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Le cardinal François-Xavier Bustillo Le cardinal François-Xavier Bustillo  (AFP or licensors)

Cardinal Bustillo: la venue du Pape en Corse est «un cadeau»

Le 47è voyage apostolique du Pape François l’emmènera en Corse le 15 décembre prochain. Une nouvelle fois sur le pourtour de la Méditerranée, chère à l’évêque de Rome pour les enjeux qu’elle concentre. Ce sera le tout premier voyage d’un Souverain pontife sur l’île de beauté.

Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican

Le dimanche 15 décembre, un peu plus d’un an après Marseille, le Pape François foulera une nouvelle fois le sol français, pour la troisième fois depuis le début de son pontificat. Le Pape se rendra en Corse, à Ajaccio, invité par le cardinal Bustillo pour la messe de clôture d’un colloque sur les traditions populaires en Méditerranée auquel prendront par plusieurs responsables religieux du pourtour méditerranéen. Ce colloque intéresse l’évêque de Rome pour les deux thématiques qu’il rassemble: la piété et les traditions populaires d’une part, comme source d’évangélisation; et la Mare Nostrum d’autre part, à la fois un espace sous tension, et pour François une région qui concentre de nombreux enjeux théologiques et géopolitiques de ce troisième millénaire, de la rencontre des cultures à la crise migratoire. Le Saint Père, en foulant le sol de l’ile de beauté, effectuera son 47e voyage apostolique et le 18e sur les rives de la méditerranée.

Pour le Cardinal François Xavier Bustillo, évêque d’Ajaccio, ce premier voyage d’un Pape en corse est «un cadeau» pour L’ Église locale et ses traditions religieuses. Entretien.

Entretien avec le cardinal François-Xavier Bustillo

Le Pape François se rendra en Corse le 15 décembre. Comment est née l'idée et comment a-t-elle fait elle son chemin? Et comment le Pape accueille-t-il ce projet?

On parle justement d'une visite parce que, en Corse, c'est un lieu de tradition. Géographiquement, on n'est pas très loin de Rome. C'est un lieu où il y a beaucoup de traditions populaires. Et dans chaque village, dans chaque ville, il y a toujours des processions. Il y a beaucoup de confréries, on en compte plus de 3000. C'est donc important de savoir qu'il y a des gens qui sont engagés dans les confréries, les processions. Il y a des manifestations pacifiques, des manifestations spirituelles et ce dans toutes les villes et villages de Corse. Le Pape est sensible à cette dimension spirituelle et à cette dimension aussi populaire, humaine, où l'homme sort dans la rue et manifeste sa foi sans faire de l'endoctrinement public, mais avec beaucoup de simplicité et beaucoup de joie. Le fait que nous ayons ces traditions a peut-être attiré l'attention aussi du Saint-Père pour venir les célébrer. Peut-être qu'il faut les vivre et peut être qu'il faut aussi les promouvoir. 

En quoi consiste le colloque que votre diocèse organise?

Nous avons organisé avec le diocèse un colloque sur la religiosité populaire en Méditerranée. On parle beaucoup de la Méditerranée, des problèmes qu'il y a autour de la Méditerranée. D'un point de vue politique, il y a des guerres autour de cet espace, mais il y a aussi des traditions populaires. Quand on pense au sud de l'Espagne, il y a des processions, surtout pendant la Semaine Sainte. Quand on pense à la Sicile, la Sardaigne, la Corse, au sud de la France, il y a ces traditions populaires. On s'est dit qu'il serait ainsi intéressant et important de partager le fait de vivre ces traditions d'une rive à l'autre de la Méditerranée. Comment les Siciliens, les Sardes, les habitants du sud de la France ou les Espagnols vivent-ils ces traditions populaires? Le fait de partager, de se retrouver et de savoir que finalement, la tradition populaire, si elle n’a pas une âme, ce n'est que du folklore. Il s'agit donc de proposer aussi une formation théologique sur la manière d’évangéliser par les traditions populaires ce qui peut être important aussi pour la vie de l'Église.

Ces traditions populaires sont un élément de la mission?

