L’abbaye de Cîteaux croit en un avenir norvégien
Jean-Benoît Harel – Cité du Vatican
«Quand on fonde, il faut être fidèle», les mots du frère Joël Regnard révèlent sa détermination. Il la partage avec sa communauté. Les quatres cisterciens ont été investis d’une mission peu commune: fonder et assurer la perpétuité de la seule communauté contemplative de moines en Norvège.
Depuis 2009, ces quatre frères cisterciens font revivre la vie monastique sur les hauteurs de Munkeby («le lieu des moines» en norvégien). Au XIIe siècle, des moines cisterciens s’étaient en effet déjà installés en pleine campagne au centre de la Norvège, entre verts pâturages et fjord de Trondheim. Mais l’expérience avait échoué au bout de quelques dizaines d’années au profit de l’abbaye de Tautra, située à une cinquantaine de kilomètres au sud. Tout comme la deuxième tentative au XVe siècle.
Le défi de ces moines cisterciens est donc de taille: faire de cette troisième tentative de fondation un succès. Ce projet est venu d'un désir qui s'est allumé dans le cĹ“ur du moine Joël Regnaud après un séjour sabbatique en Norvège. Il a trouvé le soutien de la hiérarchie des trappistes de Cîteaux. «C’était quand même un risque de se lancer dans l’aventure, explique le frère Joël Regnaud, mais il a été décidé d’y envoyer les deux derniers profès solennels de la communauté, les deux frères les plus jeunes!». Ainsi, les frères français Bruno et Arnaud ont rejoint le frère Joël, ainsi qu’un frère irlandais, le frère Joseph. Le véritable début de la fondation.
Quatre moines aventuriers
En Norvège, l’installation a été progressive avec d’abord une petite maison, puis très vite une activité économique pour vivre: une fromagerie. «Ça a été une sorte de bénédiction, notre fromage a été très vite apprécié ce qui nous a fait connaître et nous a permis de vivre de notre travail» raconte frère Joël.
Autre adaptation indispensable, il faut s'habituer en hiver aux journées passées presque exclusivement dans le noir, "la longue nuit de l’hiver", et aux températures qui peuvent descendre en dessous de -10 degrés, mais «ça n’a rien d’héroïque, on est loin de la banquise et des ours blancs» assure le supérieur de la communauté norvégienne. «Et puis, on a des paysages magnifiques et c’est bien isolé. En somme, on a moins froid ici qu’à Cîteaux» sourit-il.
Ora et labora
Avec le travail, la prière constitue un des piliers de la vie monastique. Il a fallu trois ans pour construire l'église de la communauté qui peut aujourd'hui accueillir 80 fidèles. Le chantier a bénéficié de soutiens financiers venus du monde entier. Le frère Joël explique cet engouement: «Cîteaux, c'est un nom. Pour beaucoup de gens, ça veut dire quelque chose que cette vieille dame qui est Cîteaux se lance dans quelque chose de nouveau. C'est comme un signe d'espérance». Munkeby est en effet la première fondation directement issue de Cîteaux depuis 500 ans. Chargée de répandre la réforme grégorienne, l’abbaye de Cîteaux a fondé plus de 2000 monastères dans tout l’Occident chrétien au Moyen-Âge, notamment sous l’influence de Bernard de Clairvaux au XIIe siècle. Un dynamisme ralenti au XIIIe siècle et définitivement stoppé par la Révolution française au XVIIIe.
De nombreux symboles pour la consécration
L'église a été consacrée le 5 décembre 2023. La messe a débuté sans éclairage, à la seule lumière du jour, puis différents rites ont été accomplis, «l'onction de l'autel, l'illumination de l'église, l'onction des croix de consécration», se souvient ému frère Joël. Les 4 cisterciens assistaient-là à l’une des célébrations les plus mémorables de leur vie. Elle était présidée par l’évêque local, Mgr Erik Varden, ancien abbé de l’abbaye cistercienne de Mount Saint-Bernard en Angleterre.
Parmi les rites de cette messe de consécration, des reliques de plusieurs abbés de Cîteaux, de cisterciens du XXe siècle et de sainte Thérèse de Lisieux, ont été scellées sur le nouvel autel de l'église. Leur présence encouragent les quatre moines au quotidien. Désormais bien installés dans leur terre de mission, les frères qui ont entre 45 et 70 ans veulent transmettre la joie de la vie monastique aux Norvégiens. Une vie qui enthousiasme toujours frère Joël. Entré jeune dans la vie cistercienne, le septuagénaire croit plus que jamais dans l’importance de cette vocation: «Je découvre aujourd'hui de plus en plus combien la vie monastique est vitale pour l'Église. Je vois dans le désert spirituel de notre monde en manque d'enracinement, l'importance d'un lieu avec des gens qui ne bougent pas, dans une espèce de stabilité en béton».
La radicalité de l’appel
Mais comment parler aux Norvégiens qui sont à 70% de confession protestante? «Il faut qu’on transmette quelque chose de solide et de cohérent. Quand on fonde une communauté, il y a quelque chose qui appelle à un certain radicalisme» affirme frère Joël, et cela a touché de nouveaux convertis. Ils sont aujourd’hui plusieurs à profiter de la sagesse cistercienne séculaire transmis par les moines de Munkeby. «On a hérité d’un patrimoine cistercien très riche, avec de nombreux écrits. On a de quoi transmettre» explique-t-il.
Enracinés dans une tradition séculaire, les quatre cisterciens gardent le regard tourné vers l’avenir. Ils savent que leur témoignage doit s'inscrire dans la durée pour que les jeunes Norvégiens soient interpelés par la vie cistercienne. L’espoir de toute la communauté de pérenniser leur présence en Norvège où seule 3% de la population se dit catholique. Un espoir ravivé huit fois par jour, lorsque les cloches de la nouvelle église appellent la communauté à la prière, une communauté attendant patiemment les futurs moines norvégiens.
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