蜜桃交友

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani 鈥� Cité du Vatican

L鈥檃ttentat commis le 29 octobre dernier en la Basilique Notre-Dame de l鈥橝ssomption à Nice, coûtant la vie à trois personnes, a orienté les regards vers la France bien sûr, mais aussi vers la Tunisie, pays d鈥檕rigine du terroriste.  

C鈥檈st là-bas qu鈥檈n 2010 émerge le mouvement dit du 鈥淧rintemps arabe鈥�, qui se propage ensuite en de nombreux pays voisins, ainsi qu鈥檃u Moyen et au Proche-Orient. Ces contestations populaires multiformes ont débouché sur une chute du régime, des réformes, ou sur une guerre civile, comme en Syrie. En Tunisie, la démocratie survit après la chute du président Ben Ali, mais une décennie plus tard, le pays s鈥檈nfonce dans la crise économique, avec des conséquences sociales désastreuses, notamment au sein d鈥檜ne jeunesse dés艙uvrée.  

Sur le plan inter-religieux en revanche, la société tunisienne, réputée ouverte et tolérante, continue de vivre en harmonie. L鈥橧slam est majoritaire, mais la Constitution de 2014 exige de l'État qu'il garantisse la liberté de croyance et de conscience, et le libre exercice du culte. Dans ce contexte, environ 6000 élèves musulmans fréquentent les écoles catholiques, dans lesquelles travaillent environ 630 enseignants et personnel d鈥檈ncadrement, ainsi qu鈥檜ne cinquantaine de religieux et religieuses. La religion musulmane y est enseignée, mais sans mettre de côté les valeurs évangéliques ni la valorisation de cultures différentes.

Le père Jawad Alamat est curé de Carthage, secrétaire général des écoles catholiques de Tunisie, et directeur du département de l鈥檈nseignement à l鈥檃rchevêché de Tunis. Ce prêtre d鈥檕rigine jordanienne témoigne d鈥檃bord de la réaction suscitée par la tragédie survenue à Nice. 

«On est vraiment très tristes. En tant que croyants, on est vraiment sidérés par ce qui s鈥檈st passé. On a l鈥檌mpression qu鈥檕n n鈥檃rrive pas à s鈥檈n sortir, alors qu鈥檌l y a tellement de signes d鈥檈spérance, tellement de signes d鈥檃mitié, de communion que l鈥檕n vit avec plein de gens. Voilà un évènement qui nous casse. Le deuxième sentiment, c鈥檈st l鈥�étonnement. L鈥檌slam en Tunisie, dans sa tradition, est un islam très équilibré. Il y a plusieurs islam, bien sûr鈥� L鈥�école de Zitouna, en Tunisie, est parmi les plus équilibrées, celles qui par exemple, poussent à l鈥檈xégèse, c鈥檈st-à-dire à la contextualisation des textes. Alors voilà, c鈥檈st la tristesse et l鈥�étonnement.

L鈥檃ssaillant était d鈥檕rigine tunisienne, comment expliquer la radicalisation de certains jeunes en Tunisie?

Cette population, comme je le disais, a surtout une tradition d鈥檕uverture. Ce n鈥檈st pas un pays de terroristes, c鈥檈st un pays de tourisme, avec en plus une profondeur culturelle. Je ne peux pas donner ni justification ni raison claire et nette, mais il y a certainement quelque chose qui ne vient pas de l鈥檌ntérieur de la Tunisie, et qui a rendu nos jeunes Tunisiens moins fidèles à leurs traditions.

Mais au sein de la société tunisienne, quelle place occupe la jeunesse, notamment depuis le départ de l鈥檃ncien président Ben Ali?

Les jeunes sont désemparés, ils sont comme des brebis sans berger. Pourquoi? Il y a une crise économique très profonde, et par conséquent un problème social; il y a aussi une instabilité politique qui ne donne pas la possibilité à ces jeunes de rêver d鈥檜ne manière réaliste. Ils n鈥檕nt pas d鈥檋orizon. Il y a donc des gens qui réagissent par la dépression, par l鈥檃lcool. Il y a des jeunes qui réagissent par la violence, et aussi par cette radicalisation proposée par des gens qui sont mauvais et veulent les manipuler.

Comment est perçue l鈥�Église catholique dans le pays?

En général, en Tunisie, l鈥�Église est là! Il n鈥檡 a eu aucune attaque d鈥�Église, aucun religieux n鈥檃 été attaqué, aucun de nos paroissiens鈥� Donc c鈥檈st cela qui nous fait mal. Ici en Tunisie, nous sommes une petite minorité 鈥� moins d鈥�1% - et nous avons des églises qui sont visibles. Plein de jeunes passent dans nos églises pour voir l鈥檃rchitecture, pour poser des questions, ou par simple curiosité, ou ils passent avec des amis ou leur copine pour avoir un lieu romantique où lui dire 鈥渏e t鈥檃ime鈥�! Tout cela pour vous dire que l鈥�Église est là, elle est présente au milieu de cette population.