Absolument. Il n'y a pas de divorce, il n'y a pas de dissociation. La mission a besoin de tout, de créativité, de liberté et de tradition. Il y a une tradition très théologique, académique, où l'on développe une réflexion théologique, philosophique, sociologique, spirituelle évidemment. Mais il y a aussi des traditions très simples, des traditions populaires. On peut évangéliser par une présence dans la rue, par le fait de porter, de célébrer la Vierge Marie, de célébrer saint Érasme. C'est une manière de se dire qu’on sort dans la rue pour honorer un homme ou une femme du passé, pour honorer la Vierge Marie et on est tous en mouvement. Cette piété populaire est ainsi un mouvement derrière la statue. Ce n'est pas la statue qu'on honore ou vénère d'une manière un peu idolâtrique, mais c'est l'histoire de la Vierge Marie, d'un saint, des martyrs, derrière lequel on se met en route. Il est important, me semble-t-il, de se dire comment, sans être nostalgique, la mémoire les hommes et les femmes du passé qui ont vécu des choses extraordinaires dans une vie ordinaire, nous aident à sortir un peu d'une certaine banalité ou médiocrité. Ils nous mettent en mouvement et on essaie de vivre quelque chose d'extraordinaire. 

Pourquoi le Pape François vient-il célébrer cette piété populaire?

Parce qu'il le veut, d'abord. C'est sa liberté. Ensuite, je pense qu'il est extrêmement sensible à cette dimension de sortir dans la rue. Quand on voit notre monde, les guerres autour de la Méditerranée, les situations critiques au Moyen-Orient et ailleurs, du côté de l'Ukraine, de la Russie, on voit des situations de tensions, de crispations, de douleurs, de divisions, de guerres. Et parallèlement, il y a en Méditerranée des lieux où l'on vit d'une manière extrêmement simple au niveau d’un petit village, d’une ville, des manifestations pacifiques liées à la dévotion, à la tradition, liées aussi à la spiritualité chrétienne.

Le christianisme a cette capacité de proposer des colloques très intellectuels pour mieux comprendre les traditions et l'incarnation de la spiritualité dans certains lieux. Mais il y a aussi des manifestations très concrètes, précises, où le fait de marcher, de chanter, de célébrer une tradition, nous rappelle que nos ancêtres ont vécu d'une manière belle et simple ces traditions. Aujourd’hui en retrouvant certaines traditions je crois qu'il ne s'agit pas d'un acte nostalgique du passé ou des conquêtes de la rue, mais se dire comment les traditions spirituelles nous aident à devenir meilleurs, à être à côté des autres. Car dans une procession, on est tous ensemble les uns à côté des autres, de droite ou de gauche, peut-être croyant, peu croyant, pas croyant, mais l'on se retrouve tous au nom d'une tradition que l'on veut transmettre à nos enfants, à nos jeunes. Quelque part, on perpétue des belles traditions. Je pense que ça peut apporter du sel, je dirais même du sucre à notre société un peu sécularisée, une dimension d'unité où l'on fédère, où l'on vit une certaine communion, où les chants traditionnels sont là, où des personnes venues d'ailleurs peuvent voir que dans ce pays, dans ce village, dans cette ville, il y a encore la foi. Je pense qu'il faut réveiller la foi, ressusciter la foi d'une manière douce, mais d'une manière aussi extérieure.

“Le Pape se déplace pour dire de vivre, de continuer avec courage à annoncer le Christ, de suivre la Vierge Marie, de la célébrer dans les rues comme on le fait souvent en Corse”

Comment accueillez-vous personnellement cette visite du Pape François?

Je pense que c'est un encouragement. Il y a un an à peu près, la Corse se déplaçait à Rome pour mon cardinalat. Plus de 900 personnes étaient venues à Rome pour m'accompagner. Aujourd'hui, Rome se déplace. C'était un moment également de responsabilité pour notre mission. Je me dis comment, avec ce que nous vivons, notre foi et notre mission dans notre diocèse va se développer? Comment cette présence va nous donner de l'élan, de la force, du courage, de l'espérance? Et Dieu sait si on a besoin de vivre dans l'espérance à une époque où l'on vit un certain déficit d'espérance et on voit le côté sombre de la vie. Il nous faut voir le côté lumineux, le côté courageux. Le Pape se déplace pour dire de vivre, de continuer avec courage à annoncer le Christ, de suivre la Vierge Marie, de la célébrer dans les rues comme on le fait souvent en Corse (l'Immaculée Conception est la patronne de la Corse) et de vivre la tradition autour des saints du passé, que tous nous pouvons devenir des saints. Notre société a besoin de points lumineux. Notre société a besoin de voir des hommes, des femmes qui éclairent, qui appellent, qui interpellent, qui provoquent. Je crois que nous vivons un temps où on a besoin de provocation, au sens étymologique du terme. Dans le mot provocation, il y a toujours le mot vocation, un rappel de qui nous sommes et à quoi nous sommes appelés.

