La junte malienne toujours plus isolée
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Un signal inquiétant en provenance du nord-est du Mali. La branche sahélienne du groupe Etat islamique a récemment filmé et publié dans une vidéo de près de dix minutes et de bonne facture, la cérémonie d’allégeance des hommes de sa «province» au nouveau chef de leur organisation, l’Irakien Abou al Hussein al Husseini al-Qourachi. On y voit des dizaines d’hommes kalachnikov à la main, disposant aussi d’armes lourdes, capables d’abattre des hélicoptères ou des avions.
Une montée en puissance qui ne surprend pas. «En plus de son travail quotidien qui consistait à essayer de neutraliser un certain nombre de cadres de l’Etat islamique ou d’al-Qaïda, Barkhane assurait une protection aérienne à certaines opérations de l’armée et de la Misnuma (la force onusienne). Il était donc très prévisible que son retrait s’accompagne d’une détérioration de la sécurité, en particulier dans la zone de Ménaka à Gao», affirme Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri.
L'enjeu clé de la sécurité
Les soldats de la force Barkhane ont quitté le Mali en août 2022, après plus de huit ans d’opérations anti-djihadistes. La force extérieure de l’armée française créée en 2014 et qui a compté jusque 5100 hommes, a été officiellement dissoute par le président Macron en novembre dernier, face à l’hostilité croissante des populations locales vis-à-vis de la France et aux accusations d’ingérence formulées par la junte putschiste.
Les militaires aujourd’hui au pouvoir avaient fait de l’échec sécuritaire d’Ibrahim Boubacar Keita un point d’appui pour orchestrer son départ. Ils organisent un coup d’Etat contre le président élu à l’été 2021. S’en suivra 9 mois plus tard un «coup dans le coup», un deuxième putsch fomenté toujours par le colonel Assimi Goïta qui prend cette fois en son nom le pouvoir. Le militaire compte régler la question sécuritaire avant de redonner le pouvoir aux civils en février 2024, date annoncée des prochaines élections.
La période de transition a jusque maintenant été marquée par une communication importante sur la montée en puissance de l’armée malienne, de l’amélioration des équipements à l’embauche de nouvelles recrues mais, précise Alain Antil, «il semble que les forces armées maliennes aient aujourd’hui complètement abandonné l’idée de combattre au nord, et en particulier sur une des deux zones les plus difficiles allant de Menaka à Gao où là vous avez des groupes armés signataires qui se battent aux côtés d’al-Qaïda contre l’Etat islamique et les forces armées maliennes sont juste spectatrice et non acteurs de cette guerre localisée». Le 11 décembre dernier, l’ancienne rébellion touareg malienne sollicitait de l’Algérie et des autres médiateurs internationaux une réunion d’urgence dans «un lieu neutre» pour examiner l’accord signé en 2015 pour la paix dans le nord Mali, selon elle en «déliquescence».
Exactions en nette augmentation
Dans le centre du pays en revanche, certaines écoles ont pu rouvrir à la faveur d’une offensive lancée début 2022, parfois à la suite de négociations avec des groupes armés. Il y a «un sursaut, une forte présence, des actions de l’armée» mais «de là à parler d’un retour de l’État, il y a un pas que je ne saurais franchir», souligne Alain Antil.
La «combativité» dont font preuve les militaires s’accompagnent en outre de bavures, note-t-il, commises par les soldats maliens, certaines milices dogons et des supplétifs du groupe de mercenaires russes Wagner, le nouvel allié des troupes maliennes.
Fin novembre, la Fédération internationale pour les droits humains affirmait que l’arrivée des soldats a provoqué une «exacerbation des violences au niveau local et un niveau jusque-là jamais atteint de violations des droits humains envers les populations civiles». La FIDH mentionnait par exemple la mise en place d’un camp de torture à Pergue, dans la région de Ségou, ou des dizaines de viols de femmes lors d’une opération fin mars 2022 à Moura. Une violence alimentée par le règne de l’impunité, conclu le FIDH. Le directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, précise: non seulement l’armée nie ces exactions mais elle refuse à la Minusma, la force onusienne déployée au Mali, d’enquêter.
Instaurée en 2013 dans la foulée des insurrections indépendantistes et djihadistes au nord du Mali, les 13 000 hommes de la Minusma ont un vaste mandat. Ses «tâches prioritaires» sont «la sécurité, stabilisation et protection des civils, l'appui au dialogue politique national et à la réconciliation nationale, ainsi qu'à l'appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays, à la reconstruction du secteur de la sécurité malien, à la promotion et la protection des droits de l’homme, et à l’aide humanitaire», lit-on sur
Tracasseries et provocation
Les casques bleus sont là pour seconder les autorités mais la junte «gênent considérablement les activités de la Minusma» et «les pays qui envoient des hommes au Mali se demandent s’ils sont véritablement les bienvenus», affirme Alain Antil. Ce sont des problèmes concrets, comme l’interdiction du survol du territoire pendant la relève de bataillon, des «tracasseries administratives toujours plus importantes» ou des déclarations inopportunes. «Quand vous avez un Premier ministre malien qui dit à l’Assemblée générale des Nations unies que tous les pays ont abandonné le Mali alors que ces mêmes pays ont perdu des hommes sur place, ça passe très mal»; Alain Antil parle d’un mécontentement généralisé dans les chancelleries des pays concernés.
Sept pays ont décidé de se retirer de la Minusma: le Bénin, l’Egypte, le Royaume-Uni, la Suède, le Salvador, la Côte d’ivoire et bientôt l’Allemagne, qui a le plus important contingent de soldats sur place. Le 15 décembre dernier, lors d’un déplacement à Bamako, la ministre allemande de la défense a prévenu la junte que le maintien de ses troupes jusqu’en février 2024 était conditionné à leur capacité à remplir leur mission, et à la tenue d’élection.
«Au même titre que la junte voulait voir les soldats français partir, elle semble aussi pousser la Minusma dehors» note Alain Antil sans s’expliquer le choix malien de l’isolement, «un mystère». Pour lui, la junte est dans une posture «très idéologique et ultra-nationaliste», en affirmant que les partenaires habituels ne sont pas de vrais partenaires mais qu’ils veulent profiter ou affaiblir le Mali. Parce qu’elle estime qu’il lui faut passer «par une phase de recouvrement de la dignité du pays», elle se sépare de partenaires traditionnels et se brouille avec ses voisins.
Une posture idéologique ultra nationaliste
Le Mali livre actuellement un bras de fer à la Côte d'Ivoire depuis qu'il a arrêté, le 10 juillet dernier, 49 soldats ivoiriens à leur arrivée à Bamako. Trois ont été relâchés depuis. La Côte d'Ivoire et l'ONU affirment que ces soldats devaient participer à la sécurité du contingent allemand des Casques bleus au Mali. Mais Bamako dit les considérer comme des «mercenaires» venus attenter à la sûreté de l'Etat. Début décembre, les dirigeants des Etats d’Afrique de l’Ouest ont exigé la libération de ces soldats ivoiriens, et ce avant le 1er janvier, sans quoi la Cédéao prendra des sanctions contre Bamako.
Alors «que les djihadistes se rapprochent de Bamako – car il faut bien le dire», la junte ferraille avec ses voisins et ses principaux partenaires. «Un choix idéologique et non pragmatique qui a porté des fruits amers sur le terrain», conclu le directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri.
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