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Une place Saint-Marc quasi vide ¨¤ Venise, le 9 mars 2020 Une place Saint-Marc quasi vide ¨¤ Venise, le 9 mars 2020 

Coronavirus: ne pas c¨¦der ¨¤ la peur g¨¦n¨¦rale qui peut devenir ?peur de l¡¯autre?

Devant la propagation rapide du Covid-19, le dioc¨¨se de Rome invite, ce mercredi 11 mars 2020, ¨¤ une journ¨¦e de pri¨¨re et de je?ne pour l¡¯Italie et le monde. Comment, comme chr¨¦tiens, vivre ce temps d¡¯¨¦preuve? Cette crise in¨¦dite peut-elle d¨¦boucher sur quelque chose de positif? Le regard du philosophe Martin Steffens.

Entretien réalisé par Manuella Affejee - Cité du Vatican

L¡¯épidémie de coronavirus continue de se propager, contraignant les autorités des pays les plus touchés à adopter des mesures drastiques ¨Cmise en quarantaine de régions entières, confinement des particuliers, fermeture d¡¯écoles, d¡¯universités, de certains lieux publics, annulation d¡¯événements- afin de la contenir le mieux possible. D¡¯autres États ont tout simplement fermé leur territoire aux passagers en provenance de pays infectés ¨Ccomme la France, l¡¯Italie ou l¡¯Iran.

Cette situation sans précédent dans l¡¯Histoire récente n¡¯est pas sans avoir suscité un vent de panique parmi les populations, conduisant parfois à des comportements irrationnels.

Nous avons recueilli l¡¯analyse du philosophe français Martin Steffens.

Entretien avec Martin Steffens

De quoi cette angoisse généralisée est-elle le signe, selon vous?

C¡¯est un signal: on a peur parce qu¡¯on est des êtres vivants et que l¡¯être vivant se caractérise, comme l¡¯affirmait Hans Jonas (historien et philosophe allemand (1903-1993, ndlr), par le fait de «dire oui à la vie et non à la mort». Quand la mort approche, il y a un signal, très sain d¡¯ailleurs, qu¡¯on nomme la peur et qui nous prend.

Ce qui est intéressant dans cette épidémie-là c¡¯est qu¡¯on peut avoir l¡¯impression qu¡¯on en fait un peu trop. Elle est très contagieuse certes, mais il y a finalement assez peu de morts, bien moins que la grippe. Mais lorsqu¡¯on l¡¯envisage, cela révèle en nous non seulement des ressorts qui relèvent de l¡¯instinct vital ¨C la peur-, mais aussi des ressorts très enfouis d¡¯un «sacré archaïque». Archaïque et en même temps laïc, puisqu¡¯il est soutenu par la science, l¡¯hygiène, etc. En effet, vous avez une chose, une puissance invisible et inquiétante ¨C le dit virus- qui tout à coup rend problématique tous nos échanges; il en va de même pour le sacré, où le but est de ne pas toucher par ¡°contagione¡±, disait-on en langue latine; par contact on risque de profaner la chose, de se souiller ou de souiller. Et bien c¡¯est la même chose ici: en raison de cette puissance invisible qui est là sans être là, on craint d¡¯entrer en contact, de toucher ce qu¡¯il ne faut pas toucher.

Mais cette résurgence du sacré dans nos sociétés, qui ont tout fait pour l¡¯évacuer, n¡¯est-ce pas une bonne chose en définitive?

Il y a une ambiguïté très forte dans le sacré. La sacré est l¡¯inverse de la violence, qui est le contact sans relation. Le sacré est, au contraire, une relation telle qu¡¯on ne veut pas de n¡¯importe quel contact ou rapport. Au fond, il y a quelque chose de très beau: on sacralise la personne, on ne veut pas entrer en contact avec elle de n¡¯importe quelle manière, on prend soin de ne pas violer sa vie privée ou son corps.

Mais le sacré, c¡¯est aussi ce qui est séparé, c¡¯est d¡¯ailleurs son sens premier; c¡¯est ce qu¡¯on met à l¡¯écart, ¡°en quarantaine¡±, pourrait-on dire. C¡¯est aussi ce qu¡¯est venu briser Jésus. Jésus, c¡¯est Dieu qui entre en contact avec l¡¯humanité pour profaner toutes nos fausses sacralités, notamment nos sacralités d¡¯exclusion. Car finalement, le sacré fabrique de l¡¯exclusion, des «intouchables», des lépreux, des boucs-émissaires aussi. Et il faut s¡¯en méfier. Je trouve qu¡¯on est à la fois dans la peur pour l¡¯autre ¨C et ce serait la plus belle part du sacré- , on a peur d¡¯être porteur du virus pour notre grand-mère de plus de 80 ans et à la fois, on a peur de l¡¯autre et en cela, ce sacré archaïque est un peu inquiétant.

