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Pour la première fois, une Porte Sainte africaine s'est ouverte au monde

Le Jubilé extraordinaire de la miséricorde, en 2015, s'est ouvert dans un lieu inédit, loin du cœur chrétien du monde, la basilique Saint-Pierre, mais dans la capitale de la République centrafricaine, Bangui, qui recevait alors la visite du Pape François. Le cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, revient sur cette journée mémorable et la portée bénéfique, au fil du temps, de la visite du Souverain pontife.

Maria Milvia Morciano et Jean Charles Putzolu - Cité du Vatican

Le soir tombait lentement à Bangui, teintant le ciel de rose et d'or, lorsque les portes de la cathédrale Notre-Dame s'ouvrèrent, poussées des deux mains par le Pape François. Près de neuf années se sont écoulées depuis ce 29 novembre 2015, premier jour de l'avent et date de début du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, inauguré, par anticipation, dans un lieu tout aussi extraordinaire, la capitale de la République centrafricaine. Pour la première fois dans l'histoire, l'ouverture de la Porte Sainte n'avait pas lieu à Saint-Pierre, sur la tombe de l'Apôtre, au centre du monde chrétien, mais dans un lieu éloigné, pour beaucoup inconnu. Alors que le Jubilé de l’année 2025 approche, le cardinal Dieudonné Nzapalainga a bien voulu revivre, pour Radio Vatican – Pope, cette journée de 2015, et détailler les fruits aujourd’hui encore largement palpables, de la visite du Pape.

Entretien avec le cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui.

Éminence, je souhaitais revenir avec vous sur le 29 novembre 2015, le premier dimanche de l'avent, lorsque le Pape François a ouvert la porte sainte du Jubilé de la Miséricorde. C'était à Bangui, en Centrafrique, donc chez vous, une tradition très ancienne dans votre jeune pays. Quelle a été, selon vous, la signification de ce geste pour tous les Centrafricains?

C'est un geste unique dans l'histoire, pour l'Église universelle et pour notre Église. Car nous, Centrafricains, confrontés à la violence, à la souffrance, à la mort, on vivait dans l'absurdité. On a senti un espoir qui arrivait de Rome par l'homme de Dieu, c'est à dire le Pape qui vient pour apaiser, apporter la paix, le pardon, et la réconciliation en nous invitant, Centrafricains, à ouvrir les portes de nos cœurs gorgés de haine, gorgés de vengeance, pour pouvoir se regarder en face. C'est pourquoi lui-même a demandé de déposer les armes, les fusils et autres. «Prenez la justice, prenez l'amour» avait-il dit. Et je pense que cet acte qu'il a posé reste mémorable ici en Centrafrique. Musulmans, protestants, catholiques, tous. On est unanime en disant que sa venue a été salutaire.

Vous avez rappelé ce message, cet appel à déposer les armes. Il y avait d'énormes tensions jusqu'à pratiquement deux jours avant son arrivée à Bangui. Est-ce que depuis, le message du Pape a été entendu? Est ce que les armes aujourd'hui se sont tues?

Je pense que le message a été entendu. Nous avons passé après le départ du Pape, six mois comme si on était dans un pays normal, ce qui était impensable deux jours avant sa venue. Et pourtant, sa venue a apaisé, a fait tomber la pression. Nous avons vu des musulmans sortir de leur enclave pour aller se joindre à leurs frères catholiques au stade, prendre part à la grande célébration. Et depuis ce jour, et bien il y a des va-et-vient, entre les communautés. Le “Kilomètre 5” (quartier populaire de Bangui, ndlr) qui était réputé comme un endroit où il y a beaucoup d'armes, où on ne peut pas rentrer; à la date d'aujourd'hui vous pouvez rentrer dans ce quartier parce que je suis allé à la suite du Pape avec les chrétiens en disant aux musulmans: «ensemble, marchons! Le Pape est venu de Rome jusqu'en Centrafrique, Chrétiens de Bangui, sortons de nos quartiers pour aller à la rencontre de nos frères, ensemble, marchons pour la paix». Donc, nous avons marché et depuis ce jour, on a eu un chef rebelle qui a dit, en parlant aux imams: «il faudrait nous parler de spiritualité». Et les imams ont fait une grande réunion pour demander aux chefs rebelles de déposer les armes et ça a changé beaucoup. Donc ça, c'est aussi le fruit du passage du Pape ici, qui nous a boosté, nous a mis en route et nous avons ces résultats. Aujourd'hui, les armes ne tonnent plus comme avant.

