ainsi, à la souffrance du moment de la guerre succède ensuite le malaise, l'effort et la souffrance de la reconstruction. L'utilisation des armes est une folie! Il y a toutes les possibilités de vivre en coopérant même si l'on pense différemment.
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