En Syrie, le sentiment d’abandon éprouvé par la population
Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican
Le seuil de pauvreté a largement été dépassé en Syrie, une grande partie de la population est soit «réfugiée», soit «déplacée interne». Les infrastructures du secteur public sont détruites, le chômage est énorme, il y a une mobilisation générale donc très peu d’hommes dans la société civile. Par ailleurs, le pays est sous blocus et restrictions. Le Liban, par où transitaient donc les personnes et l’argent, s’est effondré économiquement, fragilisant davantage les Syriens.
Selon Vincent Gelot, chargé de projets pour la Syrie à l’, le confinement a donc finalement été presque «moins difficile» que tout ce qu’il s’est passé auparavant dans le pays. Il décrypte ces réalités quotidiennes éprouvées par la population.
Vincent Gelot: Deux éléments fragilisent davantage la situation: bien sûr la Covid-19 et le couvre-feu qu’elle a entraîné en Syrie, et le plan César qui renforce les restrictions sur la Syrie par les États-Unis, et vient encore plus mettre à genoux la population civile, première à en souffrir.
Le problème est l’absence de grand «plan Marshall» de reconstruction pour raisons politiques: pas de reconstruction venue d’Occident, et les alliés du régime syrien, Iran et Russie, n’ont ni la volonté, ni les moyens financiers, de reconstruire. Donc les villes qui ont connu la guerre telles que Homs, Alep, Raqqa ou Deir ez-Zor, sont toujours détruites.
Par ailleurs, la Syrie étant sous blocus et sous restrictions, le Liban représentait l’une de ses bouffées d’air. Par-là transitaient les personnes, l’économie, l’argent. Or, depuis le gel des banques libanaises en octobre dernier, ce canal a été interrompu, ce qui a énormément fragilisé les Syriens.
Quel état d’esprit prévaut au sein de la population, vers qui peut-elle se tourner pour de l’aide?
Les Syriens ont peu d’illusions. Voilà dix ans que le pays est en guerre. Ils ont eu le sentiment d’être abandonnés dans cette guerre par l’Occident, car assez peu d’aide est arrivée. Et puis, leurs propres dirigeants n’ont pas les moyens de reconstruire. La situation est donc même pire qu’au plus dur moment de la guerre lors des bombardements. Car à ce moment-là, les gens étaient en effet dans une logique de survie, les empêchant de se projeter dans l’avenir. Ce qui importait était que leurs enfants rentrent en vie de l’école. Aujourd’hui, il n’y a plus de bombardements dans la plupart des zones, mais le champ de ruines reste le même depuis plusieurs années, et les gens ne voient pas comment ce nÅ“ud politique peut être réglé.
Comment dans ce contexte l’Église accompagne-t-elle les Syriens?
Face à l’effondrement des structures du pays, hôpitaux, écoles, l’Église a pallié à ce manque. Elle a joué un rôle énorme sur le plan humanitaire pendant cette guerre: sacs de nourriture, médicaments, dispensaires, accueil de déplacés. Elle fait un travail énorme pour la reconstruction matérielle, mais aussi pour celle des cÅ“urs et des esprits, la réconciliation. Un terrain difficile car c’est une guerre interne, fratricide. C’est un travail de longue haleine pour lequel les moyens manquent, il est vrai. L’action de l’Église est une goutte d’eau au regard des besoins existants, notamment ceux des chrétiens dont le nombre a été divisé par trois pendant la guerre.
Quelle lueur d’espoir subsiste?
Sans noircir complètement le tableau, il y a quand même des personnes qui se sont révélées, notamment chez les jeunes et particulièrement les jeunes femmes. Il faut savoir que dans la société civile syrienne, il y a aujourd’hui environ un homme pour quinze femmes, car tous les hommes sont soit réfugiés, soit à la guerre, donc les femmes ont un rôle à jouer dans la reconstruction. Elles sont très actives dans le tissu humanitaire, associatif. Il y a donc bien ce souffle, cette jeunesse, mais c’est une flamme qui est difficile à maintenir, année après année.
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