Face ¨¤ la guerre, les artistes ukrainiens luttent pour exister
Entretien réalisé par Delphine Allaire ¨C Cité du Vatican
Pilonnée par les bombes, l'Ukraine tente par tous les moyens de protéger son patrimoine culturel, par le biais des artistes demeurés sur place, ou ceux installés à l¡¯étranger¡ Certaines fondations essaiment un peu partout, en Europe occidentale notamment. a été lancée en urgence par les galeristes Cornélia Schmidmayr et Yvanna Bogdanova-Bertrand, installées à Berlin et à Kiev. Le fonds de dotation est basé en France et collecte depuis le 17 mars les dons destinés à la protection des artistes et du patrimoine culturel ukrainiens.
Dans quel état d¡¯esprit se trouvent aujourd¡¯hui les artistes ukrainiens?
Comme les artistes sont engagés, ils n¡¯ont pas voulu quitter l¡¯Ukraine durant de nombreuses semaines. Très peu sont partis. Ceux qui ont pris le relais pour dénoncer la guerre étaient déjà installés à l¡¯étranger, ou faisaient partie du petit nombre ayant quitté le pays. Progressivement, ils commencent à vouloir partir car ils aspirent à de bonnes conditions de travail. À l¡¯ouest de l¡¯Ukraine, les conditions sont peu ou prou encore acceptables, bien qu¡¯il faille s¡¯habituer à vivre sous les sirènes deux à trois fois par jour.
Les artistes ukrainiens craignent la disparition de leur patrimoine. Il s¡¯agit d¡¯une lutte de plusieurs décennies, une lutte que les générations précédentes ont mené pour l¡¯existence de leur culture, de leur langue, qu¡¯ils sentent aujourd¡¯hui encore plus en danger. C¡¯est un combat de longue date.
Comment les artistes ukrainiens réagissent-ils face à la peur de la perte d¡¯identité?
Certains disent qu¡¯ils ne parviennent plus à créer, mais cela reste une minorité. Même ceux qui avaient dit au début de la guerre qu¡¯ils étaient anéantis, qu¡¯ils n¡¯arriveraient à plus rien faire, se sont mis au travail pour dénoncer les crimes commis, et ont commencé à se former en réseau pour réaliser des projets artistiques. L¡¯on parle par exemple beaucoup de NFT en ce moment (ndlr, non-fungible token, jeton non fongible, soit un fichier numérique relatif à une ?uvre unique, une ?uvre numérique), il y a tout un travail pour demeurer visible à l¡¯international.
En effet, très concrètement, les circuits de logistique sont coupés. Sortir les ?uvres d¡¯Ukraine s'apparente à un travail de fourmi. L'enjeu est de sauvegarder le patrimoine. Nous y arrivons, mais comme il n¡¯y a plus de sociétés de transport, ni d¡¯assurances, il faut sortir les ?uvres grâce aux réseaux de chacun ou à la coopération avec des particuliers sur le terrain, qui ont des voitures, des chauffeurs. À leur risques et périls.
Que provoque la guerre dans la création ukrainienne: un retour aux racines ou une projection dans la modernité?
L¡¯art ukrainien s¡¯est toujours nourri et inspiré des traditions, des arts anciens. Maintenant, la création est axée sur la dénonciation de la guerre. Mon espoir est que les artistes retrouvent à l¡¯avenir cet esprit positif, d¡¯innovation, développé ces trente dernières années depuis l¡¯indépendance de l¡¯Ukraine.
Qu¡¯en est-il de la préservation du très riche patrimoine religieux ukrainien?
D¡¯une manière générale, le patrimoine artistique est en danger. Le patrimoine religieux aussi. Des monastères ont déjà été détruits dans l¡¯est de l¡¯Ukraine. Nous essayons d¡¯être en lien avec des musées européens pour protéger les grandes collections d¡¯art religieux, des icônes. Non pas pour transporter les ?uvres, mais les accueillir en Europe occidentale.
Comment soutenir aujourd¡¯hui l¡¯art ukrainien en Europe?
Nous parlons de personnes, d¡¯artistes. Toutes les initiatives pour les accueillir sont excellentes. Les conditions d¡¯accueil sont à améliorer, surtout passé le délai de trois mois de résidence. Nous voyons arriver des artistes venus d¡¯un pays en guerre, avec leurs familles ou leur animal de compagnie. Que se passe-t-il après ces trois mois? Il faut offrir un paquet global, pas seulement une résidence, mais un accompagnement après. Ensuite, pour sauver l¡¯art ukrainien, il faut se rapprocher des grandes institutions qui y travaillent, pour collaborer avec les acteurs locaux, seuls experts.
Que pensez-vous du boycott de certaines grandes ?uvres russes du passé, est-ce pertinent?
C¡¯est une question complexe à laquelle nous avons beaucoup réfléchi à la fondation. Il faut comprendre et respecter la radicalité des Ukrainiens, qui vivent des événements que l¡¯on pensait impensable au XXIe siècle. Cependant, en tant que fondation, nous nous sommes exprimés contre le boycott culturel en général, car il n¡¯apporte pas la paix.
S¡¯il devait y en avoir un, quel serait le dénominateur commun à toutes les formes de l¡¯art ukrainien?
Étant donné que l¡¯art ukrainien a été interdit pendant des siècles, si l¡¯on pense que la langue ukrainienne a été interdite quarante fois par décret d¡¯un tsar russe, nous comprenons que les Ukrainiens s¡¯inscrivent dans un combat de longue durée. Pour l¡¯existence de leur culture et de leur art. C¡¯est un esprit de lutte pour «tout simplement» exister. En Ukraine, chaque génération d¡¯artistes a vécu des crises, des guerres, des révoltes, des famines, des révolutions. Ces événements ont influencé l¡¯art et la culture.
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