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Jean-Marc Sauvé, président de la CIASE, lors de la conférence de présentation du rapport, mardi 5 octobre 2021 à Paris. Jean-Marc Sauvé, président de la CIASE, lors de la conférence de présentation du rapport, mardi 5 octobre 2021 à Paris.  

Jean-Marc Sauvé: toutes les institutions doivent lutter contre les abus sur mineurs

Le président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église, après la présentation d'un rapport accablant pour l'Église catholique, appelle à une refonte du droit canonique à une meilleure coopération entre l'État et les institutions catholiques afin d'éradiquer ce fléau.

Cyprien Viet - Cité du Vatican

Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a suscité un immense choc en France, avec une estimation de 330 000 personnes victimes d’agressions sexuelles dans un cadre ecclésial entre 1950 et 2020.

Le président de la Ciase, Jean-Marc Sauvé, a conduit pendant près de trois ans les travaux de cette Commission instituée en novembre 2018, à la demande de la Conférence des évêques de France et de la Conférence des religieux et religieuses de France, mais avec une totale liberté et indépendance dans le déroulement de l’enquête.

Il nous a livré quelques pistes de réflexion après la remise de ce rapport.

Entretien avec Jean-Marc Sauvé, président de la CIASE

On a ressenti souvent beaucoup de détresse, beaucoup de souffrances, et des souffrances qui ont été ravivées. La conviction de la commission, c'est que l'institution ecclésiale n'a pas fonctionné de manière satisfaisante. Elle n’a pas su entendre, elle n’a pas su voir ce qui se passait, elle n’a pas su capter les signaux faibles qui pouvaient émaner des victimes.

On a établi que seulement 4% des victimes ont été connues de l'Église. Autrement dit, les enfants n'en parlaient pas, ou quand ils en parlaient, ils en parlaient aux parents, les parents en parlaient rarement à l’Église, et l’Église ne savait pas. Malgré tout, il y a eu suffisamment de signaux, et l'Église en réalité, souvent n'a rien fait, ou a pris des mesures cosmétiques.

Et donc il n’y a pas eu ces mesures, je dirais, de rigueur. On n'a pas pris suffisamment au sérieux les affaires, et il n’y a pas eu de prévention. C’est une responsabilité qui est assez diffuse. Elle révèle un dysfonctionnement, un manque de vigilance, des négligences. C'est cela qui conduit à dire que l'Église est responsable, vis-à-vis des victimes, et peut-être aussi vis-à-vis des fidèles. Et compte tenu de la place de l'Église dans la société française, il y a aussi une responsabilité sociale et civique de l'Église catholique.

Est-ce que vous avez l'impression que, du fait de cette place un peu particulière de l'Église catholique dans un pays laïque, et d'une séparation peut-être hermétique entre l'État et les institutions religieuses, une certaine mentalité de "contre-société" échappant aux normes civiles a pu permettre aux abus sexuels de prospérer, dans certaines institutions catholiques?

Je fais une analyse différente de la vôtre au sujet de la laïcité. Je pense que l'Église catholique en France, dans un état laïque, ne s’est pas pensée comme une contre-société, ou comme une société minoritaire dans un monde adverse et hostile. Au contraire, moi, je trouve que le catholicisme en France a été ouvert, et on le voit bien dans les Å“uvres catholiques. Moi-même, j’ai connu dans ma jeunesse les colonies de vacances catholiques, et il y avait des enfants d’ouvriers communistes qui venaient.

Le système français est en réalité très différent, par exemple, du système belge, néerlandais ou allemand, dans lequel il y a une "pilarisation" de la société, c’est-à-dire que la société fondée sur des "piliers": il y a un courant laïque, un courant démocrate-chrétien, et un courant social-démocrate, et du berceau à la tombe, quand on est dans un couloir, on reste dans son couloir et on ne circule pas.

En France, le dispositif d'éducation chrétienne dans une société laïque, a été assez ouvert. L’Église ne s’est pas repliée sur elle-même. Je ne pense donc pas que la laïcité française ait pu nourrir des problèmes particuliers et aggraver les problèmes de  pédocriminalité dans l'Église.

D'ailleurs, les rares comparaisons internationales montrent des données très préoccupantes. Quand on voit le pourcentage de prêtres qui ont pu commettre des abus et qu’on peut faire des comparaisons sur le nombre de victimes avec les autres pays, je pense que la France se situe plutôt au bas de la fourchette. Il y a moins de prêtres mis en cause en France qu’en Irlande bien sûr, mais aussi qu'en Australie, aux États-Unis ou en Allemagne.

Le pourcentage de prêtres mis en cause est plutôt proche de celui des Pays-Bas. La France est aussi au bas de la fourchette quand on regarde le nombre de victimes par rapport à la population générale, ou par rapport à la population éduquée dans la religion catholique: on se rend compte que la France n'a pas plus de victimes que les Pays-Bas, et même qu’elle en a plutôt moins. Les autres pays, eux, n’ont pas dénombré les victimes.

