Soins palliatifs: l’euthanasie «n’est pas une question de notre quotidien»
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
C’est un tournant qui se dessine en France dans le domaine de l’éthique. Le président Emmanuel Macron a annoncé le 13 septembre dernier le lancement d'une large consultation citoyenne sur la fin de vie, dont les conclusions sont attendues en mars 2023. Pour le moment, la législation interdit l'euthanasie et le suicide assisté dans l’Hexagone.
Avant de lancer le débat, le chef de l’État français a attendu l’avis du Comité consultatif national d'éthique, le CCNE, qui s’est montré en rupture avec ses précédentes positions. Il évoque la possibilité de trouver dans certains cas «une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir».
Les débats ressurgissent, dans un contexte où d'autres pays européens, comme la Belgique ou les Pays-Bas, autorisent déjà l'euthanasie de manière très encadrée.
Le docteur Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs à Narbonne, dans le sud de la France, est présidente de la (SFAP), qui fédère plus de 10 000 soignants et 6 000 bénévoles d'accompagnement dans ce domaine. Elle réagit à l’avis du CCNE.
Il me semble que dès le titre de son avis, le CCNE pose bien la question à laquelle on va devoir réfléchir dans les mois qui viennent, en posant d'emblée le dilemme autonomie-solidarité. Jusqu'à présent, on a des lois autour de la question de la fin de vie qui sont clairement du côté de la solidarité: vous comptez pour nous, vous avez du prix pour nous, quoi qu'il en coûte, on va tout faire pour vous soulager parce que vous le valez bien, on ne doit pas s'obstiner, on doit vous soulager, même si ça doit éventuellement raccourcir la vie… Peut-être qu’on vous fera dormir pour vous soulager si on n'a pas d'autres moyens, mais en tout cas, on doit écouter ce que vous avez à nous dire par les directives anticipées et la personne de confiance. C'est donc vraiment un message qui est du côté de la solidarité.
Et le CCNE, dans son avis, propose de réfléchir du côté de l'autonomie, et donc c'est un message collectif complètement différent: c'est vous qui décidez, et nous, collectivement, on se met à votre disposition, mais c'est vous qui décidez. Et je pense que l'impact de ces changements, en particulier sur les personnes les plus fragiles et sur les soignants, est extrêmement important. C’est donc ce débat-là qu'on va devoir avoir tous ensemble dans les mois à venir.
Comment faire pour éviter la confusion et l'idéologie sur ces sujets délicats dans les mois qui viennent?
Il y aura un grand travail de pédagogie à faire pour bien expliquer ce dont il est question, pour séparer peut-être deux sujets différents. Il y a la question des gens qui vont mourir, dont s'occupent les soins palliatifs. Pour ces patients-là, on ne manque pas de loi, on manque de moyens. Mais la loi nous donne absolument tous les outils pour accompagner correctement ces patients et pour pouvoir les soulager. Et puis il y a la question des gens qui veulent mourir, une question sociétale qui, à mon sens et au sens des soignants, n'appelle pas de réponse médicale, mais qui est une autre question - les gens qui veulent avancer ou choisir le moment de leur mort. Mais c'est important de bien séparer les choses, de bien nommer les choses aussi. L'euthanasie, c'est la question de la mort donnée par un soignant. Le suicide assisté, c'est la société qui donne à un patient les moyens de mettre lui-même fin à ses jours. C'est important de bien poser les choses pour que les termes du débat soient clair pour tout le monde.
Vous dites que le fait que des gens veuillent mourir n'attend pas de réponse médicale. Alors de quel type est cette réponse?
C'est intéressant de voir comment d'autres pays ont répondu à ces questions, parce que ces questions-là ne sont pas spécialement françaises. Beaucoup de pays se les posent et choisissent des modes de réponse différents. La France a choisi une voie singulière qui est pour moi une voie qui a beaucoup de sens. Mais d'autres pays, par exemple, comme la Suisse, l'Oregon aux États-Unis ou l'Autriche, ont fait le choix du côté du suicide assisté. En Suisse, il est interdit aux soignants de participer à un suicide assisté qui ne peut pas se faire dans un lieu hospitalier, sauf dans des cas très particuliers. Mais il est interdit aux soignants de participer. C'est pour dire qu'on peut réfléchir de manière différente à ces questions-là.
En France, les soins palliatifs sont développés depuis plus de 20 ans. Or, on constate qu'aujourd'hui, 26 départements n'ont pas de service de soins palliatifs. Pourquoi ces angles morts?
La loi depuis 1999 – donc ça fait longtemps - garantit à tous les patients, partout, un accès aux soins palliatifs. Et cet accès n’est absolument pas effectif, parce qu'il ne suffit pas d'une loi pour que ce soit possible, il faut derrière une volonté politique, et le choix collectif de mettre des moyens pour ça. Peut-être aussi que les mois qui viennent, six mois de débats, vont être l'occasion de se demander collectivement quelles sont nos priorités et ce qui est important pour nous.
