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Illustration Illustration  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Le Synode et la responsabilité des ministres non ordonnés

Mgr Raymond Poisson, évêque de Saint Jérôme – Mont Laurier au Canada, revient sur les travaux du Synode. Dans un entretien accordé à Radio Vatican - Pope, l’évêque québécois tire ses conclusions des travaux de la première session de la 16e Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques.

Entretien réalisé par Jean Charles Putzolu – Cité du Vatican

Au terme d’un mois de travaux, les pères et mères du Synode retrouvent progressivement leurs diocèses et leurs communautés, porteurs d’un message contenu dans le rapport de synthèse final adopté à la majorité des deux tiers samedi soir 28 octobre, et chargés d’une mission. Ils devront présenter les conclusions, les points de convergence et les questions laissées ouvertes, et entrer à nouveau dans une phase d’écoute, préparatoire à la prochaine session synodale, à Rome en octobre 2024.

Parmi les plus de 350 participants, Mgr Raymond Poisson, évêque de Saint-Jérôme – Mont-Laurier au Québec, dont le mandat de président de la Conférence des évêques du Canada est arrivé à échéance pendant les travaux du synode, a accepté de livrer ses impressions à Radio Vatican – Pope.

Entretien avec Mgr Raymond Poisson

Monseigneur Raymond Poisson quel est votre sentiment à la fin de ce Synode? Comment qualifieriez-vous les débats et les échanges que vous avez vécu?

Je suis content de votre question qui met bien sur la table le fait que ce Synode, bien qu'on l'appelle la tenue ordinaire d'un Synode des évêques, n'a rien d'ordinaire. Et le document qui est produit, bon, il est, il est essentiel, il est utile, mais il n'est pas le Synode. Le Synode, c'est d'abord, et le mot le dit, une expérience que nous avons faite. Et le Saint-Père, en nous invitant à une retraite de trois jours au tout début, en a surpris plusieurs, moi le premier, mais finalement, on pourrait dire dans nos expressions québécoises qu’il a mis la table. C'est à dire que le Synode a été une expérience d'abord de rencontres internationales non seulement entre évêques, mais avec des partenaires, des membres non évêques, des laïcs, des personnes consacrées, et aussi des invités d'autres Églises chrétiennes. Ensuite, c’est un climat, un climat de prière. Parce que l'Église n'est pas une compagnie. Ça a été une rencontre d'abord de conversation dans l'Esprit; conversation dans le sens que nous avons beaucoup écouté les autres, et qu’on a pu être écouté nous-mêmes. Ceci a établi un climat dans tout le Synode, quelle que soit la question débattue ou discutée. Ce climat d'écoute, d'accueil, de mutuelle compréhension a permis de temps à autre, des changements d'opinion pour l’un ou l'autre, ou l'une ou l'autre par rapport à des positions qu'on pensait tout à fait impossibles à changer. L'Église a une couleur différente d'un continent à l'autre. Nos défis ne sont pas les mêmes partout. Ce que le Christ nous demande, c’est d’annoncer une bonne nouvelle. Alors, dans les questions, on s'est demandé si on apporte toujours une bonne nouvelle quand on se présente devant le monde qui attend quelque chose de nous.

Cette question que vous vous posez, comment aujourd'hui annoncer la Bonne nouvelle, alors que l'Église souffre d'une profonde crise de crédibilité, liée au scandale des abus. Cette crise de crédibilité a-t-elle amené ce Synode, selon vous?

J'irais même plus loin en disant, sans relativiser, qu'il y a une crise de crédibilité dans toutes les institutions, que ce soit au niveau même parlementaire, politique, que ce soit au niveau des institutions comme dans une société civile, la police ou l'armée. Les jugements des gens sont plutôt critiques. On le voit sur les réseaux sociaux où plusieurs portent des jugements sur toutes sortes d'institutions et souvent à partir de vérités très partielles. C'est ce qui nous est arrivé comme Église, évidemment. Si j'étais chez moi au Québec, je dirais nous sommes passés dans le moulin à viande. On dit ça chez nous, c'est à dire que tout est mêlé et on ne distingue plus les choses. Donc, ce Synode, il est arrivé pour nous recentrer sur l'essentiel. Qui sommes-nous? Nous ne sommes pas une entreprise, un commerce ou une multinationale, mais Église. Comment annoncer la bonne nouvelle? Qu’est-ce que la bonne nouvelle? Malgré toutes les difficultés, parce que nous sommes ensemble, l'Église, nous pouvons relever ces défis et penser un monde meilleur.

Relever les défis avec l'aide de chaque baptisé, car l’une des spécificités de ce Synode n’est-elle pas d’avoir placé tous les baptisés des cardinaux aux laïcs sur un pied d'égalité?

Sur un pied d'égalité au niveau de la dignité baptismale. Mais il faut le dire, il n'y a pas eu de débat sur un nivellement par le plus grand dénominateur commun de toutes les fonctions. Dans les échanges du Synode, il y a eu une part équitable qui a été laissée au magistère, c’est-à-dire à ceux et celles, plutôt évêques, le Saint-Père, les prêtres aussi, qui ont la responsabilité d'un enseignement. Parce que l'Église n'a pas à suivre, comme pourrait le faire un parti politique, la mouvance de la population, la mode, ou l'opinion publique.