Dans un tel contexte, qui est aussi celui du Carême, qu¡¯est-ce qui doit caractériser l¡¯attitude du chrétien? Comment peut-il faire la différence dans cette situation mouvante et inquiétante?

Le chrétien doit se laisser toucher par le monde, par les peurs qui le traverse; je pense qu¡¯il y a deux attitudes qui ne peuvent pas être les siennes: c¡¯est d¡¯abord de se placer au-dessus de la mêlée et de dire «même pas peur !» ou «même pas peur de la mort», ce qui est faux¡­ Nous sommes des êtres de chair et le Christ lui-même aurait bien aimé que cette coupe passât loin de lui. Et puis, ne pas céder à cette peur qui va devenir peur de l¡¯autre. (¡­) On doit veiller à ce que ces peurs, qui sont bien naturelles ne débouchent pas sur un surnaturel morbide, un surnaturel de l¡¯exclusion et un surnaturel de ces ambiances de peste.

Une chose suscite le débat parmi les chrétiens: la fermeture des églises dans les régions les plus touchées par le virus, comme ici en Italie et en France. Pour certains, l¡¯Église ne devrait pas se soumettre au principe de précaution des autorités civiles, d¡¯autres craignent un isolement spirituel qui serait un contre-témoignage. Quel est votre sentiment sur ça?

Il y a un risque réel: une fois qu¡¯on aura une société où toute le monde aura un masque pour se protéger de l¡¯autre, on aura vraiment perdu quelque chose. J¡¯aime bien me dire qu¡¯on meurt des maladies de notre temps: passer son temps à regarder ce qu¡¯il y a dans son assiette plutôt que d¡¯accepter d¡¯avoir été invité par un ami et manger ce qu¡¯il nous a servi, c¡¯est aussi un contre-témoignage par rapport à la charité.

Une humanité uniquement soucieuse de son auto-conservation est déjà en train de mourir. Ce n¡¯est pas comme cela qu¡¯on vit, ni même qu¡¯on vit plus longtemps, c¡¯est en tentant pleinement l¡¯aventure de la vie. Mais cela ne peut pas être sans une certaine prudence. Dans le cas d¡¯une épidémie, on peut très bien supporter un virus et le transmettre à quelqu¡¯un qui va bien moins le supporter.

En ce qui concerne les églises, peut-être sont-elles tellement pleines en Italie et que cela fait des réunions de plus de 5 000 personnes¡­ Mais en France, en général, on est plutôt 3 personnes sur un banc, donc on peut largement respecter cette distance (de sécurité) ! Donc méfions-nous de cet autre sacré, de ce sacré de l¡¯État, de l¡¯hygiène ou de la science qui pourrait vraiment nous mettre à part les uns des autres.  N¡¯oublions pas que les chrétiens ont un sacré minimal, qu¡¯il n¡¯y a pratiquement pas de tabou, que Jésus va dans tous les milieux, se laisse toucher par toutes les personnes, même par la femme hémorroïsse ¨Cqu¡¯on ne touchait pas car elle perdait du sang. Et bien lui, Jésus, se laisse toucher par elle. C¡¯est important d¡¯avoir cela en vue, sans être imprudent.

Cette crise -dont on perçoit les conséquences sanitaires et économiques- pourrait-elle avoir des effets positifs ? Que devrait-elle réveiller chez les gens ?

Ce qui m¡¯étonne, c¡¯est l¡¯affirmation par le monde entier de cette préférence pour la vie par rapport à l¡¯économie. Pour un virus qui est moins virulent que la grippe, on a grippé l¡¯économie mondiale¡­ Si on avait assez de ferveur pour faire cela, pas pour les vivants actuels mais pour les générations futures, contre le réchauffement climatique ! Arrêter, tout poser, enrayer le mécanisme qui nous emporte, freiner cette monture qui nous emporte. Finalement, on le fait pour une épidémie, pourquoi ne le ferions-nous pas pour des enjeux écologiques qui nous attendent et nous pressent? Donc c¡¯est intéressant: on préfère encore la vie à l¡¯économie. Disons-le nous et profitons-en pour déployer d¡¯autres façons de se lier, peut-être plus locales, pour inventer l¡¯économie durable de demain.

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10 mars 2020, 09:08