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Alvaro Uribe à Bogota, lors d'une conférence de presse, le 8 octobre 2019 Alvaro Uribe à Bogota, lors d'une conférence de presse, le 8 octobre 2019 

Uribe face à la justice: un tournant politique et judiciaire pour le pays ?

Alvaro Uribe, président de la Colombie de 2002 à 2010, est rattrapé par la justice de son pays, étant assigné à résidence depuis le 4 août dernier dans le cadre d’une enquête pour subordination de témoins. Une étape importante pour la pacification du pays, mais qui ne sera pas suffisante, estime Olivier Compagnon, professeur d’histoire contemporaine à l’Institut des Hautes Études d’Amérique Latine.

Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

La violence ne cesse de déchirer la Colombie. Des groupes armés financés par le trafic de drogue ont fait 33 morts en onze jours dans différentes régions du pays. Ce bilan, annoncé samedi 22 août par les autorités, est l’un des bilans les plus lourds depuis la signature de l'accord de paix de 2016, sous la présidence de Juan Manuel Santos.

Face à cette recrudescence, la guérilla de l'Armée nationale de libération (ELN), dans un entretien accordé à l’AFP, a récemment accusé les groupes paramilitaires, qui réagiraient selon elle à l'arrestation récente d’Alvaro Uribe. De son côté, l’ONU estime que des groupes de délinquants seraient responsables de 78% des meurtres comptabilisés depuis le début de l’année, qui surviennent dans des territoires où dominent l'économie souterraine, la pauvreté et «une présence de l'État limitée».

Un contexte qui montre l’emprise persistante des groupes armés sur le sol colombien. Mais au niveau politique, les lignes commencent à bouger.

Vers la chute de l’influent «président éternel»?

Le 4 août dernier, l’ancien président Uribe, a été assigné à résidence par la Cour suprême, qui devra décider de le juger ou non pour manipulation présumée de témoins contre le sénateur de gauche Ivan Cepeda. Il risque huit années de prison. C’est la première fois qu’un ancien président colombien est placé en détention provisoire, et son procès divise le pays.

Le «président éternel», homme fort de la Colombie durant huit ans, reste populaire pour sa politique intransigeante envers la guérilla des FARC. Mais une large partie de la population le rejette pour de multiples scandales de corruption et de violations des droits humains, et ses liens avec les paramilitaires. Le 18 août, Alvaro Uribe a démissionné de son poste de sénateur, qu’il occupait depuis 2014. Certains y voient un tour de passe-passe par lequel il semble vouloir échapper aux poursuites.

Pour Olivier Compagnon, professeur d’histoire contemporaine à l’Institut des Hautes Études d’Amérique Latine, l’assignation à résidence de l’ex-président représente une «étape symboliquement très importante dans ce qu’on appelle la “sortie de conflit”», et signe la fin de l’impunité du chef d’État. Des «interférences» politiques pourraient toutefois entraver le libre déroulement du procès, car le soutien de l’actuel président Ivan Duque est «absolument total à Uribe». Une grande partie de la population continue elle aussi «de voir en Uribe celui qui a permis la pacification, du moins partielle, du pays, après les années noires de la guérilla, du narcotrafic et de la lutte entre l’État et les guérilleros».

Les accords de paix de 2016, un faux espoir

Mais l’éradication durable de la violence est encore un horizon lointain, et cela malgré les accords de paix signés en 2016. «Il ne s’est strictement rien passé depuis 4 ans», résume Olivier Compagnon. «Il serait bien naïf de penser que depuis 2016, la Colombie est entrée dans une phase de paix absolument idyllique, poursuit-il. La donne a changé, les FARC, pour l’essentiel, ont renoncé à la guérilla, mais le contexte, notamment dans les milieux ruraux, reste extrêmement violent politiquement. Aujourd’hui, on ne peut pas se satisfaire de ces accords de paix et considérer que cela a été un immense succès», explique l’enseignant, même s’il s’est tout de même agi d’une «étape importante».

Olivier Compagnon estime que l’on ne «construira pas une société pacifiée en Colombie si un certain nombre de responsables de l’État et si les paramilitaires ne passent pas également en justice pour rendre compte des crimes qu’ils ont commis». Le rôle de la justice est essentiel, tout comme celui du pouvoir politique, afin d’apporter des réponses «aux inégalités sociales qui sont à l’origine de cette histoire colombienne si particulière et si marquée par la violence politique et par les guérillas».

Analyse d'Olivier Compagnon

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24 août 2020, 09:43