Ceci dit elle est appelée à interpréter les signes des temps…

Interpréter les signes des temps et interpeller. Interpeller les personnes de l'ensemble de la société grâce à ce qu'elle est comme témoignage, pas nécessairement par un enseignement didactique ou par des normes restrictives. Et c'est un peu trop ce qui apparaît quand on pense à l'Église, à l'exclusion de certaines personnes, à des normes trop sévères, à des lois qui ne changent pas. Il faut plutôt penser à ce que cette Église-là, comme communauté, peut offrir pour réveiller la joie de faire partie de cette église, pour changer le monde, pour qu'il soit plus beau.


Cette Église nouvelle qui pourrait ressortir du Synode, à son terme, après la prochaine session de 2024, quelle place va-t-elle laisser à la représentativité? Le Pape François a, au cours de son pontificat, fait des efforts de décentralisation. Les Conférences épiscopales, les diocèses, les évêques ont déjà vu leurs responsabilités s’élargir. Jusqu'où est-il possible d’aller dans la décentralisation tout en préservant cette représentativité, cette voix unique, celle du Pape, qui parle au nom de tous les baptisés?

Je pense qu'il ne faut pas mêler les fonctions dans l'Église: Tout le monde a un rôle dans l'Église, tous les baptisés ont une dignité baptismale. Ils ont quelque chose à faire dans le témoignage de leur vie de tous les jours. Mais tous les baptisés ne viendront pas travailler à temps plein dans un bureau diocésain ou dans une animation paroissiale. Ce n'est pas ça qui est visé, mais plutôt que chacun porte témoignage dans son milieu. Cependant, le Saint-Père a déjà posé des gestes, donc on ne part pas de zéro. Dans mon diocèse, qui n'est pas une exception, nous avons responsabilisé beaucoup de laïcs, et beaucoup de femmes à différents niveaux. Des postes de direction tant au niveau financier, administration financière que ressources humaines ou autres. C'est évident que, je vous donne une interprétation personnelle, je l'ai livrée aussi au synode, c'est qu'on a mis beaucoup de restrictions dans la possibilité d'assumer des charges officielles dans l'Église au fait qu'il fallait être un ministre ordonné. Or, la spécificité du ministère ordonné du prêtre, c'est d'annoncer la Parole de Dieu, de prêcher, de célébrer les sacrements, de faire grandir le peuple de Dieu à travers sa présence qui est celle du Christ dans son peuple. Mais ça ne veut pas dire qu'il doit tout faire, au contraire. Je parle bien sûr du côté de l'Occident, de l'Amérique. Notre pays est né grâce à des communautés religieuses féminines. Ce sont elles qui ont développé les structures des santé et d'éducation. Ce sont elles encore qui tiennent beaucoup d'institutions sociales pour l'entraide humanitaire, l'accueil des sans-abris. Elles ont leur place.

Le peuple de Dieu pourrait-il avoir d'ici quelques années un rôle beaucoup plus important dans les prises de décisions?

Tout cela est déjà possible, je pense qu'il faut l'admettre. Je pense à mon conseil des affaires économiques. Dans mon diocèse, ce sont essentiellement des laïcs, hommes et femmes qui le composent. Il n’y a qu’un seul prêtre. Les conseils paroissiaux de pastorale ont presque complètement disparu et ça veut dire qu'on est entré dans un mode de délégation où on a projeté sur le prêtre de la paroisse l'ensemble des responsabilités de l'organisation de la vie de la communauté. Qu'ils en soient responsables, qu'ils soient partie prenante, c'est normal. Mais les prêtres ne sont pas les seuls acteurs.

C'est une des clés, selon vous, d'une forme de revitalisation de la vie ecclésiale?

Je repars avec ça, avec l'idée de sensibiliser les gens chez nous au fait de laisser de l'espace à tout le monde pour participer à la vie de l'Église, selon les propres charismes de chacun et les propres disponibilités.


Est-il correct de dire que ce Synode vous a emmené de la conversation dans l'Esprit jusqu'à la conversion dans l'Esprit?

Je pense que c'est inévitable. La conversation dans l'esprit, c'est depuis le début de l'opération du Synode qu'on essaie de vivre cela. Mais, on l'a vécu d'une manière tellement authentique, vraie, dans le détail, et on ne peut pas faire autrement que se convertir. Prendre le temps d'écouter l'autre, les autres, refuser systématiquement de débattre de l'opinion de l'autre tout de suite, la méditer dans la prière avec l'Esprit-Saint et un tour de table où on se dit ce que l’on a retenu, ça change notre perspective. C'est toute la différence entre un conseil d'administration d'une entreprise et un conseil de pastorale d'une Église. 

Communion, participation, mission, sont les trois mots de ce Synode. Vous allez rentrer chez vous en tant que missionnaire, puisque vous allez devoir retourner à une phase d'écoute. Comment allez-vous présenter ce synode à vos diocésains?

Pour ce qui est du niveau local, je suis particulièrement heureux parce que j'avais déjà prévu, dès le début novembre, trois rencontres avec tout le personnel et j'ai changé l’ordre du jour pour le faire correspondre à ce que nous avons vécu au Synode et vivre avec eux aussi cette méthode de la conversation dans l’Esprit, de ce temps de silence, de méditation, d'accueil de l'autre dans l'Esprit-Saint, pour pouvoir vivre des moments de réflexion sur notre mission. Au niveau national, je suis certain qu'à la conférence des évêques, avec les sept autres participants canadiens au synode, nous allons nous interpeller pour éveiller également nos frères évêques à cela.


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30 octobre 2023, 08:42