Donc moi, ce qui me préoccupe en réalité, c'est que tout en ayant l’intuition que la France est un pays plutôt pas en bas du tableau des problème de violences sexuelles, on arrive tout de même à un nombre de victimes qui est stupéfiant, qui est hallucinant. Lorsque nous avons eu les résultats de l'enquête sur 28 000 personnes qui ont été interrogées, à la fin du mois de mars, tous les membres de la commission, qu’ils soient catholiques, protestants, de culture ou de confession musulmane, ou juive, ou athée, tous étaient stupéfaits, et personne ne s'attendait à des résultats aussi élevés.

Vous êtes vous-même haut-fonctionnaire. Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui, l'Église et l'État doivent être partenaires dans la détection de ses problèmes, et dans la prévention de la pédophilie ?

Oui, je pense que c'est un problème majeur dans nos sociétés. Il faut vraiment que les uns et les autres soient parties prenantes. Personne ne peut considérer qu'il est à l’abri. On a trouvé 216 000 victimes dans l'Église catholique, mais dans l'école publique, nous en comptons 141 000, sans compter les internats. Si on rajoute les internats, on arrive à pas loin de 200 000. On voit bien qu’aucun milieu n’est épargné, que personne ne peut se glorifier d’être épargné par ces problèmes. Personne n’a le monopole de la vertu et personne n'a le monopole du vice, ou des problèmes en tout cas. Et donc moi je pense effectivement que dans l'intérêt des enfants, il faut que toutes les institutions publiques et privées, et donc l’Église catholique aussi, partagent leurs informations, leurs expériences, pour qu'on essaye de réduire et d’éradiquer ce problème.

J’ajoute une chose qui est très claire: les chiffres de l'Église catholique sont impressionnants, accablants, mais le premier milieu dans lequel se produisent des violences sexuelles, c’est évidemment dans les familles, et aussi parmi les amis des familles. Au minimum, 5,7% des personnes de plus de 18 ans en France ont été sexuellement agressées dans le cadre de leur famille ou par des amis de la famille, ce qui est un pourcentage extraordinairement élevé. Cela représente plus d’un enfant sur 20. Cela signifie que sur une classe de 20 élèves ou 25 élèves à l’école élémentaire, il y a en moyenne un ou deux enfants par classe qui sont exposés à des risques de violences sexuelles. Des risques tout à fait réels! Et ça, c’est intolérable.

Vous avez salué ce matin la réforme du droit canonique qui entre en vigueur le 8 décembre prochain. Qu'est-ce que vous attendez aujourd'hui du Pape François et du Vatican?

Dans nos recommandations, il y a beaucoup de choses simples et pratiques, qui relèvent des diocèses, des instituts religieux, de la Conférence des évêques et de la Conférence des religieux. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de choses aussi qui relèvent du Saint-Siège, non pas sur les points fondamentaux de la doctrine mais dans, l'expression de la doctrine, et aussi dans le droit canonique.

Je souhaiterais qu'on puisse faire évoluer les tribunaux canoniques en matière pénale, dans le sens des exigences du procès équitable. Et je pense qu'il est aussi souhaitable que les victimes puissent avoir accès à la procédure. Il n'est pas normal qu’un homme ou une femme qui a porté plainte, qui déclenche une procédure canonique, ne soit pas du tout informé de la suite de la procédure. Ce sont des points qui sont vraiment importants.

Je pense aussi que dans le catéchisme de l'Église catholique, qui est universel mais qui explique l'enseignement de l'Église dans des cultures déterminées mais qui évoluent, il y a des points qui sont importants et qui doivent conduire à éviter une sacralisation excessive de la personne du prêtre, du religieux, et aussi qui doivent éviter une identification, une assimilation absolue du prêtre au Christ dans toutes ses dimensions, non seulement quand il célèbre la messe, mais presque dans la vie courante. Ce qu'on a vu, c'est que des hommes, qui étaient des prédateurs pour assouvir leurs pulsions sexuelles, ont usé et abusé de la figure de Dieu. Il y a donc des points d'attention qui sont nécessaires pour éviter des justifications d’abus, ou des éléments qui peuvent les favoriser.

Je prends un autre exemple: le principe d’obéissance. C’est un principe tout à fait fondamental, mais l'obéissance ne peut pas et ne doit pas être invoquée au point d'abolir le discernement personnel. L’obéissance, ce n'est pas une soumission radicale et inconditionnelle à la personne de quelqu'un d'autre. Il y a donc des enseignements moraux, spirituels, qui doivent être regardés avec attention pour qu’en réalité, on ne tombe pas dans ce que le Pape François écrit dans la Lettre au peuple de Dieu: qu'on ne bascule pas du côté des abus d'autorité, des abus de conscience, et des abus spirituels, qui sont souvent l'antichambre d'autres abus: des abus sexuels.

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05 octobre 2021, 16:48