?L¡¯Europe de la d¨¦fense? est-elle une chim¨¨re ?
Qu¡¯il s¡¯agisse de la défaite des occidentaux et leur départ en ordre dispersé de Kaboul, ou de la relative indifférence des alliés européens de Paris dans le dossier des sous-marins à destination de l¡¯Australie, l¡¯Europe semble peiner à trouver sa place face aux deux superpuissances que sont les États-Unis et la Chine. Comment expliquer ces difficultés ? À quoi peut correspondre concrètement une Europe de la défense ? L¡¯éclairage d¡¯Arnaud Danjean, député européen, spécialiste des questions de défense et stratégie.
On a le sentiment que lorsqu¡¯éclate une grande crise internationale, l¡¯Europe est aux abonnés absents en matière de défense, ou à la traîne derrière les autres puissances comment l¡¯expliquez-vous?
C¡¯est le cas que l¡¯on fait depuis plusieurs années, à chaque fois on a un «wake-up call», un appel à se réveiller, on l¡¯a vu avec l¡¯Ukraine, avec la Syrie, avec Kaboul récemment aussi, comme avec beaucoup de sorties intempestives de Donald Trump. A chaque fois les Européens sont en ordre dispersés et redécouvrent qu¡¯il serait peut-être utile d¡¯avoir une approche commune pour faire face aux imprévisibilités des crises internationales. On a du mal à avancer mais il faut être parfaitement conscient que l¡¯Europe c¡¯est 27 États, avec des préoccupations et des priorités très différentes dès lors que l¡¯on parle de politique internationale et des capacités très différentes d¡¯appréhender cette actualité. Vous ne pouvez pas demander à un pays comme la Lituanie, naturellement obsédée par ce qui se passe à l¡¯Est de chez elle d¡¯avoir la même perception de l¡¯ordre international que le Portugal, la France ou la Grèce. Voilà cette hétérogénéité européenne qui peut se révéler un handicap.
«L¡¯Europe de la défense» est devenu un serpent de mer, voire un slogan régulièrement brandi, c¡¯est un slogan vide, beaucoup d¡¯incantations ?
Il y a effectivement une disproportion entre les ambitions et l¡¯incantation, et ce que l¡¯on est en mesure de faire. Il ne faut néanmoins pas tout jeter, on ne part pas de zéro. L¡¯Europe de la défense s¡¯incarne aujourd¡¯hui dans des missions et des opérations qui sont conduites en Afrique, dans les Balkans, un peu au Moyen-Orient et qui sont des missions qui marchent plutôt bien. Je vais régulièrement sur ces théâtres d¡¯opération voir des soldats de nombreuses nationalités qui font un travail remarquable et très professionnel sous la bannière de l¡¯Union Européenne. C¡¯est le cas par exemple en Somalie, au Mali ou en Centrafrique. Ces missions cependant sont des missions de très basse intensité et nous avons du mal à franchir des étapes. Dès lors qu¡¯une réponse un peu plus robuste est demandée, comme cela a été le cas à Kaboul, on voit bien que l¡¯on peine à fédérer les énergies européennes. Cela tient à vraie dire à une raison assez simple, qui est que nos systèmes de décision politico-militaires en Europe sont très hétérogènes. L¡¯illustration la plus éclatante, c¡¯est le couple France-Allemagne. Les règles d¡¯engagement françaises c¡¯est un président de la République qui décide de l¡¯engagement des forces armées et qui peut le faire très rapidement, tandis qu¡¯en Allemagne vous êtes obligé de passer par un débat parlementaire qui est forcément plus long. Naturellement cela crée des différences qui sont difficilement surmontables.
Quelles sont aujourd¡¯hui les capacités réelles sur le terrain des forces européennes ?
C¡¯est un autre dossier, j¡¯ai parlé des missions où l¡¯on arrive à déployer des soldats ensemble sur différents terrains, qui est la caractéristique ultime d¡¯une défense commune, mais l¡¯autre point important ce sont les capacités militaires, c¡¯est-à-dire l¡¯industrie, et là aussi on progresse. Certains programmes se font en coopération. Il y a aussi cette nouveauté qui est de l¡¯argent européen collectif qui peut être investi dans la recherche en matière de défense, à savoir 8 milliards d¡¯euros pour les 7 prochaines années. C¡¯est un début encourageant même s¡¯il ne faut pas non plus croire que cela va nous permettre de jouer dans la cour des grands. Ces 8 milliards rappelons-le se heurtent à des réalités démesurées aux Etats-Unis en Chine ou même en Russie, sans parler de certains États-nations comme la France où le budget de défense est de 40 milliards par an. Mais les bases sont là et le socle institutionnel, opérationnel et capacitaire est quand-même important, reste à bâtir pas à pas sur ce socle.
Ce socle justement, comment est-il partagé chez vos confrères eurodéputés ? Les nations représentées incarnent-elles autant de visions différentes ?
De manière générale les positions sont assez classiques et évoluent quand-même très peu, en dépit de tous les évènements dont nous avons parlé. Vous avez quand-même une majorité d¡¯États européens qui considèrent aujourd¡¯hui que leur assurance-vie sur le plan de la sécurité et de la défense reste l¡¯Alliance Atlantique et les Etats-Unis et ce en dépit des signaux envoyés par eux sur un moindre intérêt vis-à-vis de l¡¯Europe. Par conséquent les propositions pour acquérir une certaine autonomie européenne sont accueillies avec un certain scepticisme. Si de nombreux pays européens sont d¡¯accord sur l¡¯idée d¡¯agir de manière plus coordonnée si le besoin s¡¯en fait sentir, les mêmes sont beaucoup moins convaincus que l¡¯Europe peut assurer seule la défense de son propre continent. C¡¯est là sans doute le principal clivage au sein de l¡¯Europe et les principales difficultés auxquelles se heurtent les ambitions françaises notamment, celles d¡¯inviter à prendre notre destin en main pour bâtir une autonomie stratégique, une Europe de la défense.
Que faut-il faire pour bâtir cette autonomie stratégique ?
Sans doute parler moins et agir plus! À chaque fois que l¡¯on remet sur la table les grandes questions stratégiques, on se heurte à des débats sémantiques qui n¡¯en finissent pas. Je pense qu¡¯il faut des actions concrètes, sans doute de portée plus limitée, mais avec des coopérations-clés sur des technologies d¡¯avenir ou des capacités qui manquent encore aux européens aujourd¡¯hui et sur lesquels nous sommes totalement dépendants. Je pense par exemple aux drones, aux technologies satellitaires, au renseignement, à la cyber sécurité, des dossiers sur lesquels nous sommes encore trop dépendants de puissances extérieures. Ce sont des programmes industriels à lancer avec beaucoup de volontarisme, peut-être d¡¯abord à quelques pays avant que d¡¯autres nous rejoignent. Je pense qu¡¯il nous manque aussi cette flexibilité institutionnelle, se regarder en face en se disant que seulement quelques pays veulent ou peuvent. Après tout, les grandes réalisations que sont l¡¯Union monétaire ou Schengen se sont faites avant tout avec les pays membres les plus volontaires et plus capable au départ. Et je pense que pour la défense, c¡¯est aussi la façon d¡¯avancer.
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