Soudan : la transition menacée par la crise économique
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
Dire que les vents sont contraires pour le gouvernement soudanais de transition serait un euphémisme. La liste des problèmes s’allonge et les ressources manquent pour les résoudre. Il y a d’abord la crise économique. Le Soudan a connu en 2019 une récession de 2,5 % et le Fonds monétaire international prévoit une baisse de l’activité économique de 8 % cette année. Les prix ne cessent d’augmenter, ce qui provoque le mécontentement d’une population «à bout de souffle» explique Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS à l’université de Tours.
Après un an de transition, «elle est épuisée, elle commence à douter» précise le chercheur qui détaille : «elle est affamée, elle n’est pas en mesure de lutter contre la covid-19, elle est en proie à toutes sortes de pénuries : d’essence, de pain, d’électricité, d’eau courante». Pour ne parler que de la population urbaine, la situation dans les campagnes étant différente, les habitants réussissant à survivre grâce à leurs lopins de terre et leurs quelques bêtes, dans des conditions matérielles très précaires.
Dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure
Conscients de la situation, une quarantaine de pays réunis à Berlin le 25 juin dernier sous l’égide des Nations unies et de l’Union européenne, ont promis de donner 1,8 milliards de dollars - dont 500 millions affectés à un programme d’aide aux familles soudanaises les plus précaires - au gouvernement de transition pour qu’il puisse surmonter la crise avant de négocier un prêt avec le Fonds monétaire international. Mais, si «la somme n’est pas négligeable pour remettre le pays à flot», juge le chercheur, ce sera bien insuffisant au regard de sa dette extérieure qui s’élève à 70 milliards de dollars, soit 190 % de son PIB.
Le gouvernement fait face en outre à un manque cruel de ressources financières. Deuxième producteur d’or d’Afrique, le Soudan ne retire aucun bénéfice de l’exploitation de ce minerai qui lui serait pourtant d’une grande aide pour établir un budget et pour attirer les investissements ou emprunter. «C’est la caution dont le pays a besoin» estime le spécialiste du Soudan.
L’armée incontournable
Les problèmes du gouvernement ne s’arrêtent pas là. Il doit composer avec un acteur majeur de la vie politique et économique du pays depuis plus de trente ans : l’armée qui n’a pas hésité à déposer Omar el Béchir pour mieux préserver ses intérêts. Elle «continue de contrôler le pouvoir effectif, elle est un prédateur pour l’économie et pour la société», absorbant jusqu’à 80 % du budget de l’État il y a un an encore, note Marc Lavergne. À ce pouvoir tutélaire, il faut ajouter celui des milices souvent plus puissantes que l’armée elle-même.
Autre difficulté pour les autorités de transition : leur faiblesse. «C’est un gouvernement de bonne volonté, de forces issues de la société civile, de professionnels» explique le membre du CNRS. Des dissensions existent en son sein, avec des projets politiques différents qui vont des islamistes aux communistes, chacun cherchant ses marques avant que la transition ne prenne fin et que le pouvoir ne soit remis entre les mains de dirigeants exclusivement civils.
Un contexte extérieur qui n’aide pas
Comme si les difficultés internes ne suffisaient pas, s’ajoute un contexte extérieur difficile qui complique l’arrivée d’une aide internationale. Certes, il y a cette somme promise le 25 juin, mais les Européens ont actuellement d’autres priorités. Idem pour les partenaires habituels du Soudan : les pays du Golfe, la Chine, actrice majeure de la scène économique locale. La crise économique provoquée par la pandémie de covid-19 n’arrange rien. Autre source de préoccupation : la Libye, dont le Soudan est frontalier, l’Egypte, prompte à s’immiscer dans les affaires de son voisin, l’Ethiopie dont le projet de barrage sur le Nil inquiète les Soudanais.
Le Soudan pourrait toutefois tirer avantage de la rivalité entre la Chine et les États-Unis, les deux grandes puissances cherchant à affirmer leur présence sur place. Ce jeu sur deux tableaux est complexe et n’est pas sûr. Les rapports entre Khartoum et Washington sont en effet encore marqués par le soutien passé du pays au terrorisme anti-américain. Mais le gouvernement de transition semble prêt à tourner plus d’une page.
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