François s’est rendu à Strasbourg, puis en 2023 à Marseille. Cette visite à Ajaccio sera la troisième visite du Pape sur le territoire français mais est-ce pour autant une "visite en France"?

Écoutez, c'est le Pape. Vous l'avez vu aussi à Marseille. Quand le Pape se déplace, il se déplace dans des lieux précis. Alors il ne fait pas de la politique au sens basique du terme, et il ne veut pas non plus du mépris. Il ne veut pas faire non plus un acte de d'élitisme en laissant penser qu’il aimerait certains et point d’autres. C'est pas du tout son style parce que c'est un homme de fraternité, on l'a vu dans tous ses discours et dans tout son ministère. Il vient pour visiter les personnes d’un lieu, et je pense qu'il y aura aussi des personnes d'ailleurs en France, d'Italie, de Sardaigne et au-delà. Le Pape est un homme de communion. Il va apporter une parole de communion à tous ceux qui seront présents. Quand on est en Corse, on est dans une collectivité de Corse, liée à la France politiquement et liée à l'Italie culturellement. C'est une île avec toute la richesse et toutes les spécificités d'une île. Le but n’est pas de créer des polémiques autour du ‘pourquoi il va là et pas là’. Je pense que le propre du Saint-Père est de créer des moments symboliques et pas polémiques. 

À quoi ressemble l'Église en Corse, Comment la décrivez-vous?

C'est une Église vivante. En ce qui me concerne, j’ai été accueilli d'une manière assez remarquable. Là où je vais, dans des petits villages, dans des villes, l'évêque est apprécié et respecté. À la différence de la France en général, il y a en Corse une laïcité beaucoup plus souple et, à mon avis, intelligente. Quand je parle de laïcité à la Corse, même si certains n’aiment pas trop cette expression, c’est pour souligner que la laïcité s'incarne d'une manière différente en Italie, en Espagne, en Allemagne, en France ou en Sardaigne. Chez nous, il n'y a pas d'hostilité idéologique. C'est un point assez original de la Corse. J'ai un dialogue très bienveillant et très serein avec les autorités politiques de l'île, le président de la collectivité, la présidence de l'Assemblée, les députés, les sénateurs, les maires. Nous avons une relation très sereine et pour moi, c'est un peu comme on le vit en Italie.

C'est une manière de vivre la laïcité. Je n'évacue pas ce terme. La laïcité est nécessaire, autrement on tombe dans la fusion et dans la confusion. Ce n'est pas le but. La laïcité, il faut la respecter. Mais on peut vivre cette laïcité dans un respect et une maturité relationnelle importante. Je ne dirai jamais à un député, un sénateur ou un maire comment il doit vivre où ce qu'il doit faire. À l’inverse, un député, un maire, un sénateur, ne me dira jamais ce que je dois faire. En revanche, on peut échanger parce qu'on n'oublie pas que j'ai été nommé pour un peuple. Tout comme un maire, un député, un sénateur est élu par le peuple et pour le peuple. Il est important, dans la vision de la laïcité, de ne pas oublier que nous sommes élus ou nommés pour quelqu'un, non pas pour nous-mêmes. Non pas pour un élitisme politique. Nous sommes nommés ou élus pour exercer l'autorité au sens étymologique, c'est à dire pour augmenter le potentiel intellectuel, économique, social, spirituel, humain, ludique et culturel d'un peuple.

