Syrie: après le séisme, la Via Crucis des chrétiens alépins
Jean-Charles Putzolu, Myriam Sandouno – Cité du Vatican
À Alep, les habitations déjà fragilisées par les bombardements se sont effondrées lors du séisme du 6 février dernier. Des milliers d’autres édifices ont été endommagés et ont contraint les habitants à quitter leur domicile. Aux déplacés de la guerre, qui dure depuis douze ans, se sont ajoutés les déplacés du tremblement de terre.
Dans cette agglomération de 2 millions d’habitants, les Églises restent mobilisées pour apporter une aide à la fois spirituelle et matérielle à des gens qui n’ont plus rien, et qui rencontrent chaque jour mille difficultés pour se procurer de l’eau et de la nourriture.
La collecte de Terre Sainte pour les victimes du séisme
Cette année, la collecte du Vendredi Saint sera destinée aux victimes du séisme. Elle sera «d’une grande importance, et en fonction des fonds récoltés nous pourrons construire des nombreux projets humanitaires», confie depuis Alep le frère Bahjat Elia Karakach, de la Custodie de Terre Sainte. «Habituellement, les Syriens ne sont pas seulement des bénéficiaires de la collecte, mais ils y participent activement chaque année. Malheureusement, je ne m'attends pas à ce que cela se produise dans notre pays cette année. Les gens sont ici tous en dessous du seuil de pauvreté», ajoute le curé latin d'Alep.
De fait, la situation économique dégradée a amplement impacté la vie des Syriens, et des Alépins en particulier, plus encore après le séisme.
Pour le jésuite Michel Daoud, la population alépine vit tous les jours un chemin de Croix. Comme Simon de Cyrène qui est venu aider Jésus à porter sa Croix, «nous essayerons autant que possible de contribuer un peu, de porter la croix de ces gens autant qu'on le peut. Ce n'est pas toujours facile. Les besoins des gens sont énormes», dit-il en expliquant que les personnes qu’il croise ne viennent pas uniquement chercher une aide spirituelle mais également un soutien matériel, «parce que vivre au quotidien est un besoin urgent. Avoir du pain, avoir de la viande… On ne mange plus de viande, on reste au niveau du riz, au niveau du blé, au niveau des légumes, mais très peu de fruits, très peu de viande, très peu de fromage. Le fromage coute de 30 à 40 000 livres par kilo. C'est très cher. La viande à 70 000 livres. Autrefois elle coûtait 20 livres, 30 livres, mais hier, elle était à 70 000 livres». Des prix insoutenables dans un contexte où le salaire moyen est de l’ordre de 130 000 livres, soit à peine plus de 20 dollars par mois.
Églises et couvents ouverts aux déplacés
Le père Daoud se démène avec ses confrères de la compagnie de Jésus, pour fournir une aide quotidienne à environ 8 000 déplacés dans un camp dont le JRS, le service des Jésuites pour les réfugiés, s’occupe. L’une des priorités, confirmée par frère Bahjat, est de tenter de dissuader les chrétiens d'émigrer. «Toute la jeunesse est en train de quitter le pays», constate amèrement le père Michel. «Nous avons beaucoup de personnes âgées maintenant, très peu de jeunes. Les étudiants, une fois qu'ils ont fini l’université, préparent leur voyage en Europe ou en Amérique. Sinon, ils se sentent un peu abattus. Ils ne se sentent pas encouragés pour préparer leur avenir ici, car tout est un peu en panne, tout est par terre», regrette le jésuite.
Au lendemain de la secousse du 6 février, les Franciscains ont ouvert les portes de leur monastère et de leur église devant les personnes terrifiées, abandonnant leurs maisons dans des circonstances difficiles avec le froid, l'obscurité, la pluie et la peur. «Les gens ont été accueillis dans nos trois monastères situés à Alep, dans différents quartiers de la ville, et les frères ont fourni aux gens, en plus d'un abri et de la chaleur, de la nourriture, des matelas et des couvertures. Ils ont également organisé des séances de soutien psychologique, des prières et des chants pour les soulager», rapporte le frère Bahjat Elia Karakach.
Malgré ce soutien et les efforts déployés par les Églises, beaucoup d’Alépins ne reçoivent aucune aide, «mais il ne fait aucun doute qu'il y a beaucoup des gens comme la veuve dans la Bible qui ne seront pas avares d'offrir l’argent qu'ils possèdent pour le partager avec les familles les plus pauvres. Alors, ce que nous attendons, c'est la consolation qui vient des familles qui ont le cĹ“ur pur et des intentions sincères», dit le franciscain en référence à la collecte du Vendredi Saint.
Des vocations qui ne cèdent pas au découragement
Apporter un témoignage d’espérance n’est pas une mission simple dans le contexte actuel du pays. Au milieu des décombres d’Alep, le découragement est au coin de la rue. «Je ne peux pas nier que quelquefois nous sommes un peu découragés. Mais grâce à notre engagement, nous essayons vraiment de nous soutenir par notre vie personnelle, notre vie spirituelle, pour avoir un peu d’élan et continuer», admet le père Daoud. «Je crois que le Seigneur est là pour nous dire: “réveillez vous!”. Quand Jésus était en agonie, Il a trouvé ses disciples endormis et il est venu les réveiller. J’essaie aussi, avec la communauté, d'être autant que possible réveillé pour répondre un peu aux besoins de ces gens», poursuit-il.
La foi du frère Bahjat aussi s’en est retrouvée secouée. «Il ne fait aucun doute que les événements douloureux qui ne nous quittent pas en Syrie nous font nous poser des nombreuses questions. Pourquoi cela nous arrive t il? Où est le Seigneur? Etc. Mais je me retrouve, comme beaucoup ici, à ressentir la main, l’attention et la miséricorde du Seigneur pour nous. Nous sentons que cette douleur nous fait partager sa douleur et c'est le chemin qui nous mènera à sa rencontre et au bonheur à ses côtés», dit le franciscain ajoutant que tout au long de la Semaine Sainte, il invite son troupeau «à prier le Christ crucifié afin que nous puissions jouir de sa paix et nous réjouir de sa résurrection».
Être une source d’espérance
L’engagement du père Daoud est total: «J’essaie de dire à tous ces gens que nous chrétiens, où nous le sommes à fond, où nous ne le sommes pas. Si vous voulez être vraiment chrétien, il faut être témoin dans les moments de peine et dans les moments de joie, dans les jours difficiles comme dans les jours heureux». Après les célébrations pascales «en musique et avec tout ce qu'on peut imaginer comme festivité populaire», le père Daoud retrouvera ses fidèles dans leur vie ordinaire. «J’essaie le plus possible de faire quelque chose pour aider ces groupes, pour qu’ils restent éveillés, pour qu’ils sentent autant que possible que nous chrétiens, nous ne pouvons pas être des gens immobiles quand il y a des crises. Au contraire, c'est une occasion de nous renouveler et de nous recréer de nouveau grâce à l'Esprit-Saint qui est en nous». Le père Daoud sent en lui le désir de transmettre «le goût de vivre, le désir de vivre, une joie de vivre». Sans ce désir, conclut-il «ça ne vaut pas la peine d’être chrétien».
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