Évidemment, on ne sait pas comment va aboutir ce débat. Mais quelles conséquences aurait la légalisation de l'euthanasie sur les soins palliatifs?
On a interrogé les acteurs de soins palliatifs, on leur a demandé comment ils imaginaient les conséquences d'une telle légalisation. De manière absolument massive, ils sont opposés à cette légalisation de l'euthanasie - c’est-à-dire, j'insiste, le geste fait par un soignant. Seulement 4 % des soignants y sont favorables et seulement 2 % des médecins en soins palliatifs. Ils anticipent de manière là aussi tout à fait importante des divisions dans les équipes, des démissions, et a minima, l'utilisation de leur clause de conscience. On peut imaginer par ces réponses qu’en tous cas, cette loi-là, on déstabiliserait de manière très importante le monde des soins palliatifs dans une période où le monde soignant est déjà très mis à mal par le contexte actuel.
Est-ce que les soins palliatifs n'ont pas une mauvaise image, ou est ce qu'il n'y a pas une certaine incompréhension vis-à-vis de la fonction de cette unité? Comment redonner aux soins palliatifs ses lettres de noblesse, en quelque sorte?
Moi, dans ma vie quotidienne, je suis médecin de soins palliatifs et je n'ai pas l'impression qu'on lui ait perdues. Le terme fait peur, mais parce que je crois que ce n'est pas tellement le mot, c'est la question de la mort qui fait peur. Cette confrontation-là reste difficile et là non plus, ce n'est pas la loi qui pourra rendre plus facile la confrontation à la mort. Mais par contre, pour les patients qu'on accompagne et leurs familles, je pense que cet accompagnement donne du sens à cette période difficile. Un Suisse dit que les soins palliatifs, c'est «la paix des survivants» et je trouve qu'il y a quelque chose de très juste. C'est aussi un accompagnement qui permet de continuer à vivre après la mort. Cela n'empêche pas que la mort soit difficile, mais permet à ceux qui restent de continuer à vivre en ayant le sentiment que collectivement, on a fait le maximum pour que ça se passe dans les meilleures conditions.
Et vous, étant donné votre expérience, qu'est-ce que vous percevez auprès des patients? Est-ce que vous vous dites qu’il faudrait vraiment une évolution, ou finalement, ce que l'on propose convient?
Contrairement à ce qu'on imagine beaucoup dans le débat public, la question de l’euthanasie n'est absolument pas une question de notre quotidien. Du tout. La question de la demande de mort arrive parfois, pas fréquemment, mais parfois, et souvent de manière extrêmement ambivalente et fluctuante. C'est-à-dire qu’à un moment, on a envie que ça s'arrête, et puis à un moment on voudrait continuer à vivre, et puis on refait des projets, puis on dit que c'est difficile comme ça… C'est une question plus complexe, et ce n'est pas du tout pour nous une question quotidienne. Donc je ne crois pas que les services de soins palliatifs en général soient dans ce manque au quotidien. En tout cas, ce n'est pas du tout l'expérience que moi je vis.
Donc les médecins et d'autres acteurs doivent avant tout se montrer à l'écoute des patients?
C'est notre travail, comme celui des aumôniers, de tous ceux qui accompagnent, des psychologues, d'écouter ces demandes, d'écouter ce qui se dit, de pouvoir parler de ce qui est difficile, de donner un espace au patient pour parler de ce qui lui fait peur, de ce qu'il craint, de ce qu'il appréhende ou de ce qu'il souhaite. C'est notre responsabilité à tous, qu'on soit médecin, soignants, aumôniers, psychologues ou bénévoles. On est là pour offrir cet espace, puis le patient va choisir avec qui il peut avoir cet échange-là. Mais je crois que c'est notre responsabilité collective. Il y a une différence importante entre écouter ses demandes, parler avec les patients, chercher ensemble comment on peut y répondre et puis faire un geste létal. C'est vraiment deux choses différentes.
Le débat qui s'ouvre va concerner toute une société française. Comment sensibiliser les plus les jeunes générations à ces questions qui vont aussi les concerner, est-ce qu'il faut les tenir à l'écart du débat? Comment leur en parler?
La question de la façon dont on aborde la question de la mort dans notre société est importante. Plus largement, peut être que seulement la question de l'euthanasie. On a créé sur le site de la SFAP une plateforme qui s'appelle «La vie, la mort, on en parle», justement destinée à aider les adultes à parler de la mort avec les enfants. On sait que dans chaque classe, il y a un enfant orphelin. Ça veut dire que les enfants sont confrontés, même si on aimerait les protéger, à cette question-là. Je pense que c'est important de ne pas craindre de parler de ces sujets-là. La mort fait partie de la vie, et ce sont des questions qu'on peut aborder ensemble avec eux. Alors évidemment, on va choisir avec chacun un vocabulaire adapté à l'âge. Mais il me semble que c'est important de ne pas le craindre.
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