Père Jawad, vous êtes donc secrétaire général des écoles catholiques en Tunisie. Ce sont des écoles qui accueillent des élèves musulmans. Comment se passe l鈥檈nseignement de la religion et l鈥�éducation à la dimension inter-religieuse?

Dans ces écoles-là, nous avons des cours de religion. Dans nos écoles catholiques, comme ce sont tous des musulmans et que nous suivons l鈥�éducation nationale tunisienne, nous enseignons la religion musulmane. Bien sûr d鈥檜ne manière spirituelle, d鈥檜ne manière ouverte, d鈥檜ne manière équilibrée, et en étant fidèle à la tradition de l鈥�école de Zitouna, qui est l鈥�école théologique de la Tunisie, très connue en Afrique du Nord, et même dans le monde arabe. De génération en génération, les Tunisiens ont mis leur confiance dans l鈥�Église, et ils sont fiers d鈥�étudier chez les pères et chez les s艙urs. Je donne un exemple: pour Noël, les s艙urs reçoivent des cartes 鈥淛oyeux Noël鈥�; il y a le jour des habits traditionnels - dans nos écoles catholiques, tous les enfants viennent avec l鈥檋abit traditionnel de leur pays, il y a donc une valorisation de leur culture, de leur histoire. Il y a aussi une proposition éducative très en harmonie avec le message évangélique, où il y a l鈥檃mour du prochain, la solidarité, le respect de l鈥檃utre.

Nous avons cette chance 鈥� et eux aussi ont cette chance 鈥� de pouvoir être éduqués par des gens 鈥渄ifférents鈥� mais avec lesquels nous pouvons vivre une harmonie humaine, une harmonie de valeurs. Voilà notre petite contribution, mais qui avec le temps, comme une goutte, a fait qu鈥檌l y a plein de gens très ouverts, très reconnaissants, amis de l鈥�Église et des religieux et religieuses qui les ont éduqués.

Au-delà de l鈥�école, comment assurer une certaine continuité, un approfondissement dans la transmission de ces valeurs?

Il y a des activités, une relation, une collaboration avec la société civile tunisienne. Et quand par exemple, une association s鈥檕ccupant de l鈥�éducation à la paix reçoit un appel d鈥檜ne s艙ur qui dit «nous avons besoin de vous, de votre expérience, avec la nôtre», alors finalement notre mission éducative ne reste pas au sein-même de l鈥�école, mais elle dépasse, elle déborde, elle entre en contact avec la réalité de la société civile, des familles, et finalement du pays. Je pense qu鈥檌l est important que ce que nous vivons, ce que nous proposons, devienne aussi une réalité à l鈥檈xtérieur, et avec discrétion aussi.

Je pense qu鈥檌l faudrait simplement dans nos réalités, spécialement de la part de ceux qui sont croyants, avoir une parole qui construise, une parole sage, une parole qui essaie de gagner le plus de monde possible pour le règne de Dieu.

Quel regard posez-vous sur la coexistence entre les religions et entre les différentes cultures en France?

Je crois que 鈥� et c鈥檈st l鈥橭riental qui parle 鈥� la question religieuse doit faire partie d鈥檜n débat public. La question religieuse ne peut pas être étouffée simplement dans le cercle privé. Si les catholiques 鈥� ou si le christianisme 鈥� a fait un cheminement de séparation, si le christianisme a fait une évolution dans l鈥橦istoire, a fait des expériences 鈥� pas toujours faciles, mais à la fin il est arrivé à une certaine maturité pour pouvoir faire la part des choses, et encore! On a encore du chemin à faire鈥�

Je ne peux pas prétendre que tout le monde ait fait le même cheminement. Premièrement. Deuxièmement, le concept de la séparation et le concept de "deux sphères" ne sont pas forcément concevables dans d鈥檃utres religions. Pour un pays comme la France qui devient de plus en plus "international", lorsqu鈥檕n a plusieurs cultures, plusieurs religions, on ne peut pas étouffer tout cela. Il faut simplement valoriser et surtout canaliser pour que tout puisse être exprimé d鈥檜ne manière harmonieuse et respectueuse. La liberté est sacrée, c鈥檈st un don de Dieu, ça c鈥檈st clair. Mais il y a aussi une liberté responsable, qui prend compte de la réalité. Voilà, c鈥檈st le regard que je porte. Mais cela ne justifie nullement ni violence, ni atteinte à la vie des gens. Simplement, il faudrait peut-être que l鈥檕n puisse faire attention les uns aux autres.»