La Corse, c’est un seul diocèse. La topographie de l’île est assez particulière parce qu'il y a des montagnes partout. Ceux qui connaissent la Corse le savent. Il y a des vallées et des montagnes, mais c'est une terre qui a gardé sa tradition catholique religieuse. Il y a aussi beaucoup de musulmans en Corse, mais le catholicisme, avec ses traditions extérieures, toutes les confréries et toutes les manifestations, montre que le christianisme est toujours présent. Après, il faut toujours évangéliser, il faut toujours vivre la mission. Il ne suffit pas de faire des processions et suivre les traditions. Il faut que l'âme soit touchée, et je pense que la mission de l'évêque, des prêtres, des diacres, des religieux et religieuses, est justement de maintenir la flamme de l'âme. Nous devons être catholiques, non pas par tradition, mais par conviction et parce que nous sommes touchés par le message de l'Évangile.

Vous parlez de tradition, parleriez-vous d’une église ‘traditionnelle’? Vit-elle pleinement le Concile Vatican II?

L’Église de Corse incarne le Concile Vatican II, bien sûr. Mais elle a conservé aussi ses traditions, sans être enfermée dans un carcan du passé. Nous avons des traditions, mais nous avons la capacité aussi de ne pas rester figés dans le passé, d'incarner et de donner un visage nouveau à ces traditions d'une manière très simple, d'une manière très concrète et avec un but missionnaire.

Quelle évolution a traversé l'Église de Corse ces dernières années? D'où êtes-vous partis avec cette Église et avec vos fidèles, et où souhaitez-vous l'accompagner?

Je vois un signe quand même très fort et très positif: nous avons beaucoup de catéchumènes et beaucoup d'adultes qui demandent la confirmation. Personnellement, je pousse vers cette vie chrétienne adulte. Mais, comme partout en France et en Europe, comment peut-on être chrétien adulte si l'on n'est pas initié? Souvent il y a le baptême, mais il n'y a parfois pas la communion, ni la confirmation. Si l'on n'a pas les trois sacrements de l'initiation, on ne peut pas avoir la force de témoigner. C’est dans cette direction que je souhaite avancer avec mes amis et mes fidèles en Corse justement, pour vivre la foi avec maturité. Le fait d'avoir des catéchumènes et d'avoir beaucoup de personnes qui demandent la confirmation est déjà un signe d'encouragement parce que cela nous permet d'éduquer, de proposer des formations pour les adultes et d'aller de l'avant avec eux. Ils apportent du sang neuf parce qu’ils s'étaient éloignés de l'Église. Ils reviennent et ils nous demandent, à nous aussi, d'être responsables et de les accompagner d'une manière responsable. C'est une belle responsabilité et un beau défi pour nous.

Votre mission vous a amené à servir précisément en Corse, un lieu qui revendique haut et fort son identité. Doit-on attendre du Pape un message d'apaisement et d'ouverture?

Le Pape annonce toujours la paix, la fraternité et l'ouverture. Par conséquent, il est normal que si le Pape vient chez nous, c'est pour nous dire de vivre notre identité, nos traditions dans la paix et la sérénité. Nous sommes là pour la communion et pas pour la division.

On sait combien le Pape est attaché aux questions qui lient les pays de la Méditerranée. La Corse est d'ailleurs représentée régulièrement aux rencontres méditerranéennes. Quelle est la vocation de l'île dans le laboratoire de paix que doit être la Mare Nostrum?

Vous avez prononcé un mot qui me tient à cœur: «laboratoire». Nous sommes une île, nous avons des traditions, nous avons une identité, mais nous connaissons d'autres réalités autour de la Méditerranée. Il est important que notre culture soit une culture intelligente, fraternelle. Nous devons créer des ponts et pas des barrières. Le message de l'Évangile est clair. C’est un message de fraternité, un message où nous sommes tous frères et nous connaissons dans notre île des traditions différentes, des religions différentes. Mais je pense que la noblesse du christianisme et de l'Évangile réside dans la capacité de dire que celui qui est en face de toi n'est pas un ennemi, mais c'est un frère. L'autre n'est pas un fardeau, l'autre est un cadeau.

À propos de cadeau, la visite du Pape François le 15 décembre en Corse, c'est son cadeau de Noël?

Il nous précède en Galilée, mais c'est un cadeau magnifique. Vous pouvez imaginer un Pape qui arrive dans un diocèse. C'est un cadeau. C'est un cadeau qui va nous stimuler à être meilleur, à garder la mémoire et à aller de l'avant.

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23 novembre 2024, 12:00