Notre-Dame de l’Heure à Mossoul: une renaissance pour construire l’avenir
Entretien réalisé par Olivier Bonnel – Cité du Vatican
C’est un carrefour culturel et religieux du Nord de l’Irak, à proximité des routes de Ninive et Farouq : bienvenue à Mossoul, une ville qui se reconstruit lentement, après avoir particulièrement souffert de la guerre et de la présence de Daesh. De 2014 à 2017, le groupe terroriste en avait fait sa base arrière irakienne.
Mais cette page sombre de son histoire est presque tournée, si bien que la ville a accueilli le Pape François lors de sa visite historique en Irak au printemps 2021.
Symbole de ce relèvement, le couvent dominicain et son église Notre-Dame de l’Heure, situés au cÅ“ur de la vieille ville. Depuis 2019, grâce au soutien de ±ô’U²Ô±ð²õ³¦´Ç en particulier et des autorités irakiennes, cette église emblématique de la ville retrouve son lustre, tout comme la grande mosquée Al Nouri et l’église syriaque catholique Al Tahera.
Le programme de restauration de ces repères historiques de la ville porte le nom de «faire revivre l’esprit de Mossoul». Mais en quoi consiste-t-il? Nous avons posé la question au frère dominicain Olivier Poquillon, qui vit au couvent Notre-Dame de l’Heure et supervise ce travail de renouveau.
L'Esprit de Mossoul, c'est d'abord un esprit de rencontre. Mossoul est géographiquement une ville sur un fleuve, le Tigre, un des fleuves qui est mentionné dans la Bible, qui est un carrefour. Dans un carrefour, il y a le meilleur et le pire. On peut parfois avoir des embouteillages: c'est ce qui s'est passé quand il y a eu des confrontations entre communautés ou entre peuples, notamment avec un certain nombre d'invasions venant de l'Est, de l'Ouest, du Nord, du Sud. Mais c’est aussi un lieu de rencontre, rencontre des langues, rencontre des sociétés, rencontre des cultures et rencontre des religions. Donc faire revivre l'esprit de Mossoul, c'est d'abord ça pour nous.
Que représente le couvent de Notre-Dame de l'Heure - où vous vivez - dans cette renaissance de Mossoul?
Le couvent de Notre-Dame de l’Heure, c'est un couvent qui donne son nom au quartier. C'est aussi le fruit d'une rencontre, c'est-à-dire une rencontre entre les frères dominicains qui sont envoyés par le Pape en Irak au XIIIᵉ siècle, donc juste après la fondation de l'Ordre, et qui s'installent sur l'emplacement actuel de Notre-Dame de l’Heure au début du 19ᵉ siècle (…). Que faisons-nous? C'est très simple en fait, c'est un gros chantier puisque c'est un lieu qui a malheureusement connu un certain nombre de vicissitudes, notamment sous l'occupation par Daesh, et que nous devons remettre en état.
On le remet en état dans ses trois dimensions: sa dimension religieuse, sa dimension culturelle et sa dimension sociale. Ça implique de faire travailler des gens ensemble, des gens qui n'ont pas forcément les mêmes langues, pas forcément les mêmes cultures ni les mêmes religions. Des chrétiens et des musulmans travaillent ensemble sur le chantier. On doit redécouvrir un certain nombre de techniques qui ont été perdues puisque depuis 20 ans on ne réhabilitait plus le patrimoine et on ne l’entretenait pas non plus. On doit redécouvrir un certain nombre de choses qui font partie de notre patrimoine commun mais qu'on a perdues en Irak.
Qu'a apporté la visite du Pape François pour Mossoul au printemps 2021 lors de son déplacement historique en Irak? Et en quoi Mossoul peut être le symbole d'une coexistence retrouvée pour l'avenir?
