Amazonie: la survie des Yanomami menacée par l’orpaillage illégal
Entretien réalisé par Marine Henriot - Cité du Vatican
«Notre terre indigène Yanomami est ruinée, détruite, les rivières et les poissons sont contaminés. Nous sommes ici pour vous demander votre soutien, pour que vous cherchiez des alternatives qui guériront notre terre.» Cette supplication est celle de Júlio David Magalhães, président d’une association du peuple Yanomami, devant le Sénat brésilien, le 20 mars 2023.
En effet depuis maintenant plusieurs années, les Yanomami, un des plus grands groupes amazoniens qui vit en dehors de la société brésilienne, sont les victimes de l’orpaillage illégal.
C’est la troisième fois dans l’histoire moderne que ce peuple de 28 000 individus dans le Nord du Brésil, vivant au cĹ“ur de la forêt amazonienne, est mis en danger. D’abord en 1973, lors de la construction d’une route transamazonienne, puis entre 1986 et 1989, lors d’une première invasion de chercheurs d’or, qui avait provoqué la mort de 13% d'entre eux. Favorisés par l’ancien président brésilien, Jair Bolsonaro, les orpailleurs illégaux se multiplient en territoire Yanomami. Le nouveau gouvernement et le président Ignacio Lula Da Silva promet, lui, de lutter contre l’orpaillage illégal.
Bruce Albert est anthropologue; il travaille depuis 1975 avec les Yanomami du Brésil. Dans un entretien à Radio Vatican - Pope, il analyse la complexité de la situation.
Les orpailleurs clandestins seraient près de 20 000 dans la région. De quels moyens disposent-ils?
Ce sont des sortes d’entreprises moyennes d'extraction minière illégale, des entreprises pirates qui sont de façon très importante capitalisées par des commerçants, des entrepreneurs, des politiques locaux en général. Elles ont par conséquent des moyens techniques, elles utilisent des bulldozers, des pelleteuses. Elles ont tracé 150 kilomètres de routes à travers le territoire, dans une région très inhospitalière, avec un relief assez difficile. Pour faire cela elles ont disposé de moyens financiers et techniques considérables. Elles ont détruit environ 4500 hectares de forêt en trois ou quatre ans. C'est vraiment devenu une invasion massive avec un degré de destruction écologique, de destruction sociale et de contamination épidémiologique à une échelle jamais vue.
En quoi consiste l'opération lancée par le nouveau pouvoir brésilien pour déloger les orpailleurs et pour apporter plus de sécurité aux Yanomami?
C'est une situation très complexe. Le président Lula Da Silva s'est rendu sur place. Ces opérations sont menées à la fois par des organismes de protection de l'environnement, la police fédérale, les organismes de santé, etc. C'est une phase de transition qui se déroule un peu dans le désordre, surtout dans le domaine de la santé qui est très compliquée à organiser dans la forêt, dans ces régions qui sont assez montagneuses. Donc, tout cela marche un peu à tâtons. Ceci dit, il y a eu des effets réels, une bonne partie des chercheurs d'or sont partis, mais il y a toujours un noyau dur qui reste. On est dans une situation encore de transition, mais il y a une sensible amélioration. Des moyens ont été mobilisés en matière de santé et de soutien alimentaire, mais pour les équipes sanitaires, se rendre dans des endroits encore occupés par les chercheurs d'or représente un sérieux danger. Donc, malgré les efforts importants, on est encore loin du compte. Il y a toujours des chercheurs d'or, et il faut continuer les opérations d'expulsions avec fermeté. Et puis, à long terme, il sera nécessaire de restructurer un système de santé et de protection territoriale qui a été complètement déstructuré sous le gouvernement de Jair Bolsonaro, non seulement dans la mécanisation et la capitalisation, mais aussi à cause de l’arrivée du crime organisé. C'est à dire qu'il y a des factions de trafiquants de drogue qui se sont infiltrés dans toute la région occupée par les chercheurs d'or parce que ça leur permet de blanchir leurs bénéfices de la drogue avec le trafic d'or. Donc cet élément a rendu la situation encore beaucoup plus violente.
En janvier une enquête a été ouverte pour génocide sur les Yanomami. Au moins une centaine d’enfants de moins de cinq ans sont morts l'an dernier pour cause cause de non-assistance et de mauvais traitements. Qui serait responsable, et peut-on effectivement parler de génocide ?
Il y a génocide également quand on soumet une population à des conditions de vie qui rendent impossible sa continuité en tant que groupe. Et c'est exactement ce qui se passe là. C'est un génocide par omission volontaire, c'est à dire que des secours ont été omis. Jair Bolsonaro a empêché l'envoi de médicaments et il a déstructuré tout le système de santé et le système de protection territoriale. Toutes les administrations qui avaient été chargées de protéger ce territoire et cette population ont toutes été démontées systématiquement par le gouvernement de Jair Bolsonaro. À plusieurs reprises, bien qu’averti de l'aggravation permanente de la situation, il a nié l'envoi de secours spécifiques dans la région. Donc ça configure un génocide. Jair Bolsonaro est quelqu'un d’obsédé par sa haine des Indiens et des Yanomami en particulier. Dans les années 90 déjà, quand il était député, il a tout fait au parlement, en déposant projet de loi après projet de loi, pour empêcher la délimitation des terres yanomami, sous le prétexte que délimiter un grand territoire amérindien le long de la frontière constituait une menace pour la sécurité nationale, que ces terres étaient habitées par des gens qui ne sont pas des “vrais Brésiliens”, qui parlent une autre langue, qui sont susceptibles d'être convaincus par des puissances étrangères de faire sécession du Brésil. Les fariboles de ce genre sont quand même le cĹ“ur de la pensée géopolitique de l'armée brésilienne depuis la dictature.
Vous travaillez avec les Yanomami depuis 1975. Sur le long terme, comment analysez-vous cette ultime menace des orpailleurs et avant cela, celle du gouvernement brésilien contre ce peuple?
En fait, il faut voir que c'est un peu la fin de la conquête de l'Amérique. Nous sommes aux confins du territoire brésilien. Ce sont les dernières zones libres. Donc pour les militaires, pour les politiciens, pour les grands intérêts économiques du Brésil, ce sont des terres à conquérir. On assiste au dernier chapitre de la conquête du Brésil, qui a commencé en 1500 et pour la même raison qu’au début de la conquête des Amériques: pour l’or. C’est quand même assez consternant de considérer qu'en 2023 on en est à encore un assaut génocidaire et colonial sur des peuples amérindiens avec cette violence.
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