Jean des Cars: Elizabeth II, une reine à l’influence diplomatique ciselée
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
«Que Dieu protège la Reine». Tous les regards convergent vers Londres et la monarchie britannique durant ces quatre jours de festivités, du 2 au 5 juin, à la faveur d'un historique Jubilé de platine. À 96 ans, Elizabeth II célèbre ses 70 ans de règne ce jeudi 2 juin. La reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord bat ainsi le record de son arrière-arrière-grand-mère, Victoria, qui avait régné 63 ans, de 1837 à 1901.
La doyenne des têtes couronnées d’aujourd’hui a ainsi été un témoin privilégié des grands bouleversements du monde au XXe siècle. Elle a côtoyé 15 Premiers ministres britanniques, 7 Papes en tant que chef de l’Église anglicane, et eu l’occasion de faire l’équivalent de 42 fois le tour de la terre, selon les calculs du Daily Telegraph.
La fille de George VI demeure aussi attachée aux vestiges de l’Empire britannique, qui se manifestent aujourd’hui par le Commonwealth, dont elle a visité les États à 150 reprises.
³¢â€™&±ð²¹³¦³Ü³Ù±ð;³¦°ù¾±±¹²¹¾±²Ô Jean des Cars, spécialiste de la noblesse européenne et de la monarchie britannique, nous conte les traces laissées par cette Windsor sur la scène internationale ces sept dernières décennies.
Lorsque le 2 juin 1953, Elizabeth II accède au trône, Winston Churchill occupe encore le 10 Downing Street. La reine a connu ses 14 successeurs, l’on imagine que la qualité et la nature des relations n’ont pas été les mêmes avec chacun d’entre eux.
Elle a eu la chance de commencer avec Churchill. Il l’attendait au pied de son avion lorsqu’elle rentrait du Kenya. Il se souvenait d’une jeune princesse qui avait 13 ans en 1939, devenue la princesse héritière. Elle est d’ailleurs le seul chef d’État en fonction à ce jour, qui ait connu la Seconde Guerre mondiale. Quand elle devient reine en 1952 à la mort de son père, Staline est toujours à Moscou. Avec Churchill, elle s’entend à merveille, elle fera pour lui une exception notoire au principe de réserve du Souverain sur son Premier ministre. En 1965, à la mort du Vieux Lion, pour lequel elle a exigé et obtenu des funérailles nationales, elle dira un seul mot: «Il était divertissant».
Avec Margareth Thatcher, les relations furent plus délicates. Thatcher avait tort, elle se prenait pour l’État, elle n’était que le gouvernement. D’autre part, la reine s’est très bien entendue avec des Premiers ministres travaillistes, la question n’était pas une position politique, elle était très sérieuse, travaillait et travaille encore les dossiers préparés par le gouvernement. En vertu des usages constitutionnels qui remonte à la reine Victoria, elle demande des explications si elle ne comprend pas ou n’est pas d’accord. Le souverain britannique peut alerter sur quelque chose qui lui parait peu opportun, erroné ou de mauvais goût. Le contenu des dossiers circule dans les Royal Boxes, ces boîtes de cuir rouge au monogramme du souverain. Depuis plusieurs mois, le prince Charles les reçoit lui aussi.
La reine est à la tête du Commonwealth. Comment s’est-elle distinguée à cette charge?
Le Commonwealth d’aujourd’hui et celui de 1950 n’ont plus le même visage; la décolonisation, les mouvements politiques sont passés par là. Aujourd’hui, il ne représente qu’une quinzaine de pays. Par le passé, il y en avait une quarantaine, avec des anciens dominions comme l’Australie et le Canada dont la Reine est le chef d’État. L’attachement au Commonwealth, à cette communauté d’intérêts qui passe par la langue, l’Histoire, est très ancien. Elle l’a signifié très jeune, à 21 ans, dans un discours au Cap en Afrique du Sud: «Que ma vie soit courte ou longue, je serai toujours au service de la Nation et du Commonwealth». La Reine aimait tenir sa parole. Dans les années 1960, malgré l’opposition du gouvernement travailliste, elle a voulu se rendre au Ghana, l’ancienne Gold Coast, devenu un État marxisant. Elizabeth s'y rendit et tint sa promesse, balayant la question politique. Le gouvernement était stupéfait, cette partie de l’Afrique étant sous l’influence de Moscou.
Plus récemment, c’est une des fautes commises par Meghan lorsqu’il y a deux ans la Reine la charge d’une mission pour aller visiter des États du Commonwealth. Meghan a laissé entendre que cela ne l’intéressait pas, que ça n’était qu’un hochet. Cela a énormément frappé la reine et son entourage.
On dit traditionnellement que le Royaume-Uni est atlantiste. Qu’en a-t-il été de la reine?
Elle a vu passer tellement de présidents américains, mais l’on peut noter qu’après les attentats du 11 septembre 2001, elle a fait jouer par la fanfare de sa Garde quelques notes de l’hymne national américain mêlées au God Save the Queen. La reine ne fait pas de choix, elle est très Européenne, elle l’a montré au moment d’inaugurer le Tunnel sous la Manche avec le président Mitterrand, qui était fasciné par elle. Elle a souffert au moment du Brexit, mais elle ne l’a pas dit. Le lendemain pourtant, elle est arrivée avec un chapeau portant les couleurs de l’Union européenne. Beaucoup de choses ne sont pas dites, mais relèvent du symbole. Elle ne fait pas de politique ouvertement, elle n'en a pas le droit, cela se passe de façon discrète.
Comment s’est opéré le rapprochement entre l’Église d’Angleterre et l’Église de Rome, particulièrement sous Jean-Paul II?
La reine a un très grand respect pour le sacré et le religieux. Elle a demandé à ce que son couronnement soit télévisé, mais qu’on ne voit pas la partie sacrée au moment où elle recevait l’onction. Un grand dais cachait cette partie religieuse de la cérémonie. En tant que chef de l’Église anglicane, elle a pleinement respecté les usages et les rites. Elle n’a jamais assisté aux mariages civils des personnes de la famille royale, c’est très révélateur. Les rapports sinon sont assez subtils, par exemple avec l’Église d’Ecosse, où le catholicisme est plus présent. C’est pour cela qu’elle n’avait pu porter les joyaux de l’Écosse, elle les avait devant elle. C’est la reine de l’image et des messages subliminaux. Concernant le Vatican, elle a fait déplacer la date de mariage de Charles et Camilla pour respecter le deuil de l’Église catholique à la mort de Jean-Paul II. Elle avait demandé un office en la cathédrale Saint-Paul à la mémoire du Saint-Père polonais.
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