La visite du Pape François a réouvert une porte. Mossoul était un peu marginalisée. C'était une ville du nord-ouest, la deuxième ville du pays, mais qui, depuis la chute de de Saddam, se sentait marginalisée, se sentait mise à l'écart. Aujourd'hui, à la suite de cette visite notamment, les Mossouliotes se sentent réimpliqués dans le jeu national et dans le jeu régional. C'est vraiment un hub entre la Turquie, l'Irak, la Syrie, un peu plus loin de l'Iran, mais c’est un point de rencontre. Est ce que c'est un modèle? Je ne sais pas. En tout cas, ce que je constate, c'est qu'aujourd'hui on y vit beaucoup plus pacifiquement que ça n’était le cas il y a une vingtaine d’années, il y a une dizaine d'années, et que les gens sont impliqués ensemble à reconstruire une vie commune.
On demande souvent si les gens vont revenir, les chrétiens, les musulmans, etc. Ce ne sont pas forcément les mêmes familles qu'avant. Les familles qui y habitaient sont souvent parties à l'étranger et ont continué leur vie. On n'interrompt pas sa vie pour reprendre au point de départ comme si de rien n'était. Mais avec une population très jeune, avec les gens qui sont là, il y a de nouvelles réalités qui se construisent. Et dans ce sens, oui, je pense que ça peut être un exemple.
Mossoul porte les stigmates de la guerre et du terrorisme. Quelle place ont ces stigmates dans la reconstruction du couvent Notre-Dame de l'Heure?
Alors, très concrètement, pour nous chrétiens, les stigmates, c'est à la fois un signe de mort, mais aussi de résurrection. C'est-à-dire que c'est ce corps qui est mort et qui ressuscite. On fait la même chose pour Notre-Dame de l'Heure qui est un couvent magnifique mais qui a des cicatrices. On a donc choisi de ne pas les effacer. Mais on ne voulait pas non plus les avoir tout le temps devant le nez, comme un rappel de la violence, des meurtres et de tout ce qui s'est passé en ces lieux. On a adopté une technique qui consiste par exemple, à reboucher les éclats de mortier, de bombes, de balles, de différents projectiles… On les rebouche mais on ne les efface pas. Donc de loin, on voit le volume de Notre-Dame de l'Heure avec une très belle pierre qui ressemble à du pain, ça donne vraiment faim! Et de près, on voit que ce lieu a été blessé mais qu'il est revenu à la vie.
C’était un parti pris dont on a bien discuté avec les architectes, et aussi avec les frères et les populations locales, les ouvriers, etc. Et finalement, ça nous a demandé bien du mal, mais le résultat est assez satisfaisant. On voit encore les traces quand on s'approche de ces blessures qui font partie de notre histoire, mais on voit qu'on les a surmontées et qu'on est revenu à la vie.
L’Avent et la proximité de Noël doivent avoir une signification toute particulière pour votre couvent?
Notre Dame de l'Heure, c’est cette issue du Je vous salue Marie, c'est-à-dire que c'est toute la vie que l’on doit se sanctifier et c'est cette vie dans son aspect le plus concret, l'approche des célébrations, donc de la Nativité, de l'Incarnation, qui est l'endroit où le Verbe se fait chair. Pour nous, cela prend des formes concrètes, c'est-à-dire qu'on est allé notamment en France, fondre des nouvelles cloches. Les cloches ont été détruites pour priver Notre-Dame de l'heure de sa voix, et on est allé les fondre en Normandie, puisque les cloches d’origine avaient été offertes par l'impératrice Eugénie comme un signe, un gage aussi de ce message partagé: le temps comme un don de Dieu qu'il nous importe d'incarner dans nos vies.
Nous avons un clocher, une seule heure qui est commune à tous, mais avec quatre cadrans, et chacun voit le cadran depuis sa communauté, depuis son quartier, depuis sa religion. Ce symbole, on essaie donc de le faire revivre, et quand on parle du Prince de la paix, on n'oublie pas que la paix est un combat. Alors ne nous trompons pas de combat: le combat n'est pas contre l'autre, il est contre le mal, contre le péché, et c'est ce que nous essayons de faire en reconstruisant la confiance, en essayant de cicatriser nos plaies pour, sur ces stigmates de violence, construire l'avenir.
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