«L'armée reste l'une des dernières institutions qui prêche le don de soi»
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Plus de 10 000 pèlerins, venus d’une quarantaine de pays, sont attendus à Lourdes du 12 au 14 mai pour le 63e Les délégations d’armées du monde entier –dont celle de l’État de la Cité du Vatican, avec la Garde Suisse pontificale- se retrouveront pour prier ensemble la Vierge Marie, prier pour la paix, recevoir les sacrements. Il y aura aussi des temps de partage tels qu’un challenge sportif incluant des blessés de guerre, ou encore un festival international de musique militaire. Cet évènement impressionne par son décorum dans la cité mariale. C’est aussi un temps de fraternité entre les soldats, «sentinelles de paix» comme les appelait Jean-Paul II.
Prêtre de la communauté Saint-Martin, ayant d’abord été quelques années vicaire en Bretagne, l’abbé Pierre-Nicolas Chapeau est, depuis 2019, aumônier catholique du 2e Régiment d’Infanterie (Légion étrangère), basé à Nîmes. Il revient d’abord sur la raison de son engagement au sein du diocèse aux Armées françaises.
J'ai fait ce choix parce que j'ai toujours eu une grande passion pour la chose militaire, depuis mon adolescence, et il s'est trouvé qu'en 2009, j'ai fait connaissance avec un ancien aumônier du 21ᵉ régiment d'infanterie de marine de Fréjus. Par son témoignage et ses encouragements, j'ai pris la décision de m'engager au service du diocèse aux armées.
Qu'est-ce que cela représente pour vous de servir dans ce corps d'armée au regard de son histoire - parce qu'il a accueilli brièvement Charles de Foucauld -de son prestige et de sa diversité culturelle?
Charles de Foucauld n'a pas servi dans ce régiment, mais lorsqu'il était en Algérie, dans son ermitage, au début du siècle dernier, après une grande bataille -la bataille emblématique d’El-Moungar, où le deuxième régiment étranger d'infanterie avait été engagé- après cette bataille donc, Charles de Foucauld a quitté son ermitage pour aller se porter au chevet des blessés de cette bataille. C'est pour cela que les destinées du régiment et de Charles de Foucauld sont si liées.
Ensuite, pour moi, comme je le dis souvent, il y a une sorte d'analogie entre la Légion et l'Église. Car, en effet, de la même manière que l'Église rassemble les nations du monde entier, dans la Légion étrangère se rassemblent aussi des hommes du monde entier, de toutes les cultures, pour servir la Légion étrangère. Donc, c’est cette particularité qui rend la Légion si enrichissante, si touchante, et si enthousiasmante pour un aumônier pour y servir.
À travers votre sacerdoce, que souhaitez-vous apporter à ces soldats?
La mission de l'aumônier dans la Légion étrangère est à peu près la même que celle des autres aumôniers des autres armées. Nous avons à apporter un soutien moral et spirituel. Notre rôle n'est pas quantifiable, il se situe en dehors de la structure hiérarchique. Nous avons pour mission d'être des confidents, d'apporter un soutien - immédiatement spirituel pour ceux qui sont catholiques à travers la célébration des sacrements. Mais nous sommes, pour reprendre le mot de Charles de Foucauld, un frère universel. Nous sommes à la disposition de tout légionnaire qui souhaite venir nous parler et nous confier ses joies comme ses peines. Nous avons une mission, je pense, et le mot me paraît pertinent, de compassion auprès de ces hommes, dans la vie quotidienne du quartier comme dans les moments plus difficiles des engagements de guerre.
Vous avez participé à plusieurs opérations extérieures –opex- au Tchad, au Mali. Qu'est-ce que ces expériences vous ont-elles appris du sens de la guerre et de l'engagement d'un militaire?
À travers ces opérations militaires, j'ai d'abord redécouvert le comportement magnifique de nos soldats, leur abnégation, leur professionnalisme, leur courage aussi, dans ces moments difficiles. Et puis c'est dans ces moments-là, dans ces engagements, que la mission de l'aumônier militaire se concrétise le plus. D'une certaine manière, dans ces moments là, on ne peut pas tricher. Les personnalités se révèlent parce que nous sommes confrontés au danger, nous sommes confrontés à la perspective d'une mort imminente, sans parler de la mort possible. Pendant quatre, cinq mois, six mois, on se retrouve éloigné de nos bases. Les soldats sont séparés de leur famille et ils vivent dans des conditions rustiques. Tout cela amène donc l'aumônier à être particulièrement attentif et à apporter un réconfort, le réconfort de sa présence, tout simplement. Je pense que le maître mot de l’aumônier, c'est d'être là.
Ce n’est pas forcément de faire de grands discours, mais d'être disponible, et toujours là dans les moments les plus difficiles.
À quoi pense-t-on, que cherche-t-on à vivre lorsque justement sa vie est davantage en danger?
J'ai observé que des questions fondamentales reviennent à la surface de l'esprit. Des questions que d'aucuns appelleront métaphysique ou d'autres des questions religieuses. En tout cas, ce qui est en jeu, c'est la question du sens de la vie. En temps de guerre, on se rend compte que la vie est fragile, la vie est vulnérable, et que c'est le moment de se poser les vraies questions sur l'au-delà, sur le sens de l'engagement, sur le sens de la camaraderie, sur le sens de l'engagement militaire.
L'histoire militaire donne en exemple de nombreuses figures avec de hautes valeurs spirituelles, morales, humaines. Est-ce que ces modèles semblent désormais inaccessibles? Comment cultiver ces qualités d'âme chez un soldat?
Les grands modèles militaires de notre histoire, bien sûr, sont à replacer dans leur contexte. Les époques ne sont plus les mêmes, mais les fondamentaux demeurent. Dans la Légion étrangère, les deux principes fondamentaux sont l'honneur et la fidélité. Mais je pense que ces deux principes peuvent être déclinés à toutes les époques et plus particulièrement à la nôtre. Car il semblerait que dans nos sociétés qui cultivent le relativisme, l'avachissement, beaucoup de jeunes essayent de retrouver une certaine verticalité dans leur vie, et l'armée reste l'une des dernières institutions qui prêche le don de soi. Le don de soi pour une cause qui dépasse l'homme, qui dépasse ses intérêts égoïstes immédiats. Et c'est pour cela que dans ce contexte, je pense que les aumôniers ont un rôle vraiment important à jouer pour aider tous ces jeunes à vivre leur idéal et à s'inspirer des anciens pour continuer la mission aujourd'hui.
Une des devises de la Légion, c'est aussi “More majorum”, qui signifie en latin «à la manière des anciens». Nous pouvons toujours nous appuyer sur nos anciens, qui n'étaient ni pire ni meilleurs que nous, qui étaient faits de la même pâte que nous, mais qui sont allés jusqu'au bout de leur engagement. De ce point de vue-là, ils représentent toujours des modèles imitables aujourd'hui.
Dans cette légion étrangère où il y a une forte diversité culturelle, comment vivez-vous le principe de laïcité?
Le principe de laïcité, c'est d'abord celui de la liberté de conviction. C'est cela la laïcité, ça consiste à laisser les citoyens vivre leur foi librement. L’Armée française a toujours tenu, à travers des décrets successifs, à garantir cette liberté de conscience, cette liberté religieuse, notamment en mettant à la disposition des soldats des aumôneries de différents cultes. Vous avez historiquement la plus ancienne, c'est bien sûr l'aumônerie catholique. Ensuite, vous avez l'aumônerie protestante, l'aumônerie israélite et la dernière, chronologiquement, l'aumônerie musulmane. Donc tous ces aumôniers des différents cultes sont là pour aider les soldats à vivre leur foi dans leur engagement militaire quotidien. Donc en cela, ce n'est pas du tout contraire à la laïcité, mais c'est une façon de vivre de façon sereine la laïcité authentique.
Les conflits se multiplient aux quatre coins du monde. Comment, dans un tel contexte, garder confiance en l'avenir?
Pour un chrétien, le motif de sa confiance, c'est la providence de Dieu. Nous sommes certains que Dieu conduit le monde par sa sagesse, une sagesse qui nous dépasse bien sûr. On peut ne pas en comprendre toujours tous les méandres, mais notre premier motif de confiance, c'est l'amour de Dieu. Dieu conduit l'Histoire des hommes à travers aussi les drames que les hommes peuvent traverser, notamment les guerres. Dieu conduit l'histoire des hommes selon sa sagesse. Donc ça, c'est le premier motif de notre confiance. Et puis il y a aussi, je pense, le fait que les hommes peuvent trouver des voies de fraternité, de dialogue, de réconciliation, comme le rappelait dernièrement le Pape lorsqu'il est revenu de son voyage en Hongrie. Ce qui est important, c'est de maintenir toujours ouverts ces chemins de dialogue, de rencontre, de fraternité pour éviter ce grand malheur, cette grande malédiction de la guerre.