Le Pape François devant la Porte Sainte de la cathédrale de Bangui en novembre 2015.
Le Pape François devant la Porte Sainte de la cathédrale de Bangui en novembre 2015.

Quels ont été, selon vous, les autres fruits de cet événement?

Les autres fruits, ce sont maintenant les rencontres entre les jeunes musulmans et les jeunes chrétiens, assez régulièrement; les rencontres entre les femmes musulmanes et les femmes chrétiennes, assez régulières aussi. Entre nous, leaders, il n’y a pas très longtemps, quand une mosquée a été vandalisée, à 250 kilomètres (de Bangui, ndlr), l'imam, le pasteur et moi, nous nous sommes mis en route pour aller parler au cœur de nos fidèles, pour désarmer leurs cœurs et les inviter plutôt à collaborer, à estimer, à respecter les lieux. Je pense que ça aussi c’est un des fruits de la visite du Pape. Maintenant, bien sûr, on demande aussi à ce que justice soit faite. Ça veut dire que l’on puisse dédommager ceux qui ont perdu leurs biens, afin que celui qui a habité longtemps dans la maison de son voisin doit avoir l'amabilité de quitter. Et nous les chefs religieux, on fait un travail de cœur à cœur et il y des gens qui quittent leur maison pour la restituer à leur légitime propriétaire, sans passer par la justice et par l'État. Ça aussi, je crois que c'est un des fruits. Maintenant, les cœurs sont disposés, on peut se parler, on peut envisager un avenir commun.


Sur un plan plus personnel, Éminence, quels sont vos propres souvenirs, peut être les plus marquants, les plus forts de cette période?

Le souvenir le plus marquant, le plus fort, c'est l'entrée dans le “Kilomètre 5”. Deux jours plus tôt, c’était impossible d'y entrer. Il y avait des checkpoints. J'ai vu ça de mes yeux. Le Pape a choisi d'y aller dans un véhicule non blindé. Or, tout le monde sait que dans ce lieu, il y avait beaucoup d'armes. Il a osé aller là. Et nous avons vu aussi l'imam qui a accepté de monter dans la papamobile. Ça, ce sont des images fortes. Et pour rejoindre le stade, j'ai vu des musulmans sortir massivement au risque de leur vie. Donc ça, c'est la foi qui les propulsait à sortir. Un imam nous a même dit: «le Pape n'est pas venu pour vous les chrétiens, il est venu pour nous les musulmans. On était dans l'enclave, on était en esclavage. Il nous a libérés».

Aujourd'hui, Éminence, vous êtes devenus presque inséparable avec l'imam. Les actions communes entre les communautés sont pratiquement quotidiennes. C’est certainement le fruit de votre travail, évidemment, mais c'est aussi le fruit du passage du Pape?

Lors de sa visite, le Pape nous a confortés, encouragés, soutenus dans ce travail. Nous étions trois (chefs religieux, ndlr), avec le peuple, à demander au Pape de venir en Centrafrique. Il a répondu à cet appel-là. Je crois que tous, nous sommes reconnaissants à son égard. C'est le fruit de son passage.

Le cardinal Dieudonné Nzapalainga.
Le cardinal Dieudonné Nzapalainga.

Comment préparez-vous maintenant le Jubilé de 2025?

C'est un moment important pour l'Église. Il y a déjà les groupes qui se mettent en place ici pour réfléchir, pour prier, pour se rencontrer et aussi voir comment est-ce que, au niveau local, nous allons vivre ce moment. Nous allons vivre cette année les 130 ans de l'évangélisation en Centrafrique. Ce temps nous met en route pour 2025 qui arrive et nous sommes en train de de travailler sur les deux projets. Donc je crois qu'il y a un engouement et de l’enthousiasme. J'étais avec les jeunes qui s’étaient massivement réunis dans une église et on s’est dit que le moment était important, parce que nous vivons un temps de grâce, un temps de prière, un temps favorable qu’il ne faut pas laisser passer.


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26 juin 2024, 11:07