Mgr de Romanet: le TIAN est un cri lancé à la conscience de l’humanité
Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican
Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) avait été approuvé par 122 nations sur 192 lors de l'Assemblée générale des Nations-Unies le 7 juillet 2017, et ouvert à la signature à partir du 20 septembre 2017. Il a été ratifié en octobre dernier par un cinquantième pays, le Honduras, permettant son entrée en vigueur dans un délai de 90 jours. Ce traité, que le Saint-Siège avait instamment signé, est le «premier instrument international juridiquement contraignant à interdire explicitement ces dispositifs», a rappelé le Pape François mercredi 20 janvier, au terme de l’audience générale.
Le TIAN entre en vigueur plus de 50 ans après la signature du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), le 1er juillet 1968. S’inscrivant dans une trajectoire historique, il est «un cri lancé à la conscience de l’humanité, pour que tous se ressaisissent alors que nous assistons actuellement à une prolifération nucléaire», observe Mgr Antoine de Romanet, évêque aux Armées françaises. Il s’agit de retrouver «une dynamique de négociations multilatérales»; et «le Pape souligne, de manière prophétique, combien l’essentiel est la conversion des cÅ“urs», observe Mgr de Romanet.
L’entrée en vigueur du traité sur l’interdiction des armes nucléaires, constitue-t-elle une étape importante, quelle en est la portée?
Cette date du 22 janvier est importante, et il faut la replacer dans la trajectoire historique de cette réalité de l’arme nucléaire et de Nagasaki et Hiroshima en 1945. D’emblée, l’ensemble de ceux qui ont eu à connaître cette arme terrifiante ont essayé de la contrôler, cela a été le sens du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires signé en 1968. Depuis cette date, nous travaillons donc sur ce sujet et un certain nombre d’États signataires se sont émus du fait que les négociations, dans le cadre du TNT, n'avançaient pas très vite et l’on s’est mis à douter de la ferme détermination d’un certain nombre d’États possesseurs de la bombe atomique d'entrer dans une véritable logique de désarmement.
C’est la raison du traité sur l’interdiction des armes nucléaires, soutenu par le Saint-Siège, qui vient signifier que nous ne sommes absolument pas engagés sur une trajectoire heureuse, bien au contraire. Nous assistons même à une prolifération nucléaire car un certain nombre d’États, en contradiction avec le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ont acquis l’arme nucléaire. Il s’agit de faire retentir un cri pour que tous se ressaisissent, et que l’on rentre à nouveau avec fermeté dans une logique de désarmement nucléaire. Que l’ensemble de l’humanité comprenne que ce n’est qu’à travers des relations multilatérales, dans des logiques de fraternité, de charité, de solidarité, que nous parviendrons à faire baisser les tensions.
Les États dotés de l’arme nucléaire n’ont pas signé ce traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Quel peut en être le poids?
Il s’agit d’un poids essentiellement moral. Il n’y a pas de portée juridique sur les États non signataires, mais c’est un cri lancé à la conscience de l’humanité pour inviter les uns et les autres à prendre le problème à bras-le-corps, et prendre conscience que nous dansons sur un volcan. Nous ne pouvons pas rester tranquille sur ce sujet.
Le Pape François comme ses prédécesseurs a fustigé l'usage de l'arme nucléaire, et depuis le Japon en novembre 2019, il a condamné leur possession. Quelle peut-être l’apport des encycliques Laudati Si' et Fratelli Tutti dans cette réflexion sur la dénucléarisation? Au-delà des considérations géopolitiques et diplomatiques, est-ce un appel à la conscience?
Il y a un appel à la conscience tout à fait essentiel. Le Pape Françoise souligne, de manière prophétique, combien l’essentiel est la conversion des cÅ“urs. Il s’agit de retrouver une dynamique de négociations multilatérales et d’intégrer que tout est lié. Que la seule voie de salut est la fraternité. Sans fraternité, c’est la mort pour notre humanité, comme le signifie le Pape François.
Les encycliques du Pape François, Fratelli Tutti et Laudato Si', sont donc en ce sens des outils importants?
Considérables! Fratelli Tutti qui insiste sur cette dimension essentielle de la fraternité dit bien la nécessité de la conversion des cÅ“urs. Les armes n’ont jamais rien réglées, les rapports de force et de puissance conduisent à des tensions et des crispations. Il s’agit de passer à un autre registre, celui de la fraternité, de la charité, de la solidarité, celui de notre commune humanité. Il faut dépasser les clivages, les nationalités, pour permettre au bien commun de se déployer. Fratelli Tutti et Laudato Si' sont en cela des textes puissamment inspirants et décisifs.
Peut-on véritablement croire en un changement de paradigme, imaginer un monde sans armes nucléaires. N'est-ce pas utopique?
Certes, il y a une part d’utopie, le Pape Jean-Paul II l’évoquait lui-même. Mais nous avons besoin de sens et de paroles prophétiques. Il est important que nous nous mettions en marche vers cet objectif. Il est vrai que l’humanité est touchée par le péché, que l’homme témoigne de cette volonté de domination et de puissance tapie dans son cÅ“ur, mais nous ne pouvons pas rester enkystés dans ces réalités tragiques qui conduisent à la mort. Il nous faut aller vers la lumière et la vie, et donc quand bien même nous prenons conscience du fait qu'il s'agit d'un processus de temps long, il s’agit de féconder les consciences. Et ce sont tous les peuples de la terre qui ont à peser sur les autorités en charge de ces questions, pour avancer vers plus de justice, de fraternité et de charité. C’est ainsi seulement que notre planète demeurera vivable.
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