La fraternité, vous allez la vivre bientôt à Lourdes, à l'occasion du Pèlerinage militaire international. Qu'est-ce que vous attendez de cette démarche?
Aller à Lourdes, c'est d'abord aller à la rencontre de la Vierge Marie, de son grand message toujours actuel de compassion, de proximité avec les petits et surtout avec les blessés, blessés dans leurs corps, blessés dans leur âme - et Dieu sait s'il y en a beaucoup dans notre institution militaire. Donc c'est d'abord cela: aller à la source avec la Vierge Marie pour retrouver un nouvel élan dans notre vie spirituelle, dans notre vie chrétienne. Et puis vous savez qu'à Lourdes, il n'y a pas que des chrétiens qui vont y aller en pèlerinage, il n'y a pas que des militaires chrétiens. Il y a des militaires soit, qui n'ont pas encore la foi, soit qui viennent d'autres traditions religieuses, mais qui sont attirés par cette figure maternelle de la Vierge Marie, qui parle à tous.
Ensuite, aller à Lourdes, c'est faire l'expérience de cette grande fraternité des soldats. Chaque soldat vit dans l'armée de sa nation, mais on peut se retrouver entre militaires des différents pays parce que les militaires de tous les pays obéissent à une même éthique, à un même idéal, et en cela, ils peuvent se rassembler, se retrouver. Et quel beau message offrent ces soldats à Lourdes, qui apparaissent vraiment comme des serviteurs de la paix. C'est un petit peu paradoxal de penser que les soldats puissent être des serviteurs de la paix, mais c'est ce qu'ils sont vraiment, car quand l’instrument militaire n’est pas au service de la justice, le militaire est à côté de la plaque en quelque sorte. Il est vraiment dans sa vocation lorsqu'il met toute sa personne au service de la paix. C'est vraiment un objectif que nous devons viser. Mais malheureusement le monde n'est pas composé que de bisounours !.. Il y a des méchants, des agresseurs, et nous avons le devoir de nous y opposer, au besoin par la force. C'est le rôle des militaires.
Est-ce que l’on perd de vue selon vous, dans les conflits actuels, cet objectif de paix, de pacification?
Je pense personnellement que le monde d'aujourd'hui, encore une fois, n'est ni pire ni meilleur que dans les siècles passés. Il n'y a jamais eu d'âge d'or. Le monde est toujours travaillé au niveau individuel comme au niveau collectif, par des sentiments de conquête, de convoitise. C’est le drame de l'homme marqué par le péché. Il faut donc essayer de vivre le mieux possible avec toutes ces données, et essayer de défendre le bien commun par tous les moyens. D'abord par les moyens pacifiques autant que faire se peut, et quand on ne peut plus rien, par la force, c'est inévitable. On ne peut pas laisser les méchants agir sans que nous réagissions.
Revenons à Lourdes. La Légion étrangère sera mise à l'honneur lors du Qu'est-ce que cette musique, réputée au sein de la Légion étrangère, apporte à ceux qui l'interprète et à ceux qui l'écoutent?
D'abord, il faut rappeler que la musique et le chant ont un rôle très important dans les armées. Depuis toujours, c'est en chantant ensemble, en marchant au pas, en marchant ensemble, que se forge la cohésion. Un soldat n'est rien sans ses frères d'armes. L'efficacité d'une armée est complètement subordonnée à sa cohésion. On marche ensemble, et le chant, la musique, contribuent à cette cohésion. Ensuite, plus spécifiquement, la musique de la Légion étrangère, par sa qualité, son excellence, contribue au rayonnement de l'institution en France et dans le monde entier. Elle permet aussi à ceux qui ne la connaissent pas encore de saisir un peu l'âme de la Légion étrangère. Il faut l'avoir entendue jouer pour être saisi d'émotion, comme je l'ai été dernièrement à Aubagne pour la fête de Camerone. Une fois de plus, nous avons pu apprécier la qualité de cette formation musicale et son professionnalisme.
Le 2e régiment étranger d’infanterie de la Légion étrangère (2e REI) lance un pour financer le projet d’une nouvelle chapelle au sein du régiment, basé à Nîmes. Elle sera dédiée à saint Charles de Foucauld. Il est possible de faire un don (défiscalisé) via le
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