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Photo d'illustration, abus sur mineurs. Photo d'illustration, abus sur mineurs. 

Abus dans l’Église: le travail de la Ciase révèle «un effet tsunami»

Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, fruit de deux ans et demi de travaux, sera présenté mardi 5 octobre 2021. L’audition de nombreuses victimes d’abus et d’experts met en lumière un phénomène systémique et une difficulté d’écoute.

Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican

Mandatée par la Conférence des évêques de France et la Conférence des religieux et religieuses de France, cette commission a été placée sous la présidence de Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État. Les vingt-deux membres qui la compose, croyants et non-croyants, sont des professionnels de la protection de l’enfance, du droit pénal, de la psychiatrie, de la médecine, de la sociologie ou encore de la théologie.

Ils ont collecté des informations sur les abus sexuels dans l’Église depuis les années 1950 et auditionné de nombreuses victimes mais également des experts. Parmi eux: Marie-Jo Thiel, médecin, professeure de théologie à l’Université de Strasbourg et membre de l’Académie pontificale pour la vie. Elle insiste sur les conséquences des abus ainsi que sur les carences en matière d’écoute, et souligne l’importance du travail réalisé par la Ciase.

Comment définiriez-vous la mission accomplie par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église?

Marie-Jo Thiel: C’est un document extrêmement important, qui est très attendu. Un travail de fond a été fait. Il y a eu de nombreuses auditions d’experts mais également un énorme travail d’audition des victimes qui a été tragique pour les victimes mais aussi pour ceux qui les ont écoutées. Jean-Marc Sauvé lui-même a demandé l’aide d’un psychologue, à un moment donné, tant il était traumatisé par le traumatisme des victimes. C’était épouvantable. Je crois que ce travail est essentiel pour l’Église.

Cette difficulté d’écoute des victimes et cette incompréhension de ce que signifie véritablement un abus -ces conséquences au niveau du corps, au niveau psychique mais également au niveau du rapport à la foi- sont-elles en train d’évoluer?  

C’est une question extrêmement difficile mais qui est à la base de tout le travail qui doit être fait. Tant que l’on ne comprend pas le traumatisme et le stress traumatique aigu des victimes on n’a rien compris. Je vais utiliser une image, pour certaines victimes le traumatisme est tel qu’il y a comme un interrupteur qui s’est mis en place et qui a bloqué les émotions parce qu’elles étaient trop fortes. Il y a donc un travail essentiel de reconnaissance qui doit être fait. En ce qui concerne la réparation, c’est un mot piégé. On ne répare jamais un tel traumatisme mais il est possible d’aider avec par exemple un soutien financier.

Le soutien financier est-il important dans sa symbolique?

Le soutien financier est symbolique car ce terme signifie “mettre ensemble”, c’est-à-dire qu’il peut contribuer mais cela ne suffit pas. Il faut que l’argent soit employé dans les soins nécessaires pour essayer de retrouver l’unité du moi et donner un sens à sa propre existence.  

 

Vous êtes en France l’une des grandes spécialistes de la question des abus. Vous travaillez sur ce dossier depuis plus de vingt ans. Quelles seraient vos recommandations?

Le travail de prévention qui a été initié est très important mais il n’est pas suffisant. Suite au Motu proprio “(Vous êtes la lumière du monde) et aux derniers textes du Pape François, on a commencé à mettre en place des structures de prévention mais il faut repenser l’Église que nous voulons, les ministères baptismaux. Il ne faudrait pas que l’évêque soit seul à vouloir examiner (Ndlr : la question des abus). Il faut qu’il s’adjoigne des laïcs, des hommes et des femmes afin de faire un travail interdisciplinaire.

Comment qualifieriez-vous l’étape actuelle et le rôle que peut jouer ce rapport de la Ciase?

Il s’agit vraiment d’un moment clé parce qu’il nous oblige à prendre en compte le nombre de victimes et donc le caractère systémique de ces abus. Jusqu’à présent un diocèse faisait état de trois, quatre ou cinq cas. La Ciase va nous apprendre que l’on en a plus de 10 000, c’est ce que Jean-Marc Sauvé nous a déjà dit. C’est un effet tsunami et l’Église est obligée de prendre en considération le fait que lorsque l’on cherche sérieusement, voilà ce que l’on trouve.  

C’est un thème difficile, dont je souffre avec beaucoup d’autres théologiens, hommes et femmes, et avec nos étudiants. Nous espérons beaucoup et luttons énormément sans que cela ne fasse la Une des journaux. Je crois foncièrement que nous devons travailler ensemble et je garde l’espérance car mon espérance est enracinée en Christ. 

Entretien avec Marie Jo Thiel professeure de théologie et membre de l’Académie pontificale pour la vie

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30 septembre